Armes de Chasse

Christian Hénot nous a quittés

Un artiste disparaît, un ami s’en va

- Laurent Bedu

Christian Hénot nous a quittés dimanche 3 juin, après s’être battu de longs mois contre l a maladie. Christian était mon ami, il était aussi un artisan-artiste, une figure incontourn­able et respectée du monde des armes de chasse. Il exerçait un métier oublié : sculpteur sur crosses. C’est lui qui avait ressuscité ce savoir- faire disparu à la fi n du XIXe siècle après avoir été, pendant plus de 400 ans, une spécialité française, un art jalousemen­t gardé, auquel notre armurerie doit une part de sa renommée mondiale. J’ai rencontré Christian pour la pre mière fois en 1995, lors du Country Show qui se tenait alors à l’hippodrome d’Auteuil à Paris. Je fus intrigué par cet homme penché sur son établi, tenant la pointe de son ciseau à bois entre le pouce et l’index de la main droite, comme un crayon. Sous ses mains, copeau après copeau, naissait sur une crosse de fusil ou de carabine une oeuvre d’art unique. Tantôt il réalisait des écailles de poisson, tantôt un quadrillag­e panier. Parfois c’était des feuilles d’acanthe, de chêne qui semblaient pousser sur la crosse. Il donnait vie aussi à des rosaces, des arabesques, des animaux. Son talent semblait n’avoir comme seule limite que notre imaginatio­n. Je l’avais abordé. Nous avions longuement discuté et, au moment de se quitter, il m’avait invité à venir chasser chez lui, à Liffol-le-Grand, la capitale du siège et du meuble. Quelques mois plus tard, j’étais dans les Vosges, chez Christian, bien décidé, sans lui dire, à préparer l’article que je voulais lui consacrer. Deux jours durant nous avons chassé le sanglier, son autre grande passion. C’est là qu’il m’a raconté son parcours, humblement mais sincèremen­t, sans forfanteri­e. C’est là aussi qu’a débuté notre amitié. Fils de sculpteur sur bois, né à Liffolle-Grand, c’est tout naturellem­ent vers le bois et sa sculpture que le jeune Christian se dirige en 1965, à l’âge de l’apprentiss­age. Sous l’oeil sévère d’un professeur, ami de son père, qui attendait beaucoup de lui, il apprend le métier. Christian est doué, très doué même. Pour autant il ne brûle pas les étapes, il fait ses gammes, se perfection­ne, dirige un atelier de sculpture sur meubles. Ce parcours classique de sculpteur sur bois basculera au début des années soixante- dix, lorsque par hasard, au cours d’une de ses journées de chasse qu’il aime tant, il fait une découverte qui va changer sa vie. Dans les mains d’un voisin de poste, il aperçoit une arme allemande dont la crosse a été entièremen­t sculptée. Pour Christian, c’est un choc, une révélation. Il garde en mémoire cette crosse et consacre tous ses moments de liberté à reproduire ce qu’il a vu mais aussi à l’améliorer. Il veut en savoir plus sur cet art disparu qui lui permet de combiner ses deux passions. Il visite tous les musées où sont exposées d’anciennes armes de chasse, demande à explorer les réserves quand cela est possible et cherche dans les bibliothèq­ues des traces de ce métier éteint. Des amis lui confient leur crosse. Il continue à s’exercer et à enrichir ses connaissan­ces de nombreuses lectures. Peu à peu, il retrouve des gestes et des techniques oubliés. Après dix ans d’apprentiss­age, il se sent prêt. Il franchit le pas en 1981 et devient le premier sculpteur sur crosses du XXe siècle. Au fil des salons, des exposition­s, des commandes, son nom devient familier, son travail reconnu. Christian devient une référence, un artiste dont la signature compte. Ces dernières années, à la retraite, il travaillai­t encore un peu, en dehors de la saison de chasse bien sûr, et réalisait des crosses pour une poignée de privilégié­s. Il y a quelques semaines, alors qu’il était très affaibli, il a mis un point d’honneur à terminer un travail en cours, soufflant à Florian, son fils : « C’est certaineme­nt ma dernière crosse, je dois la finir. » Christian est parti à 66 ans seulement. Il nous reste de lui ce métier qu’il chérissait et à qui il a redonné vie, son oeuvre qui embellit les armes de quelques heureux chasseurs et le souvenir d’un homme foncièreme­nt bon, passionné, rieur, généreux, parfois bougon comme pour mieux masquer sa très grande gentilless­e. A sa femme Laurence et à son fils Florian, la revue présente ses plus sincères condoléanc­es.

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Christian Hénot réalisant l’une de ses premières hures de sanglier sur une poignée d’express. Ci-contre, une autre oeuvre, une tête de lion.
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