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Les frères ennemis réunis
Dickson et MacNaughton, les fleurons de l’armurerie fine écossaise se sont longtemps affrontés devant les tribunaux, chacun revendiquant la paternité des bascules rondes. Désormais réunis au sein d’une même firme, ils restent incontournables et fabriquent deux des plus belles armes au monde, le Round Action et le Bar in Wood, nées à Edimbourg au XIXe siècle. J’ aime les armes. Je les aime toutes : les juxtaposées, les superposées, les semi- automatiques, les platines, les Ansons, les trigger plate, à chiens ou sans chiens, à culasse basculante, tournante ou coulissante. C’est simple, tout ce qui possède un canon et fait « bang » me passionne ! Je suis séduit par l’idée même d’un outil fabriqué pour accomplir une fonction simple mais de manière optimale, en associant à cette efficacité une incroyable beauté. Bien sûr, certaines armes, notamment les plus fines, m’enthousiasment plus encore. Et au sein cette petite catégorie, il y a encore une poignée de modèles qui occupe dans mon coeur et mon âme une place tout à fait privilégiée. Le Bar in Wood de MacNaughton, originellement baptisé l’Edinburgh Gun, et le Round Action de Dickson sont de ceux- là.
Ces armes aux lignes parfaites, à l’équilibre quasi miraculeux, furent créées à la fin du siècle et sont souvent désignées comme les plus belles représentantes de l’art armurier. L’Edinburgh Gun et le Round Action sont des modèles d’élégance, de force et de finesse. Ce sont des armes qui raviraient à la fois l’ingénieur et le sculpteur. Elles sont le fruit d’un coup de génie opéré par deux armuriers écossais : John Dickson et James MacNaughton.
Leur beauté n’est pas seulement esthétique, elle est également et surtout fonctionnelle. Cela signifie que ces armes sont non seulement légères et bien équilibrées, lisses et élégantes, mais que leurs formes et leurs proportions sont en pleine harmonie avec les réactions musculaires et le sens tactile du tireur. Elles possèdent au plus haut degré la faculté de se conformer instantanément aux intentions de leur utilisateur, sans le distraire en aucune façon de l’objet de sa poursuite. Il est rare d’atteindre ce niveau de perfection, c’est l’apanage des chefs- d’oeuvre du savoirfaire armurier.
1879, le coup de génie de MacNaughton
Au- delà de leurs qualités intrinsèques, les deux modèles possèdent une dimension, osons le mot, transcendantale, qui les distingue de toutes les autres armes de chasse. Lorsque vous saisissez un Edinburgh Gun ou un Round Action, il se passe aussitôt quelque chose, une part de votre être est immédiatement touchée. L’espace d’un instant, vous vous sentez différent, unique, privilégié. Alors que tant de modèles se voient rattrapés, après pourtant de belles heures de gloire, par les innovations technologiques ou de nouvelles normes ou préférences esthétiques et baissent en valeur au fil des ans, pour ces deux- là, les prix sont en constante ascension jusqu’à atteindre des sommets dans les ventes aux enchères. Quand bien même leur technologie serait jugée dépassée – même si je ne crois pas un instant qu’elle puisse l’être un jour – leur part de rêve demeurera éternellement intacte. Comme un être vivant, ces deux fusils ont une histoire – une lignée d’ancêtres, des racines culturelles et géographiques.
Tout commence le 12 juillet 1879, lorsque le British Patent n° 2 848 est accordé à James MacNaughton pour l’invention d’une bascule dans laquelle le mécanisme de mise à feu est monté sur la plaque de sous-garde et qui comporte une longue
clé d’ouverture ajourée – dite squelette – servant à la fois à actionner le système de fixation et à armer le mécanisme. Cette découpe dans la clé – sous laquelle se trouve une fenêtre rectangulaire découpée au sommet de la bascule, encadrée d’argent et fermée par un morceau de mica translucide – est destinée à nous permettre de découvrir le sommet des têtes de chiens dorés lorsque ces derniers sont armés. Ce genre de détail est la preuve que bien des chasseurs n’étaient pas prêts à adopter les nouveaux fusils alors en vogue, les hammerless sans chiens extérieurs, puisque cela revenait à renoncer à ces précieux indicateurs d’armement.
