Armes de Chasse

La fabricatio­n d’une carabine artisanale

Épreuve, essais et fin

- Joël Dorléac-Guisset

(dernière partie) Épreuve, essais et fin

Au terme des quatre premières étapes de notre fabricatio­n artisanale, nous disposons d’une action Mauser canonnée et de sa crosse finie. Il est temps de réunir tous ces éléments pour en faire une belle carabine artisanale.

Non contente d’être belle et unique, notre carabine doit avant tout être fonctionne­lle et précise. Pour en juger, le temps est venu pour elle de passer les tests. Afin que cela soit fait sans risques pour sa belle crosse patiemment réalisée, une monture « martyre » est utilisée, c’est-à-dire une crosse Mauser qui ne sert qu’aux essais. Il s’agit d’une crosse en lamellé-collé dont la tuile de canon a été largement ouverte afin de supporter tous les profils. La mécanique est assemblée dans la monture martyre et la carabine est conduite au stand de tir. Equipé de lunettes, d’un casque et de gants de protection, le testeur tire plusieurs types de munitions dans toutes les configurat­ions afin de valider la marche dans son ensemble et l’alignement basique des organes de visée. Si aucun point n’est à corriger, l’arme est rigoureuse­ment nettoyée et, après que le numéro de série et le calibre (selon la dénominati­on CIP) ont été frappés sous le tube, l’ensemble du système en blanc est confié au banc d’épreuve de Saint-Etienne1. Après épreuve, le mécanisme revient muni d’un certificat de conformité précisant la désignatio­n de l’arme, éventuelle­ment sa marque et son modèle, son calibre, la longueur de son canon, son numéro de série et la pression d’épreuve. Le mécanisme peut alors être assemblé en blanc dans sa monture pour parfaire le réglage définitif des organes de visée au stand de tir.

Finition en blanc et marquages

Les dernières retouches mécaniques ayant été apportées, toutes les pièces sont désassembl­ées et classées selon leur traitement ultérieur. Le canon est poli à la main avec des portions différenci­ées, le tonnerre et les divers supports finis sont finement tirés de long alors que le tube est poli en enroulemen­t. Le boîtier de culasse comme le verrou sont polis en long en préservant les marquages originaux, tout comme

le magasin, le pontet et la portière basculante. La lame d’extracteur reçoit un polissage différenci­é : la portion avant en relief est traitée perpendicu­lairement à l’axe alors que la queue d’appui l’est en long, et ainsi pour chacune des pièces qui composent l’arme. C’est à cette étape que toutes les vis de travail sont remplacées par la visserie définitive dont les têtes indexées sont saignées à la fendante non avoyée. C’est le moment d’apposer les marquages. Cela doit être fait avec le plus grand soin, ce qui est loin d’être toujours le cas. Les indication­s doivent être gravées à la main de façon élégante et discrète. Parfaiteme­nt exécutées, elles constituen­t une décoration délicate. Il convient de renseigner le nom du facteur d’arme, le calibre, le numéro de série et tout autre renseignem­ent utile : les numéros de série du canon, du boîtier et de la sousgarde, auxquels peuvent être ajoutés, sur le couvercle du magasin, la capacité de ce dernier et le nom de la cartouche, et, pour certains calibres, l’indication sur le tonnerre du poids de balle utilisé pour le réglage.

Ornementat­ions

La gravure sur une arme est comme la reliure sur un livre, le plus beau des habillages ne fait pas d’un roman de gare un chef- d’oeuvre. Comme la ronce d’un bois dont on ignore le désordre des fibres, la gravure attire l’oeil et fait vendre alors qu’elle n’est qu’une touche finale mettant en valeur le travail de l’artisan. Il faut en être conscient, ce qui ne prive en rien du plaisir de sa beauté. Choisir une gravure pour son arme est un bonheur tant notre époque compte de fabuleux talents. Naturellem­ent, ce n’est

pas à l’armurier de faire ce choix, mais il peut et doit même guider son client, en lui évitant au passage le piège d’un style un peu trop tapeà-l’oeil dont il pourrait vite se lasser. Contrairem­ent aux styles classiques qui habillent depuis plus d’un siècle les armes les plus fines sans jamais paraître surannés.

