Charles- François Galand ( 2e partie)
Pluridisciplinaire et publiciste
Pluridisciplinaire et publiciste
Charles François Galand ( 1832- 1900) fait partie de nos plus grands arquebusiers, de surcroît des plus atypiques. Sans cesse en quête de nouvelles armes et de débouchés pour elles, il a inventé la publicité, les soldes, les lettres d’information, la délocalisation et même la stratégie de niche !
La cartouche pneumatique
A l’origine de la cartouche pneumatique, on trouve une création de Paul Gifard ( 1837- 1897). Cet aérostier spécialisé dans l’appareillage à compression des gaz va créer une petite arme de chasse utilisant une cartouche de son invention, cylindrique, en cuivre, de la taille d’un gros dé à coudre et renfermant de l’air sous pression. Une charge de grenaille de plomb contenue dans un tube de papier est introduite à part dans la chambre ; le choc du percuteur vient crever le culot et libérer l’air qui propulse alors la charge. Un brevet est déposé en Angleterre en 1872 pour un fusil utilisant cette cartouche pneumatique. Dès lors, Gifard passe à d’autres recherches et cède le monopole d’exploitation de sa cartouche à Galand, qui procède d’emblée à des améliorations. La cartouche sera dé - sormais en acier, operculée par une rondelle graissée et tenue par un ressort interne faisant soupape. Une pompe manuelle est aussi créée pour recharger la cartouche, dès lors réutilisable et rechargeable à l’infini sur le terrain même. Cela pour une portée utile de 20 à 25 m. Un fusil pour la grande chasse et éventuellement pour le domaine militaire est aussi créé sur ce principe. Le seul exemplaire parvenu jusqu’à nous est exposé au musée de Milwaukee, aux Etats- Unis. Le dérivé de la cartouche pneumatique Galand inspirera les fameuses bouteilles de gaz liquéfié ( CO2) qui équiperont ultérieurement les armes de type Gifard. Trois fusils de chasse de calibre 28 seront cons - truits sur ce principe en 1889 en An - gleterre. La capacité de ces armes était de 300 coups avec une portée de 60 m, on imagine volontiers quel avenir cette invention aurait eu sans la législation restrictive qui la suivit.
La première bourre en feutre
Dans ses recherches, Galand met en évidence le rôle primordial joué par la bourre et fait des essais avec le « culot- bourre » en laiton de Casimir Lefaucheux. Mais les résultats sont décevants, cette première bourre à jupe créée en 1835 « tasse » les plombs faute d’élasticité. Il imagine donc une bourre de feutre de laine de « bonne hauteur » dont le pourtour et le fond sont noyés de cire bru - ne. C’est l’ancêtre de notre bourre rose en feutre de laine suifé.
Les hammerless
Bien que n’appréciant pas l’hammerless, Galand s’en voit imposer la fa-brication par une forte demande de sa clientèle. Il fait donc fi de ses convictions personnelles, appliquant à lui- même les conseils qu’il adres----
sait à ses confrères : « Il faut savoir s’adapter et non faire preuve d’un éternel esprit passéiste. » Une nouvelle fois, il élabore un type d’arme à partir de ce que les Anglais font de mieux et de plus pratique. Cela tout en apportant « l’élégance et le fini du
fusil de Paris » . C’est- à- dire en gommant les lignes anguleuses et en affinant la silhouette de l’arme. Ainsi naissent des hammerless à triple verrou Purdey, à platines détachables dont le poids est allégé. Les canons sont réalisés dans les meilleurs aciers, et sont frettés pour les modèles de base et demi- blocs pour tous les modèles supérieurs. Le calibre est établi selon le choix du client. De même, sur commande spécifique, l’arme est dotée d’éjecteurs automatiques. Les décors et finitions sont aussi laissés au goût du client : « Les cahiers d’ornemanistes sont à la disposition de notre aimable clientèle afin que chacun puisse faire le choix des ciselures et gravures qui orneront et personnaliseront son fusil. » La possibilité d’une mise en conformation ou d’une prise de mensurations est aussi proposée à celui qui vient passer commande dans l’une des officines de la maison Galand. C’est d’ailleurs pourquoi les tarifs ne sont jamais indiqués dans le catalogue pour ces fusils, le prix est établi sur mesure lui aussi ! Dans un tout autre esprit, un rabais est pratiqué pour toutes les armes en stock dont le modèle arrive en fin de fabrication : « Quoi qu’elles soient exemptes de défauts, je vais, sans délai, les céder avec un rabais de 30 %. »
Galand a aussi inventé les soldes !
La grande chasse
Pour la chasse du grand gibier, tous les fusils de chasse des calibres usuels sont proposés équipés d’un voire de deux canons rayés selon le souhait du client. Pour leur utilisation, Galand crée une balle cylindro-ogivale qu’il décline en deux versions : tout plomb et plomb à pointe d’acier. En équipement supplémentaire, il propose un couteau de chas se transformable en baïonnette sur le canon. Pour les chasses d’outre- mer, l’armurier fabrique un « express- rifle » modèle anglais. C’est un fusil double à canons rayés juxtaposés et à fermeture par une clef sous le pontet. L’arme dispose de platines arrière à chiens extérieurs. Les premiers exemplaires sont établis en calibre .500 British. L’arme sera produite sur ce modèle pendant toute la car---
rière de Galand, à d’infimes détails près. Et pour satisfaire les demandes de la clientèle, elle sera également établie « en tous calibres avec car
touches à bourrelet saillant » . Toujours pour satisfaire la deman - de, le fabricant commercialise également des armes qui ne sont pas is sues de sa production : la carabine Win chester, modèles 66, 73 et 76, la Vetterli, modèles simple et à répétition, la Martini, la Swinburn et la Comblain. Toutes ces armes tirent des munitions réglementaires et peu vent par conséquent être utilisées aussi bien pour la chasse que pour le tir ou la défense.
