Les Mauser de l’Est
L’histoire des carabines CZ et Brno
CZ et Brno. Pour beaucoup d’entre nous, ces noms sont ceux de deux firmes tchèques synonymes de carabines à petit prix. Seulement ? Oh que non ! Ces armuriers ont produit de magnifiques carabines de chasse et poursuivi l’oeuvre de Paul Mauser, l’ont améliorée même concernant son fameux modèle 98.
Quand on refait le monde (de l’armurerie) autour d’un café ou d’autres breuvages que la loi Evin m’interdit de citer ici, tôt ou tard, se présente la grande question existentielle : êtes-vous un fidèle de l’armurerie britannique ou allemande? Les arguments fusent, le ton monte, sont excommuniées en chemin l’armurerie américaine, coupable de plagiat, la française, reléguée parmi les chapelles de campagne, la belge, qualifiée de rejeton des deux précédentes…. C’est à cet instant, juste avant que mes camarades n’en viennent aux mains ou à l’artillerie lourde, que je fais entendre ma petite musique : « Eh, les amis, vous n’oubliez pas les Tchèques ? » Le travail du fer est une longue histoire dans le quadrilatère de Bohême (appellation géographique du royaume tchèque), puisqu’il remonte au néolithique tardif. Les monts métallifères slovaques voisins apportent le minerai, les denses forêts de quoi
le chauffer. A la Renaissance, les premières armes de chasse à rouet, les tshink, y sont fabriquées. Et, quelque cinq siècles plus tard, à la veille de la Première Guerre mondiale, de grands armuriers, à l’exemple de Lebeda à Prague, produisent des armes fines qui n’ont rien à envier à leurs homologues allemandes ou anglaises.
Nouvel Etat et nouvel arsenal
Le 18 octobre 1918, l’Etat indépendant de Tchécoslovaquie est créé à l’issue du démembrement de l’empire austro-hongrois et, le 28 octobre, la République tchécoslovaque est proclamée par un trio d’hommes d’Etat légendaires, Masaryk, Beneš et Stefánik. La jeune nation développe aussitôt une industrie armurière nationale à partir de ce que lui a laissé l’empire. Dès le mois de novembre, le gouvernement prend le contrôle des usines d’armement de Brno et de Pilsen et les organise en un ensemble cohérent. La production démarre en 1919 avec le MauserJelen en 7 x 57, suivi du 98/22, du VZ 23 et du VZ 24 (VZ pour vzor, « modèle » en tchèque – les puristes noteront que parler de « modèle VZ » relève du pléonasme). Les restrictions imposées à l’Allemagne par les pays vainqueurs ouvrent un boulevard aux arsenaux tchèques qui vont inonder la planète de leurs produits : 500 000 fusils pour la Roumanie, 200 000 pour la Chine, en pleine guerre civile, des contrats avec le Brésil, la Yougoslavie, le Pérou, la Lettonie, la Lithuanie, la Bolivie, l’Equateur, le Guatemala, l’Uruguay, l’Iran, le Nicaragua, le Salvador, le Japon, la Turquie, l’URSS (armes livrées aux républicains espagnols), et j’en oublie… Le succès des « Mauser » tchèques est sans partage. Le 12 juin 1924, la Ceskoslovenská Zbrojovka, A. S. (CZ) est créée et, douze ans plus tard, en 1936, l’usine d’Uherský Brod, où seront fabriquées les armes de chasse, est lancée. Mais la Seconde Guerre mondiale arrive déjà. La Tchécoslovaquie est annexée le 15 mars 1939, les Allemands mettent la main sur un million de fusils de l’armée tchèque, surtout des VZ24 et en feront fabriquer 260 000 pour leur compte. Il faut avouer que le fusil VZ24 est très proche du K98. Les différences ne sont pratiquement que cosmétiques et la quasi-totalité des pièces sont interchangeables d’un modèle à l’autre. Je n’ai jamais vu de modèle me permettant de l’affirmer, mais la production d’armes de chasse sur les boîtiers VZ 24 dut commen-
cer précocement. Six ans de mainmise nazie sur le pays, suivis de quarante-quatre ans de communisme ne furent pas là pour faciliter la diffusion de l’information.
