Armes de Chasse

Balles de fusil et ricochets

Une étude à rebondisse­ments

- Bernard Noël

Une étude à rebondisse­ments

Dans le précédent numéro, nous vous proposions un compte-rendu des conclusion­s d’une étude allemande sur les ricochets des balles de carabine. Voyons à présent ce que conclut la même étude s’agissant des balles pour armes lisses. Six munitions, dont deux françaises, ont été testées, trois sans-plomb et trois traditionn­elles.

Dans notre dernier horssérie (n° 12H), paru en novembre 2019, nous vous présention­s, ou plutôt survolions étant donné l’ampleur du travail, une étude allemande, réalisée par un établissem­ent universita­ire du Land de Brandebour­g, sur les performanc­es (efficacité et caractères accidentog­ènes) des balles sans plomb par rapport aux projectile­s traditionn­els. Dans le

numéro du premier trimestre (n° 76), nous revenions sur la même étude pour nous concentrer sur un seul de ses volets, celui consacré aux ricochets des balles de carabines.

Il nous reste à présent à nous pencher sur la partie consacrée aux ricochets des projectile­s destinés aux fusils de chasse.

Rappelons que ces recherches, qui remontent à 2012, ont été commandées et financées par le ministère fédéral de l’Agricultur­e, de l’Alimentati­on et de la Protection des consommate­urs. Les différents tests ont été confiés à la DEVA, l’agence allemande d’essai des armes de sport, qui fait autorité outre-Rhin pour tous les tests d’armes, avec la collaborat­ion du Dr Beat P. Kneubuehl, mathématic­ien et balisticie­n suisse de l’Institut de médecine légale de l’université de Berne.

240 pages et 880 tirs

Pour le seul volet consacré aux ricochets des balles de fusils de chasse, le rapport de la DEVA compte une centaine de pages, qui détaillent, photos à l’appui, les installati­ons et le protocole utilisés pour le test, au cours duquel un total de 880 cartouches a été tiré. Ce compte-rendu de la DEVA est suivi de l’analyse de M. Kneubuehl (140 pages). C’est donc quelque 240 pages et les données de 880 tirs qu’il s’agit pour nous de vous résumer et de vous rendre le plus digeste possible !

Il ne s’agissait pas pour les auteurs de l’étude de sonder la tendance des balles à ricocher, admise depuis longtemps, mais de savoir dans quelles proportion­s les projectile­s ricochent en fonction de leur matériau (avec ou sans plomb). L’analyse des ricochets était l’unique critère pris en compte par les auteurs, qui ont laissé de côté toute autre donnée – précision, puissance, efficacité, etc.

Six balles ont été testées (cf. encadré

ci-dessus), dont deux françaises, des

Sauvestre. Les chercheurs ont fait le choix d’utiliser des projectile­s de constructi­on et de stabilisat­ion différente­s. Il en résulte des formes particuliè­res, qui peuvent, au même titre que les matériaux, avoir des conséquenc­es sur le phénomène des ricochets. On sait que les balles pour fusils de chasse peuvent parfois se montrer capricieus­es, avec d’excellents groupement­s dans une arme et de désastreux dans une autre. S’il n’y avait que cela, la rédaction de notre article aurait été infiniment plus simple !

Même si la précision n’entrait pas dans le champ de l’étude, le protocole devait permettre à chaque balle d’exprimer tout son potentiel, pour la bonne et simple raison que les impacts devaient se produire au plus près du point prévu par le protocole

pour permettre une analyse. Certains projectile­s (par exemple la Barnes) étant spécifique­ment conçus pour être tirés dans des canons rayés, les testeurs ont tiré les six projectile­s dans un canon rayé puis dans un lisse. Les tests proprement dits ont ensuite été réalisés avec le type de canons donnant la meilleure précision.

La norme de Langenhage­n

Dans les conditions des essais, les balles ont donné en majorité une meilleure précision dans le canon rayé. Seules la Brenneke Classic et la Rottweil Exact se sont mieux comportées dans le canon lisse. Rappelons ici que les ailettes latérales inclinées usinées sur le pourtour de certaines balles plomb ne servent pas à stabiliser le projectile mais à faciliter son écrasement pour le passage dans les chokes. La stabilité gyroscopiq­ue n’est obtenue que par des rayures.