Les canardières
La variété de canardières produites par Galand est peu étendue. Le fabricant s’est toujours refusé à honorer les commandes de spécialistes du gibier d’eau pour certaines de ces mini- pièces d’artillerie. Pièces qui nécessitaient une réalisation à la main et à l’unité, donc d’un prix de revient très élevé. On trouve chez lui uniquement des modèles classiques et dotés d’un fort calibre. Le premier est à canon tournant, de calibre 4 au canon d’un mètre et d’un poids avoisinant les huit kilos. Galand maintiendra cette arme à son catalogue tout au long de sa carrière. Conjointement sont produits quatre modèles en calibre 4 et 8 pour munition à broche et à percussion centrale. Le système d’ouverture est le Lefaucheux « classique » , système qui va vite se montrer déficient pour des char ges aussi lourdes. La fabrication sera donc abandonnée en fort calibre mais reprise sur les calibres 10 et 12. Ces armes pesaient respectivement 5 et 3,5 kg avec un canon de 85 et 90 cm.
Les armes de garde- chasse
Ne dédaignant aucun marché – aujourd’hui on parlerait de « stratégie de niche » –, Galand propose deux armes destinées à l’équipement des gardes- chasse employés dans les propriétés privées. Une carabine de gros calibre Remington du type Rolling Block, établie pour une munition de 12,5 mm à balle de 28 g, et un revolver à crosse d’épaulement articulée. Le barillet est d’une capacité de six cartouches en calibre de 12 mm. Proposée en deux versions cette arme est dotée d’un canon de 14 ou 10 cm.
Les carabines
de jardin
La production de notre touche- àtout s’est aussi orientée vers le marché très lucratif des carabines dites
de jardin. Outre sa Galand- Gifard à cartouche pneumatique que l’on ne saurait classer dans les amusettes puisqu’elle « peut tuer même à 50 m, un lapin, un faisan [ sic]… » , on lui doit une transformation de cette ca - rabine en arme à feu classique. Elle est alors équipée d’un canon lisse et tire la cartouche à percussion centrale de 12 mm à grenaille. A ces deux modèles vient s’ajouter une série « d’armes d’agrément pour le jardin » . Destinées à la chasse du petit gibier à plume dans les parcs et jardins, elles sont chambrées pour le 9 mm Flobert à percussion annulaire : carabine Flobert, carabine à étrier Warnant, carabine Remington, carabine à verrou Chassepot… Plus sérieuse est une carabine basculante à fermeture snap action avec levier à volute, une création pure de Galand datée de 1875. Le modèle original a été créé en « rook rifle » à la demande des armuriers anglais. Le canon est rayé et tire une car---
touche de 9 mm à percussion centrale et ogive de plomb. « La précision est garantie jusqu’à 150 m,
explique Galand, quoi que le tir soit
parfait jusqu’à 200 m. » Voici pour l’arme destinée au tir des corbeaux mais, sur commande, est fourni un canon supplémentaire lisse en calibre 14 mm pour la désuète cartouche de calibre 32 en Angleterre. Cette carabine est un succès, aussi, dès l’année suivante, elle est établie en calibre 9 mm Flobert à percussion annulaire. Enfin, vers 1880, sous l’appellation de « petit fusil à un coup » , elle est produite dans les calibres 20, 24, 28, 32 et 12 mm avec possibilité d’interchangeabilité avec un canon rayé supplémentaire dans les calibres 8 mm, .32 Smith & Wesson, .320, .22 WCF, .22 LR, 6 mm court ou extralong à percussion annulaire. L’arme remportera un vif succès et sera produite à des milliers d’exemplaires. Fort de cette expérience, Galand va fabriquer une carabine dite aussi « petit fusil » aux mêmes capacités mais au système
snap action.
La publicité
Produire de belles et bonnes armes à des prix raisonnés et raisonnables n’est pas suffisant pour Galand, qui sait que le succès commercial passe forcément par la communication auprès d’un large public. Et l’arquebusier ex celle dans ce domaine, il sait avant les autres faire sa propre réclame. Cela grâce à ses « cahiers d’exposition » mis à la disposition de la clientèle sur les comptoirs de ses magasins et surtout ses albums annuels, les Albums Galand, dans lesquel il traite de balistique et d’actualité cynégétique tout en présentant les armes produites ou vendues chez lui. Charles- François Galand s’éteint en 1900. Nourrie de son influence et de sa direction éclairée, sa société lui survit jusqu’en 1942, mais sans l’éclat de la période pré- 1900. Son fils René prend une relève difficile avant de céder la firme, qui finira par s’éteindre dans une relative indifférence. Trop à part, trop mondialisé, trop diversifié pour son temps, le premier de nos armuriers mo-dernes disparaît peu à peu des mé - moires. Pour autant, l’armurerie doit beaucoup à cet électron libre, inventeur de nombreuses facettes de ce métier. De temps à autre, de belles pièces apparaissent sur le marché de l’occasion et ressuscitent sa mé - moire, ouvrez l’oeil !