L’armement à l’aide de la clé d’ouverture n’est pas nouveau. Il remonte aux premiers hammerless – le fusil Mouse Trap conçu par Theophilus Murcott (1871) ou celui de Gibbs & Pitt (1873). Le principe consistant à installer le mécanisme sur la sous-garde – que nous connaissons sous les appellations de trigger plate action, de système Blitz ou de bascule à sous-garde – était déjà pratiqué par les Allemands au début du XIXe siècle. MacNaughton s’est contenté de le revisiter. D’après certaines sources, c’est un certain George Coster, armurier et ami de MacNaughton, qui lui en aurait soufflé l’idée et l’aurait même aidé à concevoir son modèle. Quoi qu’il en soit, MacNaughton a marqué ce concept d’un coup de génie en donnant à la bascule cette rondeur parfaite qui la rend unique.
MacNaughton emploie alternativement et parfois ensemble deux appellations pour son nouveau fusil : Edinburgh Gun et Model 1879. Il le décline rapidement en une version bar- in- wood, où la bascule est quasi enfermée dans le prolongement avant de la crosse, engloutie par le bois. Sont dès lors réunis dans une seule arme une prouesse mécanique, un travail de mise à bois prodigieux et un design envoûtant.
La réponse des Dickson
John Dickson, deuxième du nom, est installé à quelques pâtés de maisons de l’atelier de MacNaughton, dans le quartier des armuriers d’Edimbourg. Son armurerie, fondée par son père en 1820, est la plus célèbre d’Ecosse. Il observe d’un mauvais oeil l’ascension de James MacNaughton, son ancien apprenti puis employé. Le succès de l’Edinburgh Gun ne fait que confirmer ce qu’il pressentait : son statut de premier armurier d’Ecosse est désormais menacé. Une farouche rivalité débute dès lors entre les deux maisons, agrémentée de procès et contentieux en série.
Dickson & Sons fabrique des fusils à chiens basés sur les brevets de Richard Brazier, Thomas Horsley, Westley Richards, Charles Lancaster et Purdey. A la fin des années 1870 s’ajoute un tout petit nombre de fusils sans chiens,
certains établis sur le système Anson & Deeley, d’autres sur le brevet n° 761 de Scott & Baker. John Dickson sait que pour garder son titre de premier armurier de la nation il doit se démarquer de la concurrence et réaliser son propre modèle de fusil sans chiens. Sa survie économique en dépend. Il confie cette mission à son fils, John Dickson troisième du nom, petit- fils du fondateur.
Nul autre que John « III » ne peut mieux relever ce défi. Il montre depuis son jeune âge un esprit inventif, supérieur à celui de ses aînés. Sa contribution à la notoriété et à l’histoire de l’entreprise familiale est immense. « Sans lui, écrit l’Anglais Donald Dallas, spécialiste de l’histoire des
armes fines, John Dickson & Sons aurait été un fabricant
d’armes fines comme les autres. » Il prendra la succession de son père en 1885, à l’âge de 42 ans, et assura la direction de l’entreprise jusqu’à sa retraite, en 1923.
Lui et James MacNaughton se connaissent bien. Ils ont fait une partie de leur apprentissage ensemble chez Dickson & Sons. James, né en 1838, a cinq ans de plus que John et a vu ce dernier intégrer l’atelier en 1857, alors que lui- même entamait sa quatrième année d’apprentissage. James restera ensuite cinq années chez Dickson comme armurier, de 1859 à 1864, année où il ouvre sa propre entreprise au 33 George Street. Quinze ans plus tard, il lance l’Edinburgh Gun, qui se retrouve bientôt entre les mains de son ancien camarade et collègue, à qui a été donnée
l’injonction de faire mieux. John sait que le concept de ce fusil est « génial » , mais pour autant encore perfectible. Trois ans après MacNaughton, en février 1882, sa version est prête : le Round Action ( brevet n° 873).
