Armes de Chasse

La dépression du tireur à longue distance

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Ooctobre 2017, alors que nous terminons ce hors- série, je pars pour l’Ecosse chasser le cerf, au nord d’Edimbourg, dans la région de Comrie, et tester carabine et balle. Le deuxième jour, après une « balade » de près de six heures, au cours de laquelle j’ai rampé sur cinq cents mètres dans un ruisseau, grimpé l’équivalent de 250 étages, effectué de longs et pénibles sprints dans la pente pour couper la route de cerfs que nous ne reverrons pas et parcouru une dizaine de kilomètres, je suis enfin couché dans la tourbe spongieuse. Pas pour me reposer, mais en position de tir. Devant nous, une dizaine d’animaux et surtout un cerf qui pousse d’interminab­les raires. Sa tête renversée dévoile des pointes sommitales à angle droit comme celles d’un maral. Il est magnifique et viendrait superbemen­t couronner deux jours d’efforts et d’escalade. Seulement voilà, nous ne pouvons plus progresser, du moins sans nous trahir. Et la harde est certes visible, mais à plus de 220, 230 mètres de nous. Une distance de tir convenable, maintes fois pratiquée au stand comme à la chasse… Oui, mais tout n’est pas aussi simple qu’au stand. Nous sommes sur le plus haut sommet des moors environnan­ts et surtout le vent, terrible – la queue d’une tornade venue se perdre en Irlande et aussi dans cette partie de l’Ecosse – vient compliquer les choses. Le vent souffle en rafales violentes, de 70 à 100 km/ h. De plus, il vient de notre droite, à la perpendicu­laire exacte de la trajectoir­e supposée de la balle, et descend vers la vallée sur notre gauche. La veille, par prudence et par habitude, j’ai vérifié le réglage de l’arme, plus 5 cm à 100 m, la table balistique du calibre, le .308 Winchester, et de la balle Federal Trophy Copper. Pas question de laisser une part quelconque à l’improvisat­ion lors d’un tel voyage et au terme d’une journée d’approche et d’efforts. Et puis la préparatio­n de ce hors-série m’a fait me replonger dans les arcanes de la balistique. J’ai la tête pleine de croquis, de trajectoir­es… Je me sens prêt, confiant. Je déplace le réticule vers la droite de 40 cm, histoire de compenser la dérive du vent. Je le remonte 15 cm audessus du défaut de l’épaule, afin de palier la chute du projectile. Le cerf est parfaiteme­nt de profil, je bloque ma respiratio­n après avoir vidé mes poumons, j’approche doucement le doigt de la détente. Au moment où mon doigt rencontre celle-ci, la fine croix du réticule 4 de la Steiner Ranger 3-12 x 56 se situe presque à micerf, sous la colonne vertébrale de ce dernier. Alors que l’adrénaline me fait oublier ma fatigue, que mon coup de pompe est dissipé, j’ignore que je vais être victime d’une sévère dépression… Celle du tireur à longue distance. La détonation, bien qu’atténuée par le silencieux, provoque la panique dans la harde. Le cerf accuse le coup mais pas comme je l’espérais… pas assez. Il n’est pas tombé, il fonce droit devant lui, sur ma droite en fait. Le temps de réarmer et une nouvelle balle l’atteint, en arrière, la troisième le touchera au thorax. Dix minutes plus tard, le temps de franchir la crête située sur notre gauche, nous trouvons le cerf, mort, couché sur le côté. Sa patte avant gauche est rouge de sang, ma première balle est passée par là, mais trop bas, au ras du thorax et presque trop devant… Le vent, comme prévu, a ramené ma balle vers le défaut de l’épaule, bien plus que je le pensais, mais surtout elle est restée étrangemen­t très basse, alors que j’avais pourtant compensé la chute théorique du projectile. Je suis étonné, je ne comprends pas ce qui s’est passé ! Certes, le résultat est là, certes les deux autres balles l’ont atteint, mais cette première balle aurait dû être décisive et, à 2 cm près, elle passait sous et devant l’animal, le manquant. Le réglage de la carabine est vérifié, + 5 cm à 100 m, il n’est pas en cause. La correction était bonne. Bien sûr, le vent violent qui venait de droite a dû plaquer la balle vers le bas, mais pas au point de chuter de plus de 20 cm. De mon côté, pas de coup de doigt, ni de tir hasardeux, j’étais à la fois serein et sûr de ma balle. Ce n’est qu’à mon retour en France que je saurai ce qui est arrivé. Lorsqu’elle sort du canon, la balle avance en tournant sur sa droite, dans le sens des aiguilles d’une montre. Le vent violent qui arrivait de la droite a créé une dépression, sous elle, et l’a fait littéralem­ent chuter. Sans l’appui de l’air, la balle s’enfonce comme dans du beurre. Si le vent était venu de la gauche, elle n’aurait pas chuté, pas autant. La morale de cette histoire est qu’en matière de tirs lointains, de balistique et de trajectoir­es, quel que soit son niveau de compétence­s, il faut rester modeste, s’entraîner et s’informer. Il ne tient qu’à vous de suivre les deux premières règles, la lecture de ce hors- série, quant à elle, vous aidera à appliquer la troisième. Bonne lecture à toutes et à tous, Laurent Bedu

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