Du recyclage des hélices
Au sortir de la guerre, la reprise économique s’enclenche, la Tchécoslovaquie connaît une embellie hélas bientôt étouffée par la gestion soviétique. L’ensemble des quatorze usines est collectivisé, le conglomérat ainsi formé devient Národní Podník Zbrojovka Brno (« entreprise nationale Zbrojovka Brno »). Le pays équipe sa nouvelle armée avec des armes ultrasophistiquées pour l’époque. J’en veux pour preuve le pistolet VZ52 et son verrouillage à galets (comme la MG42) et la VZ52, une mitrailleuse légère qui, quarante ans avant la FN Minimi, utilise indifféremment des bandes ou des chargeurs. Dans le domaine des armes civiles aussi fleurissent de nouveaux modèles. Un armurier reste un armurier, même sous la férule d’un Gauleiter. En 1942, en pleine guerre, est conçu par Václav Jindra, Jindrich Brejcha et Ladislav Schmittmayer le fusil de chasse semi- automatique CZ 241. Cette extraordinaire bête à bouffer de la cartouche sera commercialisée en calibres 20, 16 et 12 de 1946 à 1950. La légende dit que l’alliage léger de la carcasse provenait des hélices des forteresses volantes abattues à proximité de l’usine… Ce bouillonnement touche aussi les carabines de chasse. Un nom s’im- pose : Otakar Galaš (1904-1967). Ce technicien de l’usine de Strakonice passe une bonne partie de la guerre en Angleterre, où il a travaillé sur le FM Bren (Brno-Enfield) et peut-être sur la mitrailleuse Besa ( ZB 37). Quand il revient en Tchécoslovaquie, en 1946, il donne immédiatement naissance à deux bébés qui nous intéressent au plus au point, la petite ZKW 465 en .22 Hornet et surtout la ZG 47. Avec ces deux armes, l’armurier voulait optimiser le mécanisme Mauser pour un usage civil sans rien perdre de ses qualités de fiabilité. Il y est parvenu. La ZG 47 est magnifiquement réalisée dans les meilleurs aciers, avec notamment un canon usiné dans une barre de Poldi Elektro, ce qui se fait de mieux à l’époque. Quand on démonte l’arme, la qualité de surface des pièces et la rigueur des équerrages sautent aux yeux. Certes, on voit de micro-traces d’usinage, mais au moins n’ont-elles pas été cachées par un polissage de façade. L’aspect satiné relève plus du registre de l’horlogerie que de l’armurerie.
La carabine est chambrée en 7x57, 8x57S, 8x60S, 8x64S et 9,3 x62 pour le marché européen ; .30-06 et .270 WCF pour les Anglo-Saxons. Comme il existait un service de commandes spéciales, quelques rares exemplaires en 10,75x68, 8x68S et 9,3 x64 ont également été produits. Près de 20 000 carabines ont été fabriquées de 1949 à 1963. Waffen Frankonia ayant conclu des accords « privilégiés » avec la Tchécoslovaquie, un nombre important de ces armes a été vendu en Allemagne. Une curiosité et rareté intéressante est la Parker-Hale Hussar, montée avec le boîtier de la ZG 47, mais dotée d’une canonnerie anglaise. Parallèlement à la production de ZG47, la construction d’armes de chasse sur boîtier Mauser continue. La fabrication à partir de M98 (donc de VZ24) n’a cessé que très récemment. Les râteliers de nos armuriers « débordent » de ces carabines simples, sans fioritures, bien construites à partir de boîtiers VZ24 dont les marquages militaires ont été effacés. Ces armes- là ne laisseront jamais tomber leurs propriétaires et, poinçons mis à part, aucune distinction extérieure ne les différencie d’une allemande ou d’une Parker. Pour autant, d’autres carabines tchèques méritent d’être connues, et en tout premier lieu les modèles 21 et 22. Le premier possède un canon long et un fût court, le second est une stutzen à canon court et fût long. L’existence du modèle 22 précède celle de la ZG47, comme me l’a appris une photo trouvée sur internet : un 22 de 1943, marqué sur le côté « Brunner Waffenfabrik Aktiengesellschaft », Brünn étant la transcription allemande de Brno. Il est impossible de comprendre ce qui a pu convaincre les décideurs d’aprèsguerre de continuer à fabriquer des armes qui se chevauchent totalement sur le plan commercial, même si elles se différencient par leur mécanique, le modèle 22 étant plus proche de la conception Mauser d’origine. Mais tôt ou tard, l’heure de la rationalisation devait sonner.