Au lieu d’utiliser le système d’armement par clé de l’Edinburgh Gun – qui a l’inconvénient de rendre l’ouverture de l’arme assez dure –, John a opté pour l’armement par effet de levier des canons. Pour ce faire, il ne fait qu’adapter son brevet n° 294, obtenu le 23 janvier 1880 pour une notoriété bascule et à à platine s arrière, au système de trigger plate. Un armeur- tiroir traverse la table de bascule dans sa longueur qui coulisse d’avant en arrière. Son extrémité avant vient au contact d’une protubérance du devant en fer tandis que l’extrémité arrière agit sur la base du chien. A l’ouverture du fusil, la protubérance repousse le tiroir, qui recule et déplace le chien vers l’arrière et l’arme. Le brevet n° 294 était luimême une copie quasi conforme d’un brevet antérieur, enregistré un an auparavant par Daniel Fraser ( n° 5 111, 13 décembre 1879). Un seul élément différencie les deux brevets : le positionnement du tiroir armeur, qui se trouve à l’extérieur de la table de bascule dans la configuration de Fraser, à l’intérieur pour le Dickson.
Le système mis au point par John Dickson ne nécessite pas ans plus de tard, recourir il lance à des levier sar meurs logés sur les flancs de la bascule, contrairement au système Anson & Deeley. Il en résulte un armeur coulissant très fin et central qui occupe
peu de place dans la bascule, celle-ci gagne encore en finesse et en rondeur. Deux brevets plus tard – le n° 9 393 et le n°10 621 de 1887 –, qui concernent le système d’éjection, le Round Action aura trouvé sa forme actuelle.
Objets inanimés…
James MacNaughton est lui aussi convaincu que l’armement par l’effet de levier des canons est la voie à suivre. A partir des années 1890, il dote ses armes du même dispositif que celui utilisé par Dickson. Ces modèles sont reconnaissables d’un coup d’oeil à leur clé supérieure plus courte et plus classique, dépourvue de trou central.
Finalement, MacNaughton perdra son procès contre Dickson, la justice ne reconnaîtra pas que le Round Action est une copie de l’Edinburgh Gun et renverra les deux armuriers à leur atelier.
La rivalité entre les deux armuriers écossais est d’ailleurs révolue depuis la fusion des deux maisons en 1947. Aujourd’hui, les deux armes conservent une aura égale dans le monde des armes fines avec toutefois leurs partisans qui ne se mélangent que rarement. Mais elles sont désormais fabriquées dans le même atelier par les mêmes armuriers, sous la direction du jeune Jean-Pierre Daeschler, qui a acquis l’entreprise en 2018.
L’Edinburgh et le Round Action sont disponibles dans tous les calibres usuels à l’exception du .410. Au rythme de trois à cinq armes réalisées annuellement, il faut compter avec un délai de livraison de dix-huit mois. Les prix du Dickson débutent à 56 000 €, ceux du MacNaughton à 70 000. Si cette échéance et surtout ce budget sont envisageables pour vous, ce que vous obtiendrez est tout simplement stupéfiant. Sinon, il vous reste le marché de l’occasion. Sans y être rares, les deux modèles n’y sont pas courants, surtout l’Edinburgh. Ce sont des acquisitions qui ne déçoivent pour ainsi dire jamais. Elles sont durables et voient même leur valeur croître avec le temps, du fait de leur technique conçue pour résister à l’usure, de leurs matériaux que les années patinent et embellissent, de leur design intemporel. Ces objets-là ne sont pas faits seulement de métal et de bois, ils ne sont pas inanimés, ils ont une âme, pour paraphraser La Martine. A l’instant où je tiens un Round Action ou un Edinburgh dans les mains, je sens le vent sur mon visage et la bruyère humide sous mes pieds, alors qu’un couple de setters Gordon quête devant moi à la recherche de la grouse. L’Écosse est là, ses lochs, ses highlands, ses châteaux en ruine, ses murets de pierres couverts d’une mousse vert émeraude, ses soirées autour d’un ardent feu de tourbe, ses single malt, sa panse de brebis farcie, sa bière brune chaude, et les vers de Robert Burns, poète chasseur de grouses :