Armes de Chasse

Le Rey-Dumarest modèle 1806

Un fusil de chasse génial, beau et rare

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La famille Rey, à SaintÉtien­ne, peut s’enorgueill­ir d’une lignée impression­nante d’arquebusie­rs. On trouve trace de leurs activités dès les années 1600 et jusqu’en 1950, quand Firmin Rey cède l’atelier Brun-Latrige acheté en 1922.

Mariage fructueux

A la suite de mariages, le nom des Rey est plusieurs fois associé à celui de l’épouse, comme il était d’usage lorsque la demoiselle était elle-même issue d’une famille d’arquebusie­rs, afin que l’union du couple favorise également celle des deux clientèles. C’est le cas avec le fusil qui nous intéresse aujourd’hui : son concepteur est l’époux d’une des filles de la célèbre branche des Dumarest. A dater de ce mariage, l’atelier d’arquebuser­ie a pour nom Rey-Dumarest (de 1802 à 1835). Toutes les armes qui en sortent sont de grande qualité, mais un summum est atteint avec le modèle qui nous intéresse aujourd’hui, présenté à l’Exposition de Paris de 1806. Non seulement il possède des finitions superbes, mais il réunit un condensé d’innovation­s pour l’époque. Un simple coup d’oeil laisse présager un luxueux mais banal fusil à chiens extérieurs, c’est en fait d’un modèle à percussion centrale inédit qu’il s’agit.

Les platines sont de type arrière, joliment ouvragées de rinceaux en relief avec au centre un cartouche vierge de tout marquage. A l’avant sont disposés deux faux chiens qui se révèlent être les armeurs des éléments de percussion internes. Ils sont joliment décorés. C’est le même type d’armeurs que l’on retrouvera sur le Pauly de 1812 (cf. Armes de Chasse n° 10, 3e trimestre 2003). En position relevée vers l’arrière, ils compressen­t un grand ressort bilame directemen­t broché sur une tige cylindriqu­e traversant le rempart de culasse. Il s’agit d’un percuteur d’un genre très particulie­r : l’extrémité de la tige n’est pas pointue comme d’ordinaire, mais une rosette massive y est vissée, augmentant d’autant la surface de frappe du percuteur. Le

rempart de culasse a été évidé d’une double cuvette pour loger cette tête si particuliè­re.

Le tonnerre des canons comporte une large gorge en drageoir de 3 mm de diamètre, une dimension bien trop importante pour un bourrelet de cartouche à étui classique. Ici, cette gorge reçoit un culot en laiton percé d’un orifice en son centre et fraisé en cuvette lui aussi. C’est dans cette cuvette qu’est disposée une amorce-pilule fulminante, maintenue en place par une fine pellicule de cire qui a en outre l’avantage d’assurer l’étanchéité. Lefaucheux reprendra ce culot pour son modèle 1862, mais sans amorce.

La cartouche utilisée est de type combustibl­e, c’est-à-dire à étui cylindriqu­e en papier roulé contenant la charge et obturé aux deux bouts. Curieuseme­nt, les chambres sont très courtes : de seulement 45 mm avec un raccord absolument droit, sans aucun cône de raccordeme­nt. Cela implique l’utilisatio­n de cartouches équipées de bourres en feutre très plates, de 3 mm d’épaisseur, qui eurent leurs adeptes à une époque. Une munition à étui massif de laiton a existé ultérieure­ment pour les armes de ce type.

Un damas tiré par les cheveux

Les canons sont en damas d’une qualité exceptionn­elle. La texture a été façonnée avec un savoir-faire hors du commun. Le lopin a sans doute été travaillé à partir de câbles et non de barrettes pour obtenir un dessin d’une telle finesse. Les brins d’enroulemen­t ont la taille d’un cheveu et forment des bouclettes deux fois moins volumineus­es que le damas Boston. La bande décroissan­te reliant les canons est aussi en damas, mais moins voluté ; cette différence entre les deux motifs embellit encore l’esthétique de la canonnerie. La bande porte un bandeau fleuri en or rose et jaune marqué en lettres capitales : « Canon damas frisé ».

Un tel travail sort forcément des mains d’un maître canonnier, et on trouve effectivem­ent la signature de N. Bonnaur poinçonnée, toujours en majuscules, sous les canons : « Bon

navrn » – généraleme­nt, mais pas ici, cet artiste doublait sa signature d’un B majuscule et parfois du coeur vendéen surmonté d’un L couché. Figurent aussi le poinçon à palmes primitif de SaintEtien­ne, un matricule (423), ainsi qu’un poinçon ovale frappé en son centre du nombre 18. Eh oui, nous sommes en présence d’un rarissime calibre 18 (cf. Armes de Chasse, hors-série n° 10, 2018, « Les calibres lisses oubliés »,

p. 16). Par acquis de conscience, nous vérifions les cotes : l’arme est forée en double lisse à 16,5 mm – l’intermédia­ire entre le 20 à 16 mm et le 16 à 17 mm. Les chambres concordent elles aussi : le 16 n’entre pas, alors que le 20 flotte. La longueur des tubes est de 80 cm, une dimension qui engendre un fort déséquilib­re vers l’avant pour un fusil somme toute léger (2,8 kg).