L’utilitaire à son summum
Le tournant va être opéré avec les frères Koucký, Josef (1904-1989) et František ( 1907- 1994), qui sont à l’origine de la série des ZKK, trois lettres pour Zbrojovka Koucký Kulovnice ( kulovnice, « fusil » en tchèque). Les deux armuriers ont à leur actif près de 130 brevets , principalement pour des armes militaires. Le CZ75 vous dit quelque chose ? C’est une de leurs créations. Les Koucký vont prendre ce qu’il y a de mieux pour construire leurs ZKK, qui représentent à mes yeux le summum de l’arme utilitaire. La gamme se compose de trois modèles qui furent lancés en même temps, différenciés par leurs tailles, donc les cartouches auxquelles ils se destinent. Il y a d’abord la ZKK 601, une carabine à boîtier court, chambrée principalement en .243 WCF et .308 Winchester. Quelques modèles se ront réalisés en .222 Remington (elle est perdue dedans !), mais c’est la ZKW527 qui prendra le relai pour ce calibre. Et il existe un modèle répertorié en .223 ! Il y a ensuite la ZKK 600, avec un boîtier moyen, chambrée en 6,5x55 Suédois, 7x57, 7 x 64, .270 WCF, 8 x 57 S, 8 x 64 S, .30-06, 9,3 x 62, 9,3 x 64, etc. Enfin, la ZKK 602 possède un boîtier long et est chambrée en .300 Win. Mag,
8 x 68S, .375 H& H, .458 Win. Mag et .358 Norma Mag. On dit qu’il y eut aussi une 602 en .404 Jeffery (10,75 x 73), mais je n’en ai jamais rencontré. Pour une fois, la coopération avec les « pays frères » a fonctionné : Zeiss-DDR (Allemagne de l’Est) a fabriqué deux lunettes, une x4 et une x 6, spécialement adaptées à une embase qui vient se monter sur la queue d’aronde des ZKK, dans les trois longueurs correspondantes. Quoique anciennes et dépourvues de tourelles de dérive, ces optiques possèdent une clarté extraordinaire. Même affublées de la faucille et du marteau, elles restent des Zeiss ! Introduites en 1965, les trois carabines connaissent un succès commercial massif, reposant sur l’alliance d’une mécanique irréprochable et d’un tarif imbattable. Prix, fiabilité, précision, qualité : un équilibre selon moi jamais renouvelé a été atteint avec ce trio. Certes, les bois sont bien souvent des « planches », la mise à bois va du passable à l’exécrable, mais jamais, absolument jamais, je n’ai entendu de mauvaises histoires mettant en cause la partie mécanique. Du reste, si vous avez l’occasion de côtoyer des guides de chasse en Afrique, vous constaterez qu’il est bien rare qu’ils ne possèdent pas une ZKK 602 en .375 H& H et une ZKK 600 en .30-06 (ou en .270 pour les Français, puisque notre ancienne législation interdisait le .30-06). Comme avec tout produit commercial, le fabricant va simplifier sa gamme au cours du temps, abandonnant l’oeilleton – qui devait coûter une fortune en main-d’oeuvre, même en couronnes pré-91 ! La fabrication cesse en 1993, quatre ans après la chute du mur de Berlin et la liberté retrouvée pour les Tchécoslovaques, qui deviennent cette même année tchèques et slovaques. Dès 1988, l’entreprise avait repris son nom traditionnel de Ceská Zbrojovka. Le 1er mai 1992, la privatisation est totale.
Providentielle Amérique
La disparition des commandes militaires, la suppression de la garantie de l’emploi à vie, l’arrêt du renflouement permanent auraient pu faire couler notre usine, comme ce fut le cas pour tant d’autres durant cette transition, mais une opportunité majeure s’ouvre à elle. Avec la libéralisation du pays, l’exportation vers les Etats- Unis devient possible, ni plus ni moins le premier marché de la planète.
Pendant près de quarante ans, les chasseurs et tireurs étasuniens avaient été privés de produits dont ils connaissaient parfaitement l’existence et la valeur, mais dont l’importation était prohibée comme pour toute marchandise venue de l’Est. Ce qui n’empêcha pas le développement d’un véritable marché, alimenté par le Canada, où l’importation des armes tchèques était autorisée, ainsi que par les GI stationnés en Allemagne. Dans les années 80, une ZKK atteignait un prix de voleur, je ne parle même pas de celui d’un CZ75. Le marché américain commença à se normaliser à partir de 1991 et en 1997 CZ USA était fondée. Un produit doit s’adapter à sa clientèle, la gamme 550/557 en est une parfaite illustration, chaque change-
ment semble avoir été dicté par le goût américain ! CZ va également commercialiser ce que d’autres faisaient sur son dos, des carabines en .458 Lott, .416 Rigby, .505 Gibbs, .338 Lapua, voire .550 Magnum, excusez du peu. Elle lance aussi la Safari Classic II, une arme de chasse africaine luxueuse, pour couper l’herbe sous le pied de ceux qui réalisaient des customs haut de gamme sur ses bases mécaniques. Chaque année apporte sont lot de nouveautés fabriquées à Uherský Brod. Une actualité qui ne doit pas faire oublier le passé de la firme, riche de belles armes méritant un peu plus qu’un regard hautain, a fortiori si on aime chasser sur le Continent noir.