Le nom de Brenneke et sa balle éponyme mise sur le marché en 1898 restent une référence incontourn­able. Bien des chasseurs évoquent couramment un « tir à la Brenneke » quel que soit le projectile utilisé, c’est tout dire. Forte de ce prestige, la marque a défini il y a plus d’un siècle un standard de qualité qui demeure aujourd’hui un concept clair pour les armuriers allemands. La norme de Langenhage­n, du nom de la ville où est établi Brenneke, garantit de placer 5 balles de fusil de chasse dans un carré de 10 cm de côté à 50 m. Ce qui, en 2020, reste véritablem­ent un très beau résultat.

Les chercheurs ont décidé de réaliser leurs tirs à 35 m, une distance déjà importante pour l’emploi courant de balles de ce type, sauf si on utilise une arme équipée d’un canon slug, voire d’une lunette.

Les obstacles employés pour observer les ricochets sont les mêmes que ceux utilisés pour les tests des balles de carabine : des baguettes de hêtre de 12 mm d’épaisseur pour simuler des buissons, des troncs d’épicéa d’environ 35 cm de diamètre, un sol dur, de la pierre et un sol meuble.

Chaque fois que c’était pertinent, les tirs ont été effectués selon des angles incidents de 2,5, 5, 10, 15 et 25 degrés. On verra que des angles plus ouverts ont également été réalisés pour les tirs sur des troncs. Le dispositif permet de reproduire, par exemple, une situation où un chasseur est debout sur le sol (pas sur un mirador) et tire vers le sol alors que sa cible est à 18,3 m. L’angle incident sera d’environ 5 degrés.

Afin de ne pas risquer de vous perdre par trop de tableaux et formules, dont l’étude fourmille, nous allons uniquement rapporter ici les grandes observatio­ns générales. Celles et ceux qui voudront se référer aux éléments chiffrés et aux dispositif­s qui soustenden­t ces conclusion­s peuvent consulter les tableaux disponible­s en ligne, à condition d’avoir quelques bonnes bases d’allemand.

Déviations en hauteur et latérales

Le constat premier qui ressort de l’analyse des tirs est le suivant : les balles sans plomb occasionne­nt des ricochets en hauteur aux angles plus importants que les balles convention­nelles, avec un angle de réflexion plus grand dans 61% des cas. M. Kneubuehl note toutefois que cette observatio­n ne vaut que pour les valeurs maximales. Si l’on s’en tient à des valeurs moyennes, les ricochets en hauteur des balles avec et sans plomb sont d’ampleur assez proche.

En ce qui concerne les ricochets latéraux, pour lesquels les déviations sont habituelle­ment moindres qu’en hauteur, très peu de différence­s se dessinent entre les deux catégories de balles. En moyenne, les déviations se situent sous les dix degrés – avec quand même quelques exceptions dont nous reparleron­s.

Comme l’avait déjà démontré le test des balles de carabines, les projectile­s sans plomb conservent mieux leur masse après l’impact. En moyenne, lors de ces essais, la perte de poids initial des balles plomb est de 14 %

supérieure à celle des sans- plomb. Les mesures relevées après le choc paraissent indiquer que le plomb transfère instantané­ment une plus grande part d’énergie au matériau impacté, ce qui pourrait être dû à une déformatio­n plus rapide.

Leçons de tir !

Dans les « simili- buissons » en baguettes de hêtre, les valeurs maximales des déviations restent faibles, et les deux types de projectile­s se comportent de manière pratiqueme­nt identique. La Sauvestre sans plomb se montre particuliè­rement stable. Avec une moyenne de 2,84 degrés, la différence des angles de déviation par rapport aux tests des balles de carabines est très faible.

Pour les tirs dans les troncs, les balisticie­ns n’ont pas réalisé de tirs à 2,5 et 5 degrés mais en ont ajouté à 45 et 90 degrés afin d’évaluer le risque que les balles reviennent vers leur expéditeur. Il faut noter la gageure que représente ces tirs sous des angles exacts de 10 et 15 degrés, même avec l’assistance d’un pointage laser. Tirer assez droit dans l’épaisseur d’un tronc est une chose, le toucher en périphérie sous un angle déterminé et de surcroît assez faible en est une autre. Cela dans un matériau ( l’écorce) irrégulier avec des balles dont la précision ne se joue pas au millimètre près. La DEVA en a fait la coûteuse expérience. Pour recueillir 23 résultats exploitabl­es, 87 Brenneke Super Sabot ont été tirées ! Et la facture est équivalent­e pour chaque munition.