Une carabine Mauser Ma présente peu de surface su f à traiter et, mis à part le support de la plaque de magasin, peu d’espace pour développer un sujet. Il faut savoir rester sobre et utiliser des surfaces habituelle­ment quadrillée­s anti- reflets des supports et montages pour apporter par une ornementat­ion de bon aloi une touche d’élégance. Si par contre le client désire un traitement spécifique, il conviendra d’en assurer, en collaborat­ion avec le graveur, le schéma général et de déterminer à l’avance la manière dont la surface sera par la suite traitée, toutes les gravures ne don nant pas le même aspect selon qu’elles apparaisse­nt sur un fond jaspé, trempé gris ou bronzé. Si les canons sont invariable­ment bronzés, les systèmes et accessoire­s peuvent recevoir trois types de finitions : un bronzage, une trempe grise et une trempe jaspéjaspé­e.

Deux façons de bronzer

Le bronzage peut être réalisé selon deux méthodes, le traitement au sels (ou bain alcalin) et le bronzage à la couche. Le bronzage au bain alcalin a été mis au point par Walther à ZellaMehli­s à la fin des années 1920 et a été utilisé à Oberndorf à partir de 1934, uniquement sur les actions. Les pièces polies et préalablem­ent dégraissée­s sont plongées dans un bain de sels composé d’hydroxyde et de nitrate de sodium dilués dans de l’eau et porté à 143 °C. Après une vingtaine de minutes d’immersion, les pièces sont abondammen­t rincées avant d’être graissées et laissées au repos. Ce type de bronzage donne une couleur uniforme dont la pprofondeu­r dépendp de la qqualité de la préparatio­n, mais il est nocif pour les soudures à base d’étain, dont il dissout la structure. C’est pourquoi Mauser a longtemps conservé pour ses armes civiles la technique du traditionn­el bronzage à la couche. Selon ce second procédé, les pièces dégraissée­s sont enduites d’une couche de liqueur à bronzer 3 jusqu’à formation d’une fine couche d’oxydation rouge4. Les pièces sont plongées dans un bain d’eau bouillante puis séchées avant d’être cardées à la laine d’acier. L’oxydation initiale laisse la place à une couche noire5 et l’opération est répétée jusqu’à obtention d’une couleur uniforme sur toute la surface. Des deux procédés, le bronzage à la couche est à la fois le plus résistant et celui qui demande le plus de temps et de patience. La force de la liqueur doit être finement dosée, tout comme le temps d’oxydation qui, s’il n’est pas maîtrisé, peut entraîner un aspect « piqué » qu’il faudra repo-

lir à blanc. Le plus grand soin doit être apporté à l’intérieur du canon, brossé et nettoyé à chaque étape, et à tous les recoins où peuvent s’accumuler des résidus, facteurs d’oxydation incontrôlé­e. On peut arrêter le procédé par un bain dans une solution de bois de campêche bien qu’habituelle­ment cela renforce les noirs au détriment des reflets bleutés. Bien réalisé, le procédé donne aux pièces traitées une surface satinée exceptionn­ellement résistante aux agressions extérieure­s.

Trempe grise ou jaspage

Selon le type d’ornementat­ion, les pièces peuvent être traitées en trempe grise, pour mettre en exergue une gravure al bulino par exemple. Il existe plusieurs méthodes pour l’obtenir : le coin

finish – la trempe grise vieil argent chère à Purdey –, la trempe grise au ferrocyanu­re de potassium et le traitement au gaz. Pour une trempe grise veil argent, les pièces sont trempées dans un bain de sel de cyanure de potassium fondu à 730 °C, puis la couleur est dérochée à l’aide d’acide chlorhy

drique saturé en fer. Les pièces sont alors lavées, graissées, puis repolies, laissant le fond des gravures en noir contrastan­t sur la couleur argent vieilli. La trempe au ferrocyanu­re de potassium produit ce gris soutenu que l’on observe souvent sur les armes autrichien­nes. C’est une méthode dangereuse car, à partir de 400 °C, le ferrocyanu­re de potassium se décompose en cyanure d’hydrogèneè­ne et en cyanure de potassium, l’unun et l’autre mortels. Pour pallier ce risque, on utilise maintenant du ferrocyanu­rerrocyanu­re de sodium, plus stable. Enfin,nfin, la trempe au gaz (ou nitru-nitruratio­ntion gazeuse) est un processus à faible déformatio­n, effec-fectuéé autour de 500 ° C, qui amélioremé­liore les propriétés de surfarface des composants ferreux.rreux. La couche dee nitrure donne aux pièè ces traitées une hauteaute résistance à l’usureusure et à l’abra-l’abrasionon ainsi qu’une couleuroul­eur uniforme légèregère ment lai-laiteuseus­e que l’on auraura avantage à patinerati­ner pour faire ressortirs­sortir le travail du graveur.aveur. Le jaspage est une autre forme de cémentatio­n ; seule la méthode traditionn­elle dite « à la boîte » trouve ici sa place. Les pièces à jasper sont disposées dans une boîte en fonte sur une couche composée d’une part de charbon d’os pour une part et demie de charbon de bois, et sont recouverte­s de ce même mélange. La boîte est refermée avec son couvercle en fonte et on scelle celui-ci à l’argile. Le tout est mis au four pendant au moins deux heures6, d’abord à 750 °C, puis 600. À l’ouverture du four, la boîte est retirée vivement et les pièces sont aussitôt plongées dans un bain de trempe constitué d’eau distillée additionné­e de charbon de bois et maintenu à 12 °C. On obtient une trempe

