Faire revivre les Schoenauer (2)
Le Modèle 1903 en 6,5 x54 ou le réveil de la Belle au bois dormant !
Ce n’est certainement pas le calibre le plus puissant ni le plus moderne, mais chasser le brocard à l’approche avec un 6,5 x 54 MS peut faire rêver beaucoup d’entre vous. Car cela signifie utiliser la belle Mannlicher-Schoenauer 1903, enfin libérée de ses chaînes administratives.
La cartouche de 6,5 x 54 Mannlicher-Schoenauer, ou .256 Mannlicher Rimless outre-Manche, a été mise au point en 1900 ou 1901, et adoptée en tant que cartouche réglementaire par la Grèce pour son fusil Mannlicher- Schoenauer en 1903. Précisons d’emblée que cette cartouche n’a guère marqué l’histoire militaire. En revanche, elle fut rapidement adoptée par de très nombreux chasseurs un peu partout dans le monde, dès 1905, lorsque la version « civile » de l’arme éponyme s’est répandue. Il faut bien dire que la petite stutzen si maniable était vraiment une exceptionnelle carabine pour qui chassait en montagne ou, le plus souvent, pour qui voulait voyager léger.
L’ère des crayons volants
Outre les nemrods d’Europe centrale, beaucoup de pratiquants de la chasse du grand gibier en Afrique et en Asie ont choisi la 6,5 mm Mannlicher dès son apparition et l’ont employée sur tous les gibiers, éléphant compris. On en vint à l’angliciser et à la baptiser « .256 Mannlicher Rimless » en Grande-Bretagne; Kynoch la chargeait. W. D. M. Karamojo Bell la rangeait, avec la 7 x 57 mm Mauser (alias « .275 Rigby Rimless »), parmi les meilleures cartouches modernes de son temps. Il faut se souvenir que, malgré leur « faible » vitesse initiale, les lourdes et longues balles blindées et demiblindées (10,3 à 10,5 g) propulsées aux alentours de 700 m/ s de cette « petite » cartouche possédaient un atout imparable : une extrême qualité de construction, avec des chemises d’acier doux très résistantes, et une capacité à procurer des pénétra- tions très profondes. Bien entendu, côté diamètre et côté énergie brute et quantité de mouvement, on était tout de même assez loin de l’idéal. Au bout d’une bonne vingtaine d’années, on finit par s’en rendre compte, au prix d’ailleurs de pertes parfois sévères dans les rangs des utilisateurs. La popularité de la cartouche, comme celle de sa jumelle à bourrelet, se mit bien vite à baisser. Néanmoins, la 6,5 x54 mm Mannlicher-Schoenauer reste parfaitement adaptée au tir des ongulés européens ou nord-américains, cerf compris. Elle a ses adorateurs, ses thuriféraires – et aussi ses détracteurs, bien sûr. Abandonnée par RWS et/ou Norma, mais toujours produite par PRVI Partizan, on la trouve parfois difficilement. Elle demeura classée en première catégorie en France pendant de longues décennies, avant d’être enfin remise à notre portée, désormais classée dans la nouvelle catégorie C. Espérons voir cette cartouche redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être dans l’Hexagone, une bonne petite cartouche douce à tirer pour la chasse à l’approche des ongulés, cerfs inclus, chambrée dans une fine carabine stutzen à la mécanique si souple et à la silhouette si irrésistible que le nom Mannlicher est devenu synonyme de carabine courte à fût long. Car pour le chasseur, la cartouche reste associée à une arme légendaire, la carabine Mannlicher-Schoenauer à magasin rotatif Spitalski. Là où
c’est permis, rien n’interdit d’utiliser ces jolies carabines au fonctionnement doux, à la précision souvent extraordinaire, pour tout ce qui est approche et affût. A l’évidence, les petits calibres (au-dessous de 7 mm) n’ont pas grand-chose à voir avec la battue de sangliers ou de cerfs. Reste que la 6,5 x 54 mm M-S est parfaitement capable, avec les balles de 10,4 g qui lui sont indispensables pour ces tirs, de sécher très proprement un sanglier de belle taille venu marauder près d’un mirador : il suffit de placer la balle entre l’oeil et l’écou te, ou mieux encore « plein coffre », à hauteur du coude et 7 ou 8 cm en arrière de la patte de devant.
