7x64 contre .30-06
De l’interdit vient le désir, du désir refoulé le fantasme. Lorsque l’interdit est levé, la libération peut faire perdre tout repère, tout contact avec le réel. C’est en peu de mots résumée l’histoire des deux munitions qui nous intéressent ici !
Polyvalente européenne contre bonne à tout faire américaine
Le 7 x 64 fut longtemps la munition de référence pour le chasseur français, combinant précision, puissance et polyvalence dans un pays où le .30-06 était banni à la chasse. Aujourd’hui, il se retrouve presque abandonné par ceux-là même qui l’encensaient, convertis à la cartouche venue d’Amérique.
La géniale création de Brenneke
Développé en 1917, pendant une des plus sales guerres que l’humanité ait connues, le 7x64 a été pensé, aussi étrange que cela puisse paraître, comme une cartouche de chasse. Son inventeur, Wilhelm Brenneke, utilise l’étui de 8x64S développé en 19101912 comme cartouche militaire, pour les mitrailleuses en particulier, et rejeté par l’armée du Kaiser. Il va adapter une balle de 7 mm, comme celle qui équipe le 7x57 dont le succès est déjà bien établi sur cette douille. Comme le 7x57, auquel il propose une alternative plus puissante, utilisable dans le boîtier des Mauser 98, le 7x64 est pensé autour d’une balle de 11,3 g. Pour cela, l’avisé Brenneke choisit de conserver le pas de rayure de 220 mm (8,8 inches). Ce pas rapide donne toujours aujourd’hui l’avantage à la munition allemande par rapport au .270 Winchester ou au .280 Remington quand on tire des balles lourdes ou effilées comme les monométalliques. Même s’ils ne sont pas légion, certains tireurs amateurs de longue distance utilisent la cartouche allemande, qui vient chatouiller la 7 Remington Mag. Née au milieu des bombes et de la défaite, la munition n’a à ses débuts pas connu le succès qu’elle aurait mérité. Toutefois, on la retrouvera en Europe et en Afrique où ses utilisateurs, souvent germaniques ou nordiques, relèvent son efficacité. En France, elle s’installe dans le paysage cynégétique par l’Est tout d’abord (Alsace, Lorraine, Ardennes), portée au devant de la scène par les chasseurs de grands gibiers élevés « à la chasse allemande » . L’interdiction de la chevrotine, en 1967, et la disponibilité de nombreuses carabines de type Mauser peu onéreuses lui feront gagner en
popularité dans toutes les zones où on chasse le sanglier. La Remington .280, apparue quarante ans plus tard, en est un presque clone. Le marché de la semi-auto de battue étant français, presque tous les fabricants de ce type d’armes mettront le 7 x 64 à leur catalogue. Avec le 8 x 57 IRS et dans une moindre mesure les 9,3, le 7 x 64 Brenneke va contribuer à empiler les carcasses et les trophées. RWS avec ses Tig et KS, et Norma avec ses Vulkan et Plastic Point règnent en maîtres. Jusqu’au dernier trimestre 2013, qui voit cette répu- tation réduite à rien… Car le .30-06 est libéré ! Il flotte comme un air de nouveau débarquement yankee.
Américain, donc universel ?
Le .30-06 découle, on le sait, de la leçon de balistique infligée par les Espagnols aux Américains en 1898 à Cuba. Ces derniers développent d’abord le .30-03 doté d’une balle lourde (220 grains), puis, trois ans plus tard, en réponse aux progrès des munitions d’infanterie françaises et allemandes, le .30-06. Son vrai nom est calibre .30, Ball, M1, Mod 1906. La balle d’origine pèse 173 grains (11,2 g), plus ou moins 3 grains suivant les lots. Le fusil qui la rendra célèbre est le Springfield 1903, une version américanisée du Mauser 98 qui obligera l’Oncle Sam à payer des royalties à Mauser jusqu’en 1917. Dès son adoption par l’armée américaine, le .30-06 se retrouve dans les mains de chasseurs aisés qui vont l’utiliser et en vanter les vertus. Il est disponible en trois poids de balles : 9,7, 11,7 et 14,25 g ( 150, 180, 220 grains). La plus utilisée est la 11,7 g, qui deviendra une sorte de standard. Les chasseurs de plaine et montagne emploient souvent la 9,7 g, alors que la balle lourde se retrouve beaucoup dans les épaisses forêts de l’est et du nord-ouest américain ou en Alaska pour les grands ours. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le .30- 06 n’est pas très employé en Afrique, même s’il y fait des apparitions notables aux mains de personnages célèbres (E. J. White, Teddy Roosevelt, entre autres). Après 1945, la présence de militaires et de chasseurs américains partout dans le monde et l’hégémonie du pays vont contribuer à répandre la cartouche. Partout, sauf en France où elle se voit bannie à la chasse. Après avoir fait fantasmer une partie des chasseurs,
ardemment désirée par les professionnels, distributeurs et fabricants, la .30-06 retrouve sa permission de chasser à la fin de l’année 2013, majoritairement par le biais des semiautomatiques de battue.
