Parker Otto Ackley
L’homme qui « améliorait » les calibres américains
On pourrait dire de Parker Otto Ackley qu’il fut l’armurier de l’Amérique, son superviseur en chef. L’homme a en effet revisité les grands calibres américains qu’il affublait ensuite, sans la moindre modestie, de son nom et du terme Improved, « amélioré ». Ackley était-il empli de vraies bonnes idées ou juste un pinailleur compulsif ? Voici quelques éléments pour en juger.
Parker Otto Ackley ( 19031989) débuta en 1936 comme armurier à Roseburg, dans l’État de l’Oregon. Plus tard, en 1945, après avoir passé la guerre à l’arsenal d’Ogden ( Utah), où il côtoya sans doute Elmer Keith qui y était contrôleur du banc d’épreuve, il reprit un autre magasin à Trinidad, dans le Colorado. Canonnier réputé, Ackley était un expérimentateur de cartouches spéciales, attiré comme bien d’autres handloaders ( les adeptes du rechargement) par les hautes vitesses et le mur des 1 500 m/ s. Ce n’est pas pour rien qu’il faisait partie de la génération de Roy Weatherby.
« Handloader » intrépide
Il testa les limites de quasiment tous les surplus militaires disponibles à bas prix après la guerre susceptibles de « customisation » et de rechargements acceptables dans les limites de sécurité. On le vit tenter de faire avaler au 6,5 x 50 japonais Arisaka du .30-06 Springfield qui est, rappelons-le, en 7,62 mm ! Ou encore faire tirer des armes culasses non verrouillées juste pour vérifier le concept de solidité des étuis en laiton entrant dans son entreprise d’amélioration des munitions existantes. De tout cela naquit son titre de gloire, ses cartouches au terme « Improved » accolé à leur nom. Elles feront sa réputation quand, en 2008, presque vingt ans après sa mort, Nosler fera valider auprès du SAAMI (l’équivalent américain de notre CIP) une cartouche wildcat devenue « usine », la .280 Ackley Improved. C’était l’aboutissement d’une philosophie qui le fit travailler, de 1936 à 1989, sur une trentaine de calibres, des plus petits (.17 Bee, .22 Hornet) aux plus gros (.475 sur base .375 H & H).
Le .22 fut un de ses premiers chantiers. Ayant remarqué que le calibre était par trop destiné à des carabines de construction légère pour les nuisibles, Ackley entreprit d’en faire un « gros ». Le .22 Ackley CE (Controlled Expansion) était né, avec sa balle à base de cuivre massif coiffée d’un noyau pointu en plomb de 10 grains. Lors de l’impact, la moitié avant du projectile faisait expansion avec fort effet de choc tandis que la base solide continuait d’avancer et de pénétrer profondément. On n’était pas si loin de l’esprit « partition » qui allait voir le jour quelques années plus tard, après la fin du conflit.
« La pression, on s’en fout ! »
La démarche d’Ackley était assez simple : extraire d’un calibre standard une cartouche « améliorée » en jouant uniquement sur cette dernière, sans intervention importante sur l’arme. La plupart du temps, aucun rechambrage ou modification quelconque n’était nécessaire, la munition d’origine pouvait même continuer d’être utilisée. Ces wildcats, sortes d’oiseaux rares a priori introuvables, restaient partout opérationnels en reprenant si besoin des cartouches du commerce ! L’élément clé était la conservation de la chambre initiale pour des cartouches à épaulement accentué (jusqu’à 40 degrés) permettant l’emploi de plus de poudre sans avoir à recourir à des cartouches ceinturées, dites magnum.
Malgré tout, l’emploi d’une plus grande quantité de poudre était assez limité puisque un ratio de quatre sépare l’augmentation du pourcentage de poudre et son effet sur le pourcentage de vitesse gagnée : il faut augmenter la quantité de poudre contenue par l’étui de 10 % pour avoir un gain de vitesse de seulement 2,5 %. Une bonne illustration de cette règle est le .300 Weatherby Magnum, qui brûle 13 % de poudre de plus que le .300 H & H qui l’a initié pour seulement 3,2 % de vitesse supplémentaire. Ackley en conclut qu’il fallait jouer sur d’autres paramètres.
Sa méthode consistait à modifier la partie avant de la chambre, et la capacité ou disons plutôt la ductilité de la cartouche et de son composant, le laiton, pour encaisser le surplus de puissance. Cela exigeait une chambre plus « tolérante » en matière d’usinage, des possibilités de « vol libre » accrues afin de pouvoir passer d’une munition
« usine » à certaines cartouches roulées maison. Le tout en tenant compte de la décote subie par des armes « personnalisées », pour ne pas dire bricolées, que personne n’aime guère rencontrer sur le marché de l’occasion.