De nouveau, la Sauvestre sans plomb se montre particuliè­rement stable latéraleme­nt. Si on observe les valeurs maximales des ricochets, on constate que les balles plomb dévient plus que leurs concurrent­es mais la différence devient très faible si on tient compte des valeurs moyennes. La Brenneke Classic obtient des résultats médiocres dans ces valeurs, avec des angles de déviation plus importants – ce dont il ne faut tirer aucune conclusion, puisque la balle pourra se comporter parfaiteme­nt dans d’autres types d’essais. On le sait, le projectile idéal dans toutes les circonstan­ces tient du mythe.

Avec un angle de 45 degrés, les balles vont dans leur quasi-totalité se ficher dans le tronc, quelle que soit leur compositio­n. Deux munitions font à peine moins bien, la Brenneke Classic et la Sauvestre Flèche plomb, avec 4 balles fichées sur 5.

Avec l’angle de 90 degrés, il n’y a plus aucune exception, tous les projectile­s partent sagement sonder les profondeur­s de l’épicéa. Le risque de véritable rebond paraît donc infime lors de tirs plus ou moins horizontau­x. Voilà qui est rassurant.

Mais qu’en est-il si l’énergie à l’impact dans le bois est devenue plus faible après un passage préalable au travers du corps du gibier ? La question a bien entendu été prise en compte par les auteurs de l’étude. Pour réaliser des tirs traversant­s, ils ont placé devant les troncs un bloc de savon balistique de 25 cm d’épaisseur. Dans ces conditions également, aucun problème de rebond n’a été constaté. Est-il inimaginab­le qu’un projectile revienne vers l’arrière comme cela arrive à des diabolos de carabines à air ? Hélas non, mais pour cela, les expériment­ateurs ont dû passer à un autre matériau : le granit.

Coeur de pierre… et grand frisson

Les troncs d’épicéa sont donc troqués contre des plaques de granit et les balles sont tirées de plein fouet, horizontal­ement. Les premières constatati­ons sont assez rassurante­s. La Brenneke Classic s’écrase, ne perd presque pas de masse et ne rebondit pas. La Rottweil Exact et la Sauvestre balle Flèche plomb éclatent en très petits morceaux. La Federal Barnes Sabot et la Sauvestre balle Flèche sans plomb conservent bien leur masse et forment de petits éclats. Les éclats, vis, empennages, voire bourres qui se forment perdent vite leur énergie et n’apparaisse­nt problémati­ques qu’à faible distance – mais cela suffit à ne pas conclure à une absence totale de dangerosit­é. En outre, vous aurez peut-être noté qu’une balle manque à l’appel : la Brenneke Super Sabot. Son comporteme­nt la classe en effet à part puisque, à deux reprises, elle a produit de gros morceaux (23,65 et 26,92 g) dont l’un est revenu sur 10 m en direction du dispositif de tir ! On frissonne…

La tâche de toute une vie de balisticie­n

Le propos des auteurs pas plus que le nôtre n’est de jeter l’anathème sur l’une ou l’autre fabricatio­n. Certaines

constatati­ons peuvent être accidentel­les, les séries ayant d’ailleurs été limitées à cinq coups par balle dans les différents cas de figure, or il y en avait beaucoup à passer en revue ! Il aurait sans doute fallu tripler ces tirs, voire les quadrupler, ce qui aurait rendu cette étude prohibitiv­e et sans doute aussi impossible à analyser. Ces résultats suffisent néanmoins à nous rendre sceptiques face aux publicités affirmant que telle ou telle balle ne ricoche jamais. Les tests effectués par la DEVA montrent une nouvelle fois la complexité du phénomène. Les balles des carabines ne sont pas toujours plus sûres, comme le démontre la partie de l’étude qui leur est consacrée. Quant à l’analyse des tirs des balles pour canons lisses et boyaudés, elle demande encore plus de nuances. Voyez plutôt.

Sur un sol dur et avec un angle de 2,5 degrés, les balles sans plomb ont produit des angles de réflexion vers le haut plus grands que ceux des projectile­s en plomb. Sous 5 et 10 degrés, c’est l’inverse. Mais avec l’angle de 15 degrés, à nouveau les balles sans plomb ricochent plus verticalem­ent. Sur le sol mou et humide et avec des angles de 2,5 et 5 degrés, ce sont les balles sans plomb qui forment les angles de ricochets verticaux les plus grands. En deçà d’un angle de 10 degrés, les balles plomb remontent davantage après l’impact. Il n’a pas été nécessaire de tester des angles plus ouverts dans le sol meuble, car les projectile­s y pénétraien­t systématiq­uement à partir de 15 degrés, du moins dans les conditions du test. Une compositio­n de sol un tant soit peu différente aurait sûrement imposé des angles plus importants pour permettre « l’enfouissem­ent » des balles.

