La fabrication d’une carabine artisanale
Épreuve, essais et fin
(dernière partie) Épreuve, essais et fin
Au terme des quatre premières étapes de notre fabrication artisanale, nous disposons d’une action Mauser canonnée et de sa crosse finie. Il est temps de réunir tous ces éléments pour en faire une belle carabine artisanale.
Non contente d’être belle et unique, notre carabine doit avant tout être fonctionnelle et précise. Pour en juger, le temps est venu pour elle de passer les tests. Afin que cela soit fait sans risques pour sa belle crosse patiemment réalisée, une monture « martyre » est utilisée, c’est-à-dire une crosse Mauser qui ne sert qu’aux essais. Il s’agit d’une crosse en lamellé-collé dont la tuile de canon a été largement ouverte afin de supporter tous les profils. La mécanique est assemblée dans la monture martyre et la carabine est conduite au stand de tir. Equipé de lunettes, d’un casque et de gants de protection, le testeur tire plusieurs types de munitions dans toutes les configurations afin de valider la marche dans son ensemble et l’alignement basique des organes de visée. Si aucun point n’est à corriger, l’arme est rigoureusement nettoyée et, après que le numéro de série et le calibre (selon la dénomination CIP) ont été frappés sous le tube, l’ensemble du système en blanc est confié au banc d’épreuve de Saint-Etienne1. Après épreuve, le mécanisme revient muni d’un certificat de conformité précisant la désignation de l’arme, éventuellement sa marque et son modèle, son calibre, la longueur de son canon, son numéro de série et la pression d’épreuve. Le mécanisme peut alors être assemblé en blanc dans sa monture pour parfaire le réglage définitif des organes de visée au stand de tir.
Finition en blanc et marquages
Les dernières retouches mécaniques ayant été apportées, toutes les pièces sont désassemblées et classées selon leur traitement ultérieur. Le canon est poli à la main avec des portions différenciées, le tonnerre et les divers supports finis sont finement tirés de long alors que le tube est poli en enroulement. Le boîtier de culasse comme le verrou sont polis en long en préservant les marquages originaux, tout comme
le magasin, le pontet et la portière basculante. La lame d’extracteur reçoit un polissage différencié : la portion avant en relief est traitée perpendiculairement à l’axe alors que la queue d’appui l’est en long, et ainsi pour chacune des pièces qui composent l’arme. C’est à cette étape que toutes les vis de travail sont remplacées par la visserie définitive dont les têtes indexées sont saignées à la fendante non avoyée. C’est le moment d’apposer les marquages. Cela doit être fait avec le plus grand soin, ce qui est loin d’être toujours le cas. Les indications doivent être gravées à la main de façon élégante et discrète. Parfaitement exécutées, elles constituent une décoration délicate. Il convient de renseigner le nom du facteur d’arme, le calibre, le numéro de série et tout autre renseignement utile : les numéros de série du canon, du boîtier et de la sousgarde, auxquels peuvent être ajoutés, sur le couvercle du magasin, la capacité de ce dernier et le nom de la cartouche, et, pour certains calibres, l’indication sur le tonnerre du poids de balle utilisé pour le réglage.
Ornementations
La gravure sur une arme est comme la reliure sur un livre, le plus beau des habillages ne fait pas d’un roman de gare un chef- d’oeuvre. Comme la ronce d’un bois dont on ignore le désordre des fibres, la gravure attire l’oeil et fait vendre alors qu’elle n’est qu’une touche finale mettant en valeur le travail de l’artisan. Il faut en être conscient, ce qui ne prive en rien du plaisir de sa beauté. Choisir une gravure pour son arme est un bonheur tant notre époque compte de fabuleux talents. Naturellement, ce n’est
pas à l’armurier de faire ce choix, mais il peut et doit même guider son client, en lui évitant au passage le piège d’un style un peu trop tapeà-l’oeil dont il pourrait vite se lasser. Contrairement aux styles classiques qui habillent depuis plus d’un siècle les armes les plus fines sans jamais paraître surannés.
Une carabine Mauser Ma présente peu de surface su f à traiter et, mis à part le support de la plaque de magasin, peu d’espace pour développer un sujet. Il faut savoir rester sobre et utiliser des surfaces habituellement quadrillées anti- reflets des supports et montages pour apporter par une ornementation de bon aloi une touche d’élégance. Si par contre le client désire un traitement spécifique, il conviendra d’en assurer, en collaboration avec le graveur, le schéma général et de déterminer à l’avance la manière dont la surface sera par la suite traitée, toutes les gravures ne don nant pas le même aspect selon qu’elles apparaissent sur un fond jaspé, trempé gris ou bronzé. Si les canons sont invariablement bronzés, les systèmes et accessoires peuvent recevoir trois types de finitions : un bronzage, une trempe grise et une trempe jaspéjaspée.