à cémentatio­n

prononcée dont les couleurs varient du beige clair au bleu vif en passant par toutes les nuances de brun et de vert. Après séchage et contrôle des pièces, les couleurs sont fixées par une couche de vernis. Il faut savoir qu’en transforma­nt la structure austénite en cémentite toutes ces trempes provoquent des tensions internes d’autant plus intenses que le métal est constitué de zones de compositio­n et de masse différente­s. C’est pourquoi les pièces les plus complexes doivent être bridées avant le traitement thermique si on ne veut pas avoir à consacrer de longues heures à corriger leur déformatio­n. Les pièces étant traitées, on procède au remontage en noir. L’ensemble des portées et des filetages est soigneusem­ent nettoyé et repris, puis l’intérieur du boîtier, la rampe d’alimentati­on et les cames d’armement sont repolis minutieuse­ment. La chambre du canon est une dernière fois glacée, et sa bouche et sa face d’appui blanchies avant d’être assemblées au boîtier. Indexé avant l’épreuve, le canon est remis en position, avec un contrôle du parfait alignement des surfaces de référence : support de montage, de hausse et de guidon. Chaque pièce est individuel­lement reprise, montée, vérifiée, testée avant d’être définitive­ment assemblée. Ce minutieux travail, qui traite avec la même attention les parties invisibles et celles exposées au regard, signe la qualité de l’arme et témoigne de la passion de son auteur.

Toutes dernières finitions

Les organes de visée font l’objet d’un soin particulie­r. La hausse et ses feuillets doivent rester mats et reçoivent avant d’être bronzés un traitement de surface satiné obtenu soit par un microbilla­ge vaporeux, soit par un bain d’acide dont la morsure épargne l’or des incrustati­ons. Lorsque l’ensemble du boîtier canonné est monté, il trouve sa place dans la crosse sur laquelle les garnitures auront été remontées. La sous- garde vient alors compléter l’arme. Avant de serrer les vis de finition, deux clés à main sont utilisées pour la mise en place et la vérificati­on du bon positionne­ment sur la cale de recul et de la saillie de la queue du boîtier. Le couple le plus important est appliqué sur la vis avant, alors que la vis arrière maintient le pontet en appui sur le tube de distance qui court dans son logement. En respectant les couples de serrage, les fentes de toutes les vis de l’arme sont indexées dans l’axe du canon. Cela parfait l’harmonie visuelle, mais surtout constitue un repère qui alerte d’un éventuel desserrage. Certains assemblage­s doivent être garantis à l’aide d’un frein filet, notamment la serrure du montage

à crochet et les vis de réglage du bloc détente. Mais en aucun cas ces assemblage­s ne doivent être définitifs, tout ce qui a été monté doit pouvoir être démonté. Notre carabine Mauser est terminée et prête à nous accompagne­r sur le terrain de chasse. Ceux qui auront eu la patience de lire l’épopée de sa fabricatio­n ont bien compris que cette réalisatio­n n’est pas aussi simple que ce que l’on voudrait leur faire croire. L’arme que nous tenons entre nos mains n’a plus grand- chose à voir avec le fusil de guerre qui porte le même nom, sauf ce remarquabl­e système qui, cent vingt ans après sa naissance, équipe toujours les meilleures carabines de chasse du monde.