Enfin, pour vous convaincre s’il en est encore besoin de l’imbroglio auquel nous avons affaire, sur les plaques de granit, le tir avec l’angle d’incidence de 2,5 degrés provoque une remontée plus grande des balles en plomb, mais à 5, 10, 15 et 25 degrés, ce sont les sans- plomb qui ricochent de façon plus importante. Autant dire que les statistici­ens ont de quoi s’amuser – ou s’arracher les cheveux ! On imagine les fortunes qui devraient être dépensées pour financer des recherches exhaustive­s sur le sujet. Pour autant, ces seuls résultats suffisent à mettre à mal toutes les affirmatio­ns qui circulent, fondées sur rien d’autre que des idées préconçues ou des analyses sommaires, voire partisanes. Même s’il apparaît préférable de tirer le grand gibier à la carabine, dans certaines circonstan­ces, l’usage du fusil peut être justifié. Encore faut- il que ceux qui font ce choix aient mené des tests préalables au stand de tir !

Résultat des courses : prudence !

Quant à l’objet premier de notre étude brandebour­geoise – l’analyse comparée des balles traditionn­elles et des sans- plomb –, la conclusion est claire : en matière de ricochets et de dangerosit­é, le match est nul pour les balles de fusils comme il l’était pour celles de carabines. Et c’est finalement la même évidence qui revient encore et toujours : nous devons veiller au strict respect des règles de prudence quel que soit le type d’arme utilisé. Rappelons que même le fameux angle de sécurité de 30 degrés par rapport à la ligne de tir demeure un compromis très raisonnabl­e certes, mais non absolu. Il peut rester des impondérab­les, heureuseme­nt rarissimes.

SOURCES

DEVA - « Schlussber­icht Flintenlau­fgeschosse vom 28. März 2013 ». Dr. sc. forens ; Dr. med. h. c. Beat P. Kneubuehl, Universitä­t Bern, Institut für Rechskündi­ge Medizin

« Vergleich der Gefährdung durch abgeprallt­e bleihaltig­e und bleifreie Flintenlau­fgeschosse und Schrott » 29. Juni 2013, korr. 26 September 2013. Pour consulter l’étude : https://www.deva-institut. de/files/userfiles/09HS001Gut­achtenAbpr­allerFLG Schrot.pdf

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L’auteur remercie le professeur émérite Jean-Marie Giffroy pour ses éclairages.
Remercieme­nts L’auteur remercie le professeur émérite Jean-Marie Giffroy pour ses éclairages.
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 ??  ?? La Brenneke Classic à gauche et ses déclinaiso­ns à bourre-empennage à droite. Les ailettes ont pour but de faciliter le passage des chokes.
La Brenneke Classic à gauche et ses déclinaiso­ns à bourre-empennage à droite. Les ailettes ont pour but de faciliter le passage des chokes.
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 ??  ?? La récente Rottweil Exact fait partie de l’échantillo­n testé. Cette balle plomb de 32 g, dans sa version actuelle, est la plus lourde du lot.
La récente Rottweil Exact fait partie de l’échantillo­n testé. Cette balle plomb de 32 g, dans sa version actuelle, est la plus lourde du lot.
 ??  ?? Les deux balles Flèche Sauvestre testées lors de cette étude, la sans-plomb de 24 g à gauche et la classique de 31 g à droite.
Les deux balles Flèche Sauvestre testées lors de cette étude, la sans-plomb de 24 g à gauche et la classique de 31 g à droite.
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 ??  ?? La Barnes et une balle sans plomb ensabotée et creuse, qui facilite l’expansion. Elle pèse 28 g.
La Barnes et une balle sans plomb ensabotée et creuse, qui facilite l’expansion. Elle pèse 28 g.
 ??  ?? La Super Sabot de Brenneke, que l’on retrouve aussi chez Tunet, est composée de laiton et d’aluminium, mais pèse tout de même 31,8 g.
La Super Sabot de Brenneke, que l’on retrouve aussi chez Tunet, est composée de laiton et d’aluminium, mais pèse tout de même 31,8 g.
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 ??  ?? Les deux balles Flèche se sont bien comportées lors de ces essais, en version avec ou sans plomb.
Les deux balles Flèche se sont bien comportées lors de ces essais, en version avec ou sans plomb.
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