Deux façons de bronzer
Le bronzage peut être réalisé selon deux méthodes, le traitement au sels (ou bain alcalin) et le bronzage à la couche. Le bronzage au bain alcalin a été mis au point par Walther à ZellaMehlis à la fin des années 1920 et a été utilisé à Oberndorf à partir de 1934, uniquement sur les actions. Les pièces polies et préalablement dégraissées sont plongées dans un bain de sels composé d’hydroxyde et de nitrate de sodium dilués dans de l’eau et porté à 143 °C. Après une vingtaine de minutes d’immersion, les pièces sont abondamment rincées avant d’être graissées et laissées au repos. Ce type de bronzage donne une couleur uniforme dont la pprofondeur dépendp de la qqualité de la préparation, mais il est nocif pour les soudures à base d’étain, dont il dissout la structure. C’est pourquoi Mauser a longtemps conservé pour ses armes civiles la technique du traditionnel bronzage à la couche. Selon ce second procédé, les pièces dégraissées sont enduites d’une couche de liqueur à bronzer 3 jusqu’à formation d’une fine couche d’oxydation rouge4. Les pièces sont plongées dans un bain d’eau bouillante puis séchées avant d’être cardées à la laine d’acier. L’oxydation initiale laisse la place à une couche noire5 et l’opération est répétée jusqu’à obtention d’une couleur uniforme sur toute la surface. Des deux procédés, le bronzage à la couche est à la fois le plus résistant et celui qui demande le plus de temps et de patience. La force de la liqueur doit être finement dosée, tout comme le temps d’oxydation qui, s’il n’est pas maîtrisé, peut entraîner un aspect « piqué » qu’il faudra repo-
lir à blanc. Le plus grand soin doit être apporté à l’intérieur du canon, brossé et nettoyé à chaque étape, et à tous les recoins où peuvent s’accumuler des résidus, facteurs d’oxydation incontrôlée. On peut arrêter le procédé par un bain dans une solution de bois de campêche bien qu’habituellement cela renforce les noirs au détriment des reflets bleutés. Bien réalisé, le procédé donne aux pièces traitées une surface satinée exceptionnellement résistante aux agressions extérieures.
Trempe grise ou jaspage
Selon le type d’ornementation, les pièces peuvent être traitées en trempe grise, pour mettre en exergue une gravure al bulino par exemple. Il existe plusieurs méthodes pour l’obtenir : le coin
finish – la trempe grise vieil argent chère à Purdey –, la trempe grise au ferrocyanure de potassium et le traitement au gaz. Pour une trempe grise veil argent, les pièces sont trempées dans un bain de sel de cyanure de potassium fondu à 730 °C, puis la couleur est dérochée à l’aide d’acide chlorhy
drique saturé en fer. Les pièces sont alors lavées, graissées, puis repolies, laissant le fond des gravures en noir contrastant sur la couleur argent vieilli. La trempe au ferrocyanure de potassium produit ce gris soutenu que l’on observe souvent sur les armes autrichiennes. C’est une méthode dangereuse car, à partir de 400 °C, le ferrocyanure de potassium se décompose en cyanure d’hydrogèneène et en cyanure de potassium, l’unun et l’autre mortels. Pour pallier ce risque, on utilise maintenant du ferrocyanurerrocyanure de sodium, plus stable. Enfin,nfin, la trempe au gaz (ou nitru-nitrurationtion gazeuse) est un processus à faible déformation, effec-fectuéé autour de 500 ° C, qui amélioreméliore les propriétés de surfarface des composants ferreux.rreux. La couche dee nitrure donne aux pièè ces traitées une hauteaute résistance à l’usureusure et à l’abra-l’abrasionon ainsi qu’une couleurouleur uniforme légèregère ment lai-laiteuseuse que l’on auraura avantage à patineratiner pour faire ressortirssortir le travail du graveur.aveur. Le jaspage est une autre forme de cémentation ; seule la méthode traditionnelle dite « à la boîte » trouve ici sa place. Les pièces à jasper sont disposées dans une boîte en fonte sur une couche composée d’une part de charbon d’os pour une part et demie de charbon de bois, et sont recouvertes de ce même mélange. La boîte est refermée avec son couvercle en fonte et on scelle celui-ci à l’argile. Le tout est mis au four pendant au moins deux heures6, d’abord à 750 °C, puis 600. À l’ouverture du four, la boîte est retirée vivement et les pièces sont aussitôt plongées dans un bain de trempe constitué d’eau distillée additionnée de charbon de bois et maintenu à 12 °C. On obtient une trempe
