La chasse à l’homo cynégéticus est ouverte
Mon cher Jean-Charles, lorsque tu as perdu ton job, tout le monde ou presque s’en est félicité. A une époque où tous les Ibères se serraient la ceinture, tu chassais en Afrique ! Ce fut ton tort. Non pas d’être âgé, non pas d’être fortuné, ni même d’être un aristocrate descendant des Bourbon – et pourtant, il y a 224 ans exactement, cela t’aurait valu d’être raccourci place de la Concorde –, mais de faire un safari et de chasser l’éléphant et, pardessus le marché, de te faire tirer le portrait avec le pachyderme que tu venais de tirer. Tu fus aussitôt contraint de prendre ta retraite et de laisser à ton fils Philippe la « société » familiale. Tu croyais avoir eu l’éléphant, c’est lui qui t’a eu. Le roi de la savane a eu la peau de celui d’Espagne. Walter Palmer, lui aussi, a connu bien des déboires du fait de sa passion pour la chasse. Dentiste de son Etat, celui du Minnesota, il est allé chassé le lion au Zimbabwe. Hélas, il ignorait que l’animal qu’il avait traqué et fléché de son arc portait un collier GPS et surtout un prénom : Cecil. Il a perdu la face, sa tranquillité et sa clientèle qui, comme le monde entier, a désormais une dent contre lui. En 2014, lors de la Coupe du monde de football au Brésil, une jolie supportrice belge, est repérée par les caméras dans les stades. Et, parce qu’elle le vaut bien, elle se voit aussitôt proposer un contrat par une grande société française de cosmétiques. Mais, à l’instant où cette dernière apprit que la belle était chasseresse, elle lui retira contrat et « auréole ». Après une longue période de fermeture, la chasse à l’homo cynégéticus semble bien rouverte. Comme pour nous en convaincre, plus près de nous, fin octobre en France, Luc Alphand et Pascal Olmeta furent épinglés par deux associations « zoolâtres », 30 millions d’amis pour le premier et la Fondation Brigitte Bardot pour le second. Leur tort ? Avoir eux aussi chassé des animaux emblématiques, ours pour l’un et éléphant pour l’autre. Les deux associations les ont lâchés en pâture sur Internet aux amis des bêtes, ceux qui connaissent les animaux africains sur le bout des doigts pour avoir visionné à de multiples reprises Le Livre de la jungle et Le Roi Lion et visité maintes fois le zoo de Vincennes. Et nos deux sportifs de recevoir aussitôt de ces pacifistes de tous poils – pourvu qu’ils soient synthétiques –, de ces gentils défenseurs de la vie animale, qui ne feraient pas de mal à une mouche, insultes et menaces de mort ! Peu importe que l’éléphant chassé l’était à la demande des villageois dont l’existence et les ressources étaient menacées, peu importe qu’il s’agisse de chasses légales qui, pour un animal tué, financent la survie de dizaines d’autres par une surveillance des territoires et une lutte contre le braconnage de tous les instants : la peine est la même. Un lynchage général répété ad nauseam par des internautes moutonniers et agressifs, à l’abri derrière leur écran d’ordinateur et surtout l’anonymat si confortable de leur pseudo. Le chasseur est entré dans la ligne de mire des associations zoolâtres en mal de publicité ou de subsides. Tous les moyens sont bons, même les plus abjects et même ceux qui nous ramènent aux heures les plus noires de notre histoire et à une vieille tradition française que l’on croyait disparue avec les affres de l’Occupation : la dénonciation. L’agression et la chasse aux sorcières sont devenues la tendance de fond des mouvements écolo-zoolâtres de ce début de XXIe siècle. Des individus qui placent si haut le droit à la dignité animale qu’ils en oublient les êtres humains. Des hommes et des femmes qui cultivent les contradictions, parfois leur potager, et souvent beaucoup de haine envers une partie de leurs concitoyens, ceux qui ne suivent pas leurs préceptes, mangent du foie gras, aiment le cuir et chassent. Ces mouvements quasi sectaires ont fini par décourager et détourner d’eux ceux qui rêvaient d’une véritable écologie, ceux qui voulaient y croire, s’investir, défendre l’avenir de la planète. Et si le chasseur est à nouveau l’objet de tant de haine de la part de ces verts-degris, c’est bien par pur calcul clientéliste. Parce qu’il est le dernier lien avec la sauvagerie, avec la mort – qu’il donne délibérément dans une société qui cherche à tout prix à la cacher, à s’en affranchir – le chasseur constitue une cible parfaite. Il est l’ennemi contre lequel il est encore possible de fédérer ce qui reste de cette écologie politique et moribonde. Mais jusqu’à quand et jusqu’où ? Il est peut-être temps que l’homo cynégéticus se redresse à nouveau, ose s’affirmer comme un écologiste véritable et, à l’heure où un film dresse le bilan critique des années Cousteau, sorte enfin du monde du silence.