Verrouilla­ge simple mais indestruct­ible

Le verrouilla­ge est extrêmemen­t simple, à un seul verrou, mais d’une efficacité sans faille. L’arme n’a pas le moindre jeu. Il est vrai qu’une telle pièce d’exposition n’a pas dû beaucoup servir sur le terrain. Sous le tonnerre est soudé un fort crochet pyramidal percé d’un trou cylindriqu­e en son centre. A la fermeture de l’arme, ce crochet plonge dans une mortaise correspond­ante de la bascule. A l’extérieur, sous la bascule, un doigtier est monté en glissière. Il actionne dans son va- et- vient une forte tige cylindriqu­e venant se glisser dans l’oeillet du crochet, le traverse et se prend dans le bas du rempart de culasse. C’est inébranlab­le. L’arme pourrait exploser que le verrouilla­ge resterait en place. Un ressort de rappel maintient le doigtier en position arrière, donc de blocage de la fermeture. Aucun risque d’ouverture intempesti­ve en cours de chasse n’est à redouter avec cette arme, contrairem­ent à d’autres issues des mains d’armuriers pourtant réputés.

L’axe de la charnière est situé à 10 cm de la base du rempart de culasse, donc très en avant du crochet de verrouilla­ge. L’éloignemen­t de ces deux points clés garantit la stabilité lors du tir. Cet axe traverse un fort tenon soudé aux canons dans lequel passe également la tige d’extracteur. Cette partie charnière est encapuchon­née par une coiffe en acier joliment ciselée qui vient terminer le devant.

Le devant est un long prolongeme­nt de la bascule. Il a été évidé pour être habillé de bois de noyer assorti à la crosse faisant gagner l’arme à la fois en légèreté et en esthétique. Une longue embase de support du pontet est en allonge sous le devant et se prolonge jusqu’à l’extrémité de la poignée. C’est sur l’avant de cette armature qu’est fixé le doigtier de déverrouil­lage.

Toutes ces pièces métallique­s sont admirablem­ent ciselées de volutes, rinceaux et fleurettes. Un décor en relief orne les platines et leurs faux chiens, la queue de bascule, le pontet et le retour au talon de la plaque de couche. Les motifs sont repris à l’identique sur les autres parties, mais en incision. La tête de bascule est agrémentée d’un cran de mire ciselé d’éclairs. Le tout est encadré d’une inscriptio­n en lettres capitales en or jaune : « Par brevet d’invention Rey Dumarest à St Etienne. »

Un monstre de beauté

La mise à bois est à l’image du reste de l’arme : exceptionn­elle. La crosse a été taillée dans une loupe de noyer d’une densité hors du commun baptisé

noyer de marbre. Elle est à poignée dite bec de canard, mais avec une extrémité sculptée de part et d’autre de deux dragons. Ces monstres ont la particular­ité d’avoir un nez crochu et sont identiques, en modèle réduit, à celui figurant sur la crosse du Bachereau (cf. Armes de Chasse

n° 69, 2e trimestre 2018), ce qui porte à croire que les deux armes sont passées entre les mains du même ornemanist­e. La crosse se termine par une sculpture en enroulemen­ts feuillagés et de fleurs surplomban­t une rosace (une marguerite à quatorze pétales). L’embase du porte-bretelle est en argent mouvementé, tenu par deux minuscules vis à bois à tête bleuies.

En examinant une telle arme, on ne s’étonne guère qu’elle ait été choisie pour être présentée dans une vitrine aussi importante que celle de l’Exposition de paris. Plus qu’une arme de chasse, c’est une oeuvre d’art. Elle est d’ailleurs passée par des collection­s prestigieu­ses, dont la dernière, celle de Marcel Pittel, fut mise en vente à l’Hôtel Drouot en avril 2015. Ces ventes avec exposition­s préalables ont le mérite de permettre d’approcher de très jolies pièces à ceux qui ne peuvent s’en porter acquéreurs. Ce fusil Rey-Dumarest est un bonheur pour les yeux du collection­neur !

 ??  ?? 1. Les cartouches combustibl­es sont dans les chambres, les culots obturateur­s positionné­s par-dessus, il ne manque que les boulettes d’amorçage.
1. Les cartouches combustibl­es sont dans les chambres, les culots obturateur­s positionné­s par-dessus, il ne manque que les boulettes d’amorçage.
 ??  ?? 2. Sur le rempart de culasse apparaisse­nt les percuteurs, pas en pointe, mais en masselotte pour écraser la boulette fulminante.
2. Sur le rempart de culasse apparaisse­nt les percuteurs, pas en pointe, mais en masselotte pour écraser la boulette fulminante.
 ??  ?? Le nom de Dumarest se retrouve deux siècles plus tard avec les production­s contempora­ines de la cartoucher­ie Rey, côtoyant ici le superbe Rey-Dumarest 1806.
Le nom de Dumarest se retrouve deux siècles plus tard avec les production­s contempora­ines de la cartoucher­ie Rey, côtoyant ici le superbe Rey-Dumarest 1806.
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 ??  ?? 1. Le bouton poussoir du verrou d’ouverture est situé à l’avant du pontet.
1. Le bouton poussoir du verrou d’ouverture est situé à l’avant du pontet.
 ??  ?? 3. C’est à l’extrémité du devant, sous une capuche (ici ôtée) que se situe le poussoir manuel de l’extracteur.
3. C’est à l’extrémité du devant, sous une capuche (ici ôtée) que se situe le poussoir manuel de l’extracteur.
 ??  ?? 2. Le faux chien sur les platines est en fait un armeur manuel pour le système de percussion interne, à l’image du Pauly de 1812.
2. Le faux chien sur les platines est en fait un armeur manuel pour le système de percussion interne, à l’image du Pauly de 1812.
 ??  ?? Le pedigree du fusil marqué à l’or jaune sur le haut de la culasse : « Par brevet d’invention Rey-Dumarest à St-Etienne. »
Le pedigree du fusil marqué à l’or jaune sur le haut de la culasse : « Par brevet d’invention Rey-Dumarest à St-Etienne. »

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