à cémentation
prononcée dont les couleurs varient du beige clair au bleu vif en passant par toutes les nuances de brun et de vert. Après séchage et contrôle des pièces, les couleurs sont fixées par une couche de vernis. Il faut savoir qu’en transformant la structure austénite en cémentite toutes ces trempes provoquent des tensions internes d’autant plus intenses que le métal est constitué de zones de composition et de masse différentes. C’est pourquoi les pièces les plus complexes doivent être bridées avant le traitement thermique si on ne veut pas avoir à consacrer de longues heures à corriger leur déformation. Les pièces étant traitées, on procède au remontage en noir. L’ensemble des portées et des filetages est soigneusement nettoyé et repris, puis l’intérieur du boîtier, la rampe d’alimentation et les cames d’armement sont repolis minutieusement. La chambre du canon est une dernière fois glacée, et sa bouche et sa face d’appui blanchies avant d’être assemblées au boîtier. Indexé avant l’épreuve, le canon est remis en position, avec un contrôle du parfait alignement des surfaces de référence : support de montage, de hausse et de guidon. Chaque pièce est individuellement reprise, montée, vérifiée, testée avant d’être définitivement assemblée. Ce minutieux travail, qui traite avec la même attention les parties invisibles et celles exposées au regard, signe la qualité de l’arme et témoigne de la passion de son auteur.
Toutes dernières finitions
Les organes de visée font l’objet d’un soin particulier. La hausse et ses feuillets doivent rester mats et reçoivent avant d’être bronzés un traitement de surface satiné obtenu soit par un microbillage vaporeux, soit par un bain d’acide dont la morsure épargne l’or des incrustations. Lorsque l’ensemble du boîtier canonné est monté, il trouve sa place dans la crosse sur laquelle les garnitures auront été remontées. La sous- garde vient alors compléter l’arme. Avant de serrer les vis de finition, deux clés à main sont utilisées pour la mise en place et la vérification du bon positionnement sur la cale de recul et de la saillie de la queue du boîtier. Le couple le plus important est appliqué sur la vis avant, alors que la vis arrière maintient le pontet en appui sur le tube de distance qui court dans son logement. En respectant les couples de serrage, les fentes de toutes les vis de l’arme sont indexées dans l’axe du canon. Cela parfait l’harmonie visuelle, mais surtout constitue un repère qui alerte d’un éventuel desserrage. Certains assemblages doivent être garantis à l’aide d’un frein filet, notamment la serrure du montage
à crochet et les vis de réglage du bloc détente. Mais en aucun cas ces assemblages ne doivent être définitifs, tout ce qui a été monté doit pouvoir être démonté. Notre carabine Mauser est terminée et prête à nous accompagner sur le terrain de chasse. Ceux qui auront eu la patience de lire l’épopée de sa fabrication ont bien compris que cette réalisation n’est pas aussi simple que ce que l’on voudrait leur faire croire. L’arme que nous tenons entre nos mains n’a plus grand- chose à voir avec le fusil de guerre qui porte le même nom, sauf ce remarquable système qui, cent vingt ans après sa naissance, équipe toujours les meilleures carabines de chasse du monde.
1. La législation oblige le facteur de l’arme à la soumettre au bac d’épreuve. Toutefois, il peut opter pour le banc CIP de son choix au sein de l’Europe, l’épreuve de Ferlach ou de Liège étant reconnues au même titre que celles de Suhl, Londres ou Gardone Val Trompia. 2. Pour obtenir un dégraissage parfait, on utilise une fine couche de blanc d’Espagne que l’on carde, une fois sec, avec de la laine d’acier extra fine. 3. Liqueur aux formules variées généralement composées d’acides nitrique et chlorhydrique dilués dans de l’eau pure avec addition de perchlorure de fer et parfois de sulfate de cuivre. 4. L’oxydation rouge correspond au fer ferreux Fe2+. 5. L’oxydation noire correspond au fer ferrique Fe3+. 6. Plus longue est la durée de chauffe, plus profonde sera la couche de cémentation.