Pour quoi et pour qui ?
A l’époque de cette libéralisation des « calibres de guerre », beaucoup vous ont vanté les avantages du .30-06 sur le 7 x 64. De nombreuses inepties furent avancées. Le seul argument un tant soit peu honnête était celui du coût. Pour le reste, à condition de comparer une même marque ou une même balle, les différences sont ridicules. Sans avoir la prétention d’être un spécialiste du .30-06, je l’ai utilisé à l’étranger avant sa légalisation chez nous mais aussi au tir pendant de longues années, tout comme j’ai employé des années durant une Schoenauer en 7x64 Brenneke. A placement de balle égal, le gibier bien tiré succombait de la même façon. Mal tiré, il fallait dans un cas comme dans l’autre faire venir un chien de rouge. Du reste, les Américains, qui n’ont jamais eu de restriction de calibres ou de munitions, militaires ou pas, n’utilisent pas que du .30-06 et ont développé d’autres cartouches pour améliorer les performances terminales de la vieille réglementaire sur certains gibiers ou certaines distances. Et pas depuis hier ! Hornady pousse ses cartouches en Europe et surtout propose des chargements aux bonnes pressions, contrairement à ceux qui, par peur de l’avocat, réduisent la vapeur. Comparons l’Interlock SP ou BTSP. Dans la série Classic, nous trouvons une 7x64 équipée d’une 11,3 g (175 grains) Interlock SP et une .3006 équipée d’une même balle de 11,7 g (180 grains). La 7 x64 sort à 834 m/s à la bouche contre 823 m/s pour la .30-06. Les vitesses de 820 et 830 m/s sont la valeur moyenne tous fabricants confondus pour cette cartouche, en respect de la pression maximale de 4050 bars ( CIP ou SAAMI).
Pour tirer loin : la gagnante est…
A 100 m, en vertu d’un meilleur coefficient balistique, la 7 x 64 est toujours devant. Il en va ainsi sur toute la plage de vol, l’écart augmentant favorablement pour la cartouche de Brenneke au fur et à mesure que la distance s’accroît. En termes d’énergie, les 0,4 g d’écart de poids à l’avantage de l’américaine ne suffisent pas à faire la différence : moins de 10 J de plus à la bouche pour la .30-06, qui est ensuite dépassée par la 7 x 64. Question trajectoire, tous ceux qui tirent connaissent les qualités intrinsèques des balles de 6,5 et 7 mm. La 7x64 reste devant. Un petit 3 cm à 300 m qui, comme pour la vitesse et l’énergie, n’a aucune importance mais démontre que les deux cartouches arrivent à égalité. Exit les arguments publicitaires. La .30-06 a un léger avantage en termes de surface frontale ou de quantité de mouvement mais cela n’implique rien de transcendant ici, ce n’est pas une 9,3. La 7x64 reprend l’avantage en précision et qualité de vol si on emploie de longues ou/et lourdes balles en raison de son pas de rayure bien adapté. Passons chez les Européens de Norma et RWS dont leurs 7x64 ont fait le bonheur de milliers de chasseurs gaulois. Lorsqu’on passe à des balles plus légères, comme les nouvelles sans plomb type Eco Strike ou Evo Green, les deux cartouches sont dans un mouchoir de poche. Egalité. La .30-06 passe devant la 7x64 uniquement lorsqu’on emploie des balles de 200 à 220 grains (13 à 14,25 g), aujourd’hui difficiles à trouver sur le marché français et chargées par de moins en moins de fabricants. Une Oryx de 200 grains sera un bon choix pour celui qui veut emporter sa .30-06 en Afrique, surtout s’il « tire sur les os ». En France, elle ne se justifiera que sur des grands sangliers ou des cervidés tirés en battue ou en végétation dense quand un maxi-
mum de pénétration et d’expansion est requis. Dans le cas de ces cartouches comme de toutes les premium, l’argument de prix devient caduc. On pourrait continuer comme ça longtemps… Il est évident à l’observateur honnête que ces deux munitions font jeu égal dans un emploi généraliste sur 95% des gibiers dans le monde lorsqu’on les compare à balle équivalente. Si on tire loin, le 7 mm prendra l’avantage, tension de trajectoire et précision intrinsèque supérieures à l’appui. Si on tire plus lourd que 11,5 g, le .30-06 passera devant. Si vous voulez changer votre 7x64 pour une .3006, ne vous gênez pas, mais faitesle en sachant que la différence dans le monde réel sera… nulle. Ni les meilleures ni les plus mauvaises des munitions d’affût, de battue ou d’approche, le 7x64 et le .30-06 restent de remarquables polyvalentes.