A. A. Brown & Sons
Les « best guns » de Birmingham Non seulement Londres n’est pas la seule grande cité de l’armurerie fine anglaise et il n’est pas justifié de reléguer Birmingham au second plan, mais, au sein de cette dernière, Greener et Westley Richards ne sont pas les
Les « best guns » de Birmingham
Certains mythes semblent inébranlables et celui selon lequel les fusils dotés d’une si - gnatu re londonienne seraient supérieurs à ceux fabriqués à Birmingham n’est pas des moindres. Cela est si vrai qu’une adresse à Londres permet, du fait de cette simple origine, d’afficher des prix supérieurs à toute autre origine. Réciproquement, les armuriers de Birmingham sont relégués au se - cond plan. Si vous demandez à quelqu’un de vous citer des fabri- cants de cette cité, vous obtenez, au pire, un silence gêné, au mieux, si votre interlocuteur possède quelque connaissance dans le domaine de l’armurerie fine, vous entendez invariablement les noms de Westley Richards et Greener. Les autres talents de la ville, passés ou actuels, sont systématiquement ignorés. Parmi ces oubliés, A. A. Brown en est un particulièrement illustre.
John Joseph, le fondateur
La naissance de la maison A. A. Brown remonte à moins d’un siècle, mais la tradition armurière de la famille est plus ancienne, d’une génération au moins, sans doute plus, mais les archives n’en ont pas gardé trace. John Joseph Brown, le père d’Albert Arthur, est répertorié com- me armurier au milieu du XIXe siècle. Né en 1853, il est le troisième d’une fratrie de onze garçons, dont cinq armuriers. L’un est graveur, l’autre crossier, les trois autres, dont John Joseph, basculeurs. Deux des fils de John Joseph, John et Albert Arthur, deviennent à leur tour armuriers. La plupart des fusils de chasse réalisés à Birmingham en ce début de XXe siècle sont gravés avec le seul nom du revendeur. Telle était la dure loi pour les nombreux sous-traitants de la ville, fabriquer le meilleur fusil possible à un prix imposé et laisser le commanditaire prendre sa marge, simplement en apposant sa signature. Albert Arthur Brown, sous-traitant spécialisé dans la fabrication des bascules, commence sa carrière dans ce contexte. Compétent et respecté, il est très demandé et travaille pour les meilleurs armuriers londo-
niens, ce qui lui permet, en 1929, de fonder sa propre entreprise, A. A. Brown, au 27 Witthall Street dans le coeur du Gun Quarter, le quartier des armuriers. En 1938, lorsque ses deux fils, Albert Henry et Sidney Charles, le rejoignent, il renomme son entreprise A. A. Browns & Sons. A peine père et fils sont-ils établis que la Seconde Guerre mondia - le éclate. Bientôt, les locaux sont endommagés par les bombardements nazis, les Brown quittent la ville pour le village de Shirley. Ils ne retournent à Birmingham qu’en 1945, au 4 Sand Street. Faute de matériaux disponibles pour la production de fusils de chasse dans les premières années d’après-guerre, les Brown fabriquent des pistolets à air comprimé de leur propre conception, connus sous le nom ABAS Major (ABAS, pour A. Brown and Sons). Geoffrey Boothroyd, spécialiste de l’histoire des armes de chasse, estime que deux mille pistolets furent fabriqués durant cette période. Lorsqu’il est enfin en mesure de produire à nouveau des armes de chasse, à partir de 1948, l’atelier familial reprend son travail de sous-traitance pour de nombreux armuriers.
Rescapé de la tourmente
Au cours de cette période, pratiquement toutes les entreprises de Birmingham sont en déclin, vivant uniquement de réparations, quand elles ne sont pas contraintes de cesser tout bonnement leur activité. Pas A. A. Brown, qui connaît une croissan - ce impressionnante et régulière. « Peut- être parce que les Brown étaient industrieux à une époque où une grande partie de la Grande-Bretagne était tentée de se reposer après la tâche épuisante qu’avait été de vaincre l’Allemagne hitlérienne. Sans doute aussi avaient- ils une main-d’oeuvre mature et hautement qualifiée » , analyse Douglas Tate, spécialiste de l’armurerie fine britannique. Certes, mais les Brown n’étaient pas les seuls à qui l’on pouvait reconnaître cette qualification. La raison de leur réussite me semble être ailleurs. Les rares sociétés
de la ville, Westley Richards et W.W. Greener en tête, qui survécurent à cette période et prospèrent au XXIe siècle sont celles qui entreprirent de copier fidèlement les méthodes de Londres. Londres, qui se spéci a - lisait alors dans le best gun, le fusil fin à platines de très grande qualité, une carte de visite toujours d’actualité pour la capitale britannique, avec la réalisation de quelques carabines à verrou. Cette spécialisation ne fut pas la stratégie choisie par Birmingham, qui peu à peu vit son armurerie s’effondrer sous les coups de l’évolution de la demande mondiale, des nouvelles conceptions, des transformations sociales, de la concurrence étrangère et, last but
not least, de la disparition de l’empire qu’elle fournissait. A l’exception de quelques clairvoyants, dont les Brown, qui comprennent à temps que leur avenir réside dans leur capacité à suivre le modèle londonien, non seulement dans sa spécialisation, mais aussi dans ses procédés de fabrication. L’évolution sera progressive et se fera en deux étapes. D’abord, il s’agit de reproduire le système de fabrication retenu par les grandes maisons londoniennes, c’est-à-dire mettre sur pied une production entièrement réalisée en interne : rassem- bler les différentes pièces de base d’un fusil (ébauche de forge, garnie, tubes, ébauche de noyer, etc.), les distribuer aux artisans de l’atelier selon les compétences de chacun et façonner le fusil pas à pas sous l’oeil attentif du contremaître. Soit une organisation à l’opposé de celle de Birmingham, comme celle de Liège ou de Saint-Etienne, où des armuriers indépendants travaillent à domicile ou dans des petits ateliers, effectuant chacun leur tâche particulière. Le fusil en cours de réalisation voyage d’un atelier ou d’une maison à l’autre jusqu’à devenir un fusil achevé.