Sous conditions
uniquement
Certes, les balles conventionnelles des cartouches du commerce ac - tuelles comme celles que le rechargeur peut se procurer fonctionnent habituellement fort bien sur le plan de la balistique terminale et procurent toujours la pénétration profonde qui faisait la réputation de la cartouche au siècle passé, par exemple avec la regrettée balle HMoH que chargeait autrefois RWS. Mais mieux vaut se souvenir tout de même que la surface de la blessure, en raison de la faiblesse du calibre, n’a rien d’extraordinaire. Autrement dit, le chasseur doit à la fois faire preuve de discernement – et donc savoir retenir son tir s’il n’en est pas sûr –, mais aussi être capable de toucher avec assez de précision le gibier en un point où l’atteinte sera létale à très court terme. Cela implique qu’il connaisse sur le bout des ongles l’anatomie de sa proie. Comme les armes établies en 6,5 x 54 mm M-S ont été faites pour ces balles à nez rond très allongées, avec un cône de raccordement et un magasin rotatif « conçus pour », on est souvent déçu par les résultats que procurent des balles plus courtes et plus légères. Si la vitesse initiale est plus élevée, la précision se dégrade habituellement de manière rédhibitoire, surtout dans les carabines les plus usées. Bien entendu, il était possible de rechambrer une 6,5x54 mm M-S en 6,5 x 57 mm Mauser pour la faire passer en ex-cinquième catégorie ; beaucoup de celles qu’on rencontre chez nous ont d’ailleurs subi cet irréversible outrage. Une telle transformation, à mon humble avis, n’a rien de très intéressant. Elle dénature une pièce de collection qui en perd une bonne partie de sa valeur, et ne peut ni ne doit s’appliquer qu’à des spécimens déjà passablement éprouvés et mal entre - tenus à une époque où toutes les amorces étaient « chloratées », donc corrosives. Outre la chambre, il faut transformer le magasin, sous peine de ne posséder qu’une arme à un coup ; la chose ne peut être confiée qu’à un armurier qui connaît bien le magasin Spitalski-Schoenauer et sait exactement ce qu’il doit faire pour assurer la marche avec les chargements les plus courts de la cartouche de 6,5 x 57 mm. Quoi qu’il en soit, et à cause de son classement antérieur, on ne pouvait pas utiliser la 6,5 x 54 mm Mannlicher-Schoenauer à la chasse à l’intérieur des frontières de l’Hexagone. Une certaine forme de raison a fini par prévaloir avec la tardive et complexe transposition de la réglementation européenne en droit français. Pour le rechargeur, les difficultés ne sont pas légion. On peut fort bien acheter des étuis RWS ou tirer des chargements d’usine de la même mar que si on en trouve encore – chose plus facile lorsqu’on vit dans un pays où l’administration est moins obnubilée que la nôtre par la « dangerosité » des armes à feu. Les balles de 6,7 mm de diamètre nominal sont communes à toutes les cartouches de 6,5 mm ou presque. Certaines balles modernes (GPA, Barnes X, Nosler Partition, AccuBond, Ballistic Tip, etc.) permettent d’atteindre des vitesses un peu plus élevées que les chargements traditionnels, mais seuls des essais rigoureux peuvent valider ces choix au cas par cas. Les poudres du milieu de l’échelle des vivacités (Tubal 3000, SP 9, SP 7, Tubal 5000, SP 11) sont celles qui conviennent le mieux. Il est indispensable, outre d’appliquer la « méthode de l’escalier » , de sertir les balles pourvues d’une cannelure ou d’une gorge ad hoc et de bien contrôler qu’on produit des cartouches aussi proches que possible de la concentricité parfaite. Les longues balles demi-blindées ou blindées peuvent causer quelques migraines à certains de ce point de vue. En raison de leur âge, de leur valeur intrinsèque et de leur passé parfois
chargé, les carabines doivent être traitées avec respect et les rechargements demeurer « conservateurs » : il n’est pas le moins du monde réaliste de penser qu’on peut « magnumiser » cette vieille comtesse autrichienne sans qu’elle (et l’arme) n’y laissent un jour leur peau. Prudence donc !