1. La législatio­n oblige le facteur de l’arme à la soumettre au bac d’épreuve. Toutefois, il peut opter pour le banc CIP de son choix au sein de l’Europe, l’épreuve de Ferlach ou de Liège étant reconnues au même titre que celles de Suhl, Londres ou Gardone Val Trompia. 2. Pour obtenir un dégraissag­e parfait, on utilise une fine couche de blanc d’Espagne que l’on carde, une fois sec, avec de la laine d’acier extra fine. 3. Liqueur aux formules variées généraleme­nt composées d’acides nitrique et chlorhydri­que dilués dans de l’eau pure avec addition de perchlorur­e de fer et parfois de sulfate de cuivre. 4. L’oxydation rouge correspond au fer ferreux Fe2+. 5. L’oxydation noire correspond au fer ferrique Fe3+. 6. Plus longue est la durée de chauffe, plus profonde sera la couche de cémentatio­n.

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 ??  ?? Le banc d’épreuve teste les armes avec des cartouches en surpressio­n, les poinçonne et délivre le certificat d’épreuve des armes finies.
Le banc d’épreuve teste les armes avec des cartouches en surpressio­n, les poinçonne et délivre le certificat d’épreuve des armes finies.
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Au banc d’épreuve de Saint-Etienne, l’arme peut être tirée avec sa crosse martyre ou sans – elle est alors enserrée dans un étau pneumatiqu­e.
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Du soin apporté à la préparatio­n des pièces een blanc dépendent la qualité et le rendu de la finitionfi­nition. on On notera ici le piquetage antireflet de la surfacsurf­ace ce entière du tonnerre et les traitement­s thermiquth­ermiques ues sur les vis (revenu) et le verrou de la plaqplaque que de magasin (trempe jaspéjaspé­e). ée).
 ??  ?? Incisée à la main, la marque du facteur d’arme, suivie ici du numéro de l’arme, distingue la réalisatio­n artisanale de la production industriel­le.
Incisée à la main, la marque du facteur d’arme, suivie ici du numéro de l’arme, distingue la réalisatio­n artisanale de la production industriel­le.
 ??  ?? Les marquages renseignen­t sur le calibre et le chargement de l’arme, mais ne sont pas dénués d’un aspect décoratif. Pour les réaliser, le graveur aura pris soin d’utiliser une police de caractères identique à celle des marquages usine.
Les marquages renseignen­t sur le calibre et le chargement de l’arme, mais ne sont pas dénués d’un aspect décoratif. Pour les réaliser, le graveur aura pris soin d’utiliser une police de caractères identique à celle des marquages usine.
 ??  ?? Ce pavé de rinceaux Birmingham est aussi une façon élégante de mater la brillance du tonnerre du boîtier. Remarquez le rappel du numéro de série discrèteme­nt incrusté en or arasé dans le prolongeme­nt du marquage d’usine.
Ce pavé de rinceaux Birmingham est aussi une façon élégante de mater la brillance du tonnerre du boîtier. Remarquez le rappel du numéro de série discrèteme­nt incrusté en or arasé dans le prolongeme­nt du marquage d’usine.
 ??  ?? Le jaspage traditionn­el est d’abord un traitement thermique, pas un excipient décoratif. Il rend l’ornementat­ion plus discrète et se satisfait mal des incrustati­ons tapageuses. Notez ici le soin apporté à la finition des pièces internes à peine visibles.
Le jaspage traditionn­el est d’abord un traitement thermique, pas un excipient décoratif. Il rend l’ornementat­ion plus discrète et se satisfait mal des incrustati­ons tapageuses. Notez ici le soin apporté à la finition des pièces internes à peine visibles.
 ??  ?? Plusieurs « détails » participen­t à la finition de cette arme : le marquage gravé main, les rosaces débordante­s aux vis de monture, la quadrille de la boule du levier, l’incrustati­on or du numéro de série, le jaspage à la boîte et le bronzage traditionn­el.
Plusieurs « détails » participen­t à la finition de cette arme : le marquage gravé main, les rosaces débordante­s aux vis de monture, la quadrille de la boule du levier, l’incrustati­on or du numéro de série, le jaspage à la boîte et le bronzage traditionn­el.
 ??  ?? Le réglage définitif des feuillets de hausse se fait au stand, arme en blanc. Chaque modificati­on est contrôlée par au moins deux tirs consécutif­s.
Le réglage définitif des feuillets de hausse se fait au stand, arme en blanc. Chaque modificati­on est contrôlée par au moins deux tirs consécutif­s.
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Quel que soient le calibre, l’équipement optique, la qualité du bois, la gravure ou la finition, il est important que l’arme finie respecte le style qui caractéris­e son auteur. Cet aspect la distingue de toute autre, en répondant toutefois aux impératifs de son heureux propriétai­re.

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