Ackley misait aussi sur une poussée arrière réduite, élément moins important sur les armes à verrou que sur les nombreuses carabines à levier de sous-garde inondant l’Amérique. Ce n’est pas par hasard que son .30-30 Winchester Ackley Improved fit un tabac dans l’immédiat après-guerre, donnant un peu plus de marge et d’allonge au « fusil à cerfs » ( white tail,
mule deer, black tail) traditionnel de l’Amérique profonde. La démarche relève du concept hybride, que l’on peut apparenter au paradoxe de l’oeuf et de la poule et formuler ainsi : « Si vous réduisez la poussée sur le verrou, vous réduisez les forces sur le boîtier, lequel, plus solide, maintiendra mieux le verrou qui, dans une certaine mesure, sera susceptible d’encaisser plus » ! Un argument un peu fallacieux et mis à mal dans la revue American
Rifleman qui, dans son numéro de décembre 1953, pointait la pression accrue de la nouvelle cartouche, sur la base d’essais menés avec le .30-06 Springfield. Il faut dire que la publication était la concurrente de Shooting
Times dont Ackley était un contributeur fidèle, de façon régulière de 1960 à 1982. Ackley contra quelques mois plus tard par une réponse qui pourrait se résumer en ces termes : « La pression on s’en fout, l’utilisateur veut de la vitesse sans que ça casse. Si ça marche sans complication, qu’a-t-il à faire de la pression ? »
Ne pas s’arrêter en si bon chemin
Ainsi ancré dans ses certitudes, Ackley s’attaqua ensuite à des calibres très populaires comme le .270 Winchester, le .30-06, le .223 Remington. A titre d’exemple, le vénérable .30-40 Krag d’avant la Grande Guerre voyait sa balle de 180 grains passer de 736 à 878 m/ s, soit un gain en vitesse de près de 20 % ! Son .280 Ackley Improved vint redonner une seconde jeunesse à un calibre bien connu en France, le .280 Remington, qui grâce à son dynamique importateur, Rivolier, permit aux chasseurs de grand gibier de l’Hexagone de se fournir en armes rayées, avant que ne disparaisse, en 2013, l’inepte interdiction des calibres dits de guerre. Le .280 Remington avait été créé en 1957 pour combler le vide entre le .270 Winchester et le .30-06. Il poussait plus rapidement (30 m/s environ) les balles de 140-150 grains du .270 et aussi fort que le .30-06, mais avec une trajectoire plus plate que ce dernier, avec une chute de seulement 5 pouces (12,7 cm) à 300 m.
En 1972, le 7 Remington Magnum l’avait un peu fait passer au second plan, bien que le .280 Ackley Improved donnait peu ou prou les mêmes performances que lui avec des balles de 140 grains ( 9,1 g) à 175 grains (11,34 g). A 100 m, il délivrait toujours plus de 800 m/s et autour de 3 500 J avec moins de souffle et de recul. Il intéressa en premier lieu les rechargeurs et les amateurs d’armes spéciales sur base d’action longue comme d’armes standard à verrou en .270 ou .30-06, .280, que l’on trouve partout aux États-Unis. Nosler proposant désormais des « toutes cousues », suivi par Hornady et Federal, les fabricants (Dakota, Savage, Kimber) le font même avec des armes directement chambrées dans ce calibre qui peut tout abattre en France. Mais attention, tous ces calibres rapides et rasants risquent bien d’être mis au rencart par le récent 6,5 Creedmoor qui monte en puissance aux Etats-Unis, et déjà ou bientôt un peu partout dans le monde.
Trente ans plus tard néanmoins, la polémique n’est pas retombée entre les supporters qui embellissent les écrits du maître ( qui consacra cinq ouvrages à ses conceptions balistiques) et tous ceux qui, comme saint Thomas, estiment qu’« amélioré » ne veut pas forcément dire meilleur. Il faut bien reconnaître que la plupart des avantages revendiqués dans les années cinquante résisteraient aux tests modernes qui sont désormais les nôtres. Malgré tout, il existe aujourd’hui une vingtaine de calibres « Ackley Improved » , et autant de wildcats du même acabit. Tous ou presque peuvent être d’office qualifiés d’obsolètes puisqu’ils ne sont plus du tout chargés par les grandes marques d’encartoucheurs, même chez les américains. En outre, les poudres ont beaucoup progressé, améliorant de facto les performances des vieux calibres qu’Ackley entendait améliorer. Pour autant, allons quand même voir tout cela de plus près.
Des réponses en chiffres
Hormis le .280 Ackley Improved, dont personne ne conteste la pertinence mais qui n’est connu chez nous que de quelques spécialistes, le meilleur gain de vitesse fut obtenu avec le .30-40 Krag : 19 % avec une balle de 180 grains, déjà désuète en 1900 puisqu’il fallut lui substituer le .30-06 ! Certaines « améliorations », Ackley le reconnut lui-même, ne donnaient rien ou pas grand-chose avec des calibres déjà rapides comme le .22- 250, le .220 Swift (sur l’amélioration duquel le grand Roy Weatherby lui-même se cassa les dents) ou le .257 Roberts. Pour ce dernier, très populaire outreAtlantique avant-guerre, le seul gain de 4 % ne se concevait – et encore, de peu – que parce qu’on pouvait lui adjoindre des balles plus lourdes que la munition standard de 117 grains chez ceux qui rechargeaient. Même le légendaire 7 x 7 Mauser (ou .275 Rigby), calibre fétiche des grands « chasseurs blancs » tels Jim Corbett et Karamojo Bell, « amélioré » à 13 % de vitesse supplémentaire, ne faisait que jeu égal avec le .270 Winchester, munition universelle des années 1930 et 40, ce dernier avec moins de poudre et, surtout, moins de recul. De même, le fameux Ackley Improved (gain de vitesse de 12 % avec des balles de 150 grains) rivaliserait tout juste de nos jours avec les récentes Hornady LEVERevolution tirées dans leur calibre original le .30-30 Winchester !
Pour autant, il est une qualité que l’on ne peut retirer à Ackley, celle de réunir le talent de l’écrivain et de l’expérimentateur. Une vertu devenue rare de nos jours où la belle plume et l’alésoir ne se côtoient plus guère.