Vers une pleine autonomie
Dans les années 1950, les Brown achètent les machines des armuriers A. E. Bayliss et Joseph Asbury afin de forger eux-mêmes les bascules plutôt que de compter sur d’autres ( Webley & Scott notamment). Ils intègrent ainsi pratiquement tous les aspects de la fabrication dans leur atelier. A la fin de cette décennie, l’entreprise produit une grande variété de fusils, principalement de type Anson & Deeley, mais aussi des platines pour des grands fabricants (Holland & Holland, Alexander Martin, Churchill, Jeffery, Cogswell & Harrison, William Evans, etc.) qui trouvent un plus grand avantage économique à sous-traiter à Birmingham plutôt que d’exploiter leurs propres ateliers de Londres, d’Edimbourg ou de Glasgow. Albert Arthur prend sa retraite en 1957. En 1960, le réaménagement urbain entraîne la destruction du vieux quartier des armuriers et les Brown sont expulsés. Westley
Richards leur offre alors un espace de travail dans son usine de Bournebrook. Là, pendant quatorze ans, A. A. Brown & Sons continue de fabriquer des armes pour d’autres armuriers, y compris des platines pour leur bailleur. Ils développent également et fabriquent pour ce dernier le Connaught, un fusil à bascule de type Anson & Deeley, mais avec des parois particulièrement épaisses, ce qui autorise une relime ronde, à la différence de celle, presque carrée, de la plupart des Anson habituels. Ces armes possèdent un style identifiable pour l’oeil exercé, très recherché par les initiés. Après 1974, quand les Brown auront quitté Westley Richards, ce dernier continuera le Connaught, mais sur la base d’une autre bascule, la Webley & Scott 700, sans que jamais le modèle n’égale celui des Brown. Robin Brown, né en 1946 à Birmingham, petit-fils du fondateur et fils de Sidney, rejoint l’entreprise en tant qu’apprenti en 1961, comme crossier d’abord, puis comme trempeur. Quelques années plus tard, Les Jones, l’un des graveurs les plus en vue du pays, intègre l’atelier. Nous sommes en 1974 et débute la se conde étape évoquée plus haut. Les Brown ferment leurs carnets de commandes au reste des armuriers, s’installent dans le village d’Alvechurch, au sud de Birmingham, et commencent à fabriquer des fusils sous leur propre nom, mais sans abandonner la stratégie « londonienne », à savoir fabriquer exclusivement du best gun. Et, depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, la réussite est au rendez-vous, sans publicité, avec pour seul levier de communication – le meilleur de tous – le bouche-à-oreille.
A l’image du Royal H& H
Les Brown produisent, pour une clientèle majoritairement américaine et britannique, française plus rarement (dont les deux directeurs des champagnes Laurent- Perrier dans les années 1970), leur Supreme de Luxe, un platines à l’image du Royal Holland & Holland, jusque dans le self-opening, à ceci près que le leur est indépendant du mécanisme d’éjection. Les premiers modèles ont une bascule standard, avant de revêtir, en 1991, un style se situant quelque part entre le corps carré standard et le rond tel qu’on le voit chez d’autres fabricants. Comme nous l’a confié Robin Brown, le modèle a été développé à la demande d’un client hollandais qui désirait pour son nouveau fusil des bords patinés, tels qu’en donnent de longues années d’usage. Le résultat fut d’une telle beauté qu’il s’est imposé comme le style et la signature Brown. Le A& D fabriqué des années durant est par contre sorti du catalogue, devenu, selon Robin, « peu rentable à fabriquer avec des méthodes traditionnelles » . Avec les décès de son oncle et de son père, en 2001 et 2006, Robin est devenu le propriétaire unique de l’affaire familiale, qu’il gère avec talent et réussite. La relève semble assurée, son fils Matthew l’a rejoint en 2015. La fabrication du Supreme de Luxe se poursuit, aux côtés des travaux de réparation et de restauration. Le plus gros du travail reste réalisé en interne, selon une exécution artisanale et traditionnelle. Le Supreme de Luxe peut être une alternative intéressante à l’habituel « big three » (Purdey, Boss et Holland & Holland), si vous êtes en quête de quelque chose qui sorte de l’ordinaire, de qualité incontestable, mais à un juste prix. Réunir un Holland & Holland et un fusil de Birmingham sur un même piédestal… Certains crieront au scandale. Qu’ils crient… Pendant ce temps, d’autres préfèrent dénicher le luxe suprême là où la majorité ne le cherche pas.