Recharger l’autre Mannlicher
Le modèle 1893 en 6,5 x53R ou .256 MS à la sauce anglaise
En 1892, l’arsenal de Steyr dévoile le fusil modèle 1893, une arme de guerre chambrée pour le 6,5x53 R qui deviendra entre les mains des armuriers anglais la première carabine de grande chasse de petit calibre. Une carabine enfin disponible pour nous, mais dont les cartouches imposent de recharger.
Quand, en 1886, les armées ont adopté les cartouches à poudre sans fumée, l’art de la guerre s’en est trouvé transformé. Les chasseurs ont dû patienter un peu avant d’utiliser ces cartouches miracle qui renvoyaient leurs armes à poudre noire au Moyen Age. Car, dans la course aux armements absolument effrénée qui se tenait à la fin du XIXe siècle et s’est terminée par la Grande Boucherie de 14-18, chaque pays tentait de garder précieusement son avance technologique pour ses soldats avant de faire profiter les civils de son savoir-faire. Aux Etats- Unis, la première car touche moderne à poudre sans fumée fut la .30- 40 Krag- Jorgensen, sortie en 1892, et la première arme civile chambrée dans ce calibre fut la Winchester 1885 High-Wall, en 1893. La .30-30 Winchester, chambrée dans la mythique carabine modèle 1894 à levier de sous-garde créée par John Moses Browning, fut quant à elle la première cartouche exclusivement civile. Les rechargeurs durent encore attendre plusieurs années avant que la poudre ad hoc soit disponible. C’est la raison d’être de la défunte .32 Special qui était conçue pour être rechargée à la poudre noire. En Europe, deux guerres mondiales et la destruction d’archives rendent la reconstitution de l’histoire de l’armurerie bien plus délicate. En Allemagne, on trouve rapidement des armes civiles en 8 x 57 ( le calibrage « S » apparaît en 1905), 6,5 x 57, 7 x 57 et 9 x 57 développées sur le boîtier M-88. Et en Angleterre ? Eh bien… rien ! Mis à part le .303 British national, les armuriers anglais ne disposent d’aucune cartouche moderne. Il existe une foultitude de calibres à poudre noire (dont tous les calibres d’express que l’on va remettre au goût du jour), mais rien d’inférieur à leur calibre réglementaire.
Steyr ou rien, faute de Mauser
Voilà pourquoi les armuriers d’outre-Manche vont se précipiter sur les nouveautés continentales. Rigby, importateur exclusif de Mauser, adopte le 7x57 Mauser sous le nom de .275 Rigby, et ses petits camarades et concurrents, dépourvus de Mauser, adoptent le tout nouveau 6,5x53R Mann-
licher (hollandais et roumain) sous le nom de .256 Mannlicher et du même coup le fusil Mannlicher modèle 1893 de Steyr pour en faire une carabine de chasse, la première en calibre 6,5 mm. Je suis bien incapable de dire comment étaient livrées les armes. Si l’ensemble boîtier-canon est autrichien, les bois et les instruments de visée sont typiquement britanniques. Les armes arrivaient-elles sans bois et en blanc, ou bien étaientelles uniquement finies en Angleterre ? La question demeure. On retrouve ainsi les mêmes armes avec des différences cosmétiques et porteuses de différentes signatures prestigieuses : des George Gibbs à Bristol, Army & Navy, Manton & Co ou encore Jeffery, Rigby, Lancaster et W. Pape à Newcastle, il doit y en avoir d’autres. Il semble que ce soit Gibbs qui ait importé les premières armes, elles eurent un succès immédiat. Dans les colonies, le chasseur pouvait désormais « taper » une antilope à une distance impossible à envisager auparavant. Revenu au pays, il pouvait récolter un chevreuil écossais sans se déguiser en ghillie comme son garde-chasse. La réussite de ces armes ne s’arrêta pas au petit gibier. L’ensemble arme et cartouche présente plusieurs qualités que notre formatage Mauser du
XXe siècle nous a fait oublier. Tout d’abord, la fiabilité sans faille de l’alimentation en ligne – n’oublions pas qu’il s’agit d’une arme militaire qui a été « civilisée ». Des gorges de guidage exactement adaptées au diamètre du culot de l’étui sont taillées dans l’intérieur du couloir d’alimentation. C’est pourquoi le rechambrage maladroit de ces armes en 6,5 x57 dû à l’ancienne législation les transformait en armes à un coup. Ensuite, la douceur au tir, fort profitable à la précision, par l’absence de la trop courante appréhension du recul. Egalement la précision du calibre, que l’on retrouvera dix ans plus tard dans sa version à gorge, le 6,5 x 54 Mannlicher Schoenauer. Enfin, l’incroyable pouvoir vulnérant du projectile de 160 gains qui, taillé comme un crayon et solidement construit, présente une énorme densité de section et une pénétration diabolique et inédite. De plus, ce pro-