828 U Beccaccia
Pour la mordorée, mais pas que
Pour la mordorée, mais pas que
Benelli est arrivé il y a moins de cinq ans sur le marché du fusil superposé avec son très original 828 U, qu’il n’a depuis cessé de faire évoluer. Après le Black et le Sporting, la maison d’Urbino nous offre le Beccaccia, une version destinée à la mordorée, mais qu’il serait fort dommage de réserver uniquement à cette dernière.
Un petit rappel pour ceux qui prennent le train en marche et se demandent d’où vient le nom de ce fusil, fait d’une lettre et de trois chiffres. Il faut savoir qu’à Urbino, chez Benelli, on a toujours aimé associer passé historique et innovation technologique. Le nombre 828 correspond au numéro de référence de la ville d’Urbino dans la nomenclature des sites classés au Patrimoine mondial de l’Unesco. La lettre U est l’initiale et le symbole d’Urbino, une cité qui fut au coeur du Rinascimento, la première Renaissance italienne, au
XVe siècle. La ville a accueilli et soutenu les plus grands créateurs de cette époque, qu’ils soient peintres, savants, architectes ou sculpteurs (Pietro della Francesca, Raffaelo, Perugino, Bramante, etc.). Leur empreinte reste bien présente dans la région et l’esprit de ses habitants et elle inspire volontiers l’équipe de concepteurs de Benelli.
La chasse buissonnière
La chasse à la bécasse est captivante. L’oiseau est cent pour cent sauvage et se défend très bien. Utilisant mimétisme, déplacements rapides au sol et vol imprévisible et en zigzag, il demande de bons chiens, de bonnes jambes, des réflexes vifs et précis et aussi un bon équipement. Sa quête dans son tènement de sous-bois denses tout comme son tir dans un espace encombré imposent des fusils légers, maniables, rapides à l’épaule et bien équilibrés. Même si nombre de chasseurs occasionnels ou spécialistes continuent, particulièrement sur les terrains plus ouverts ou en montagne, d’utiliser une arme classique à tubes
de 71 cm, les fusils « bécassiers » se sont généralisés depuis une bonne vingtaine d’années, avec leurs canons courts et leur poids souvent inférieur à 2,9, voire 2,8 kg en calibre 12. Le 828 U Beccaccia en est une version ultime à la mode de Benelli.
Même démonté, le Beccaccia se distingue d’emblée des autres 828 U par la finition de sa bascule, dont l’anodisation tire sur le brun ou le bronze vieilli, par des canons plus courts (61 cm) et par l’inscription 828 U dorée sur les flancs de bascule. La tête de bécasse stylisée, sur la calotte de poignée, confirme la destination de ce fusil pour ceux qui auraient encore un doute. La crosse et le devant sont en noyer turc. Les beaux noyers se raréfiant et devenant de plus en plus onéreux, et donc l’apanage des armes de luxe, Benelli a eu recours au laser pour donner aux bois de son Beccaccia l’apparence d’un grade plus élevé. D’origine, la longueur de la crosse est de 36,5 cm. On retrouve la poi
gnée pistolet et la « quadrille » du 828 « classique ». Ce dessin me paraît très bien choisi, il procure une tenue excellente et sans agressivité pour la paume de la main et m’a donné l’impression de faciliter le changement de prise en main tout en restant efficace sous les averses.
Chacun y trouvera sa place
Le devant bien dessiné contribue à cette sensation et à cette efficacité. Les compagnons de chasse à qui j’ai fait essayer le fusil, plus affûtés que moi à la chasse de la mordorée et autres oiseaux difficiles, sont du même avis. Malgré la différence de morphologie des uns et des autres, la longueur de la crosse semble adaptée à une majorité de chasseurs, particulièrement lors des tirs instinctifs. Il est toutefois possible de la modifier avec des accessoires et cales fournis.
Comme sur les autres 828 U, nous retrouvons le système Progressive Comfort de Benelli, qui intègre un modérateur de recul à l’intérieur de la crosse. Le principe repose sur un bloc de lamelles multicellulaires en élastomère fixé dans la crosse et terminé par la plaque de couche en techno-polymère souple. Lors du tir, les lamelles s’écrasent plus ou moins en fonction des forces exercées, réduisant la perception du recul au niveau de l’épaule. La disposition des lamelles limite aussi le cabrage du fusil, ce qui permet un retour en ligne plus rapide, améliorant vitesse et précision lorsqu’il faut doubler. On peut vivre sans, mais il devient difficile de s’en passer dès lors qu’on y a goûté.
Tous les adeptes du fusil le savent, c’est la crosse qui tue et sa mise en conformation est primordiale. La configuration du 828 U rendant impossible le travail à la presse et à l’huile, Benelli livre le Beccaccia avec un jeu de cales offrant quarante possibilités d’ajustement en pente et avantage. Déjà employé sur certains semi-automatiques de la marque, ce système permet à chacun de trouver sa place derrière la crosse du Beccaccia et d’optimiser son rendement au tir. Le manuel bien conçu et bien traduit (chose de plus en plus rare) permet d’en comprendre aisément le principe. Lors de l’achat, je vous conseille de vérifier la conformation et de la faire ajuster par votre armurier si cela s’avère nécessaire.
Bouderiez- vous son confort ?
Tel que sorti de la boîte, le Beccaccia a parfaitement rempli sa fonction première et même bien au-delà. Et j’aurais pu peaufiner la mise en conformation pour gagner encore un peu en rendement, mais j’ai préféré ne pas jouer sur les réglages de l’arme qui m’avait été prêtée par Humbert, l’importateur de la marque.
L’insert du busc interchangeable en élastomère renforce encore le confort de la crosse. Ce busc typique des armes Benelli est d’une vraie efficacité pour amortir la transmission des chocs vers le cerveau et les vertèbres par les os de la mâchoire, d’autant que le Beccaccia est léger. Les puristes diront que la chasse à la bécasse n’est ni du trap ni une passée aux canards, ce qui est vrai, mais je les défie de ne pas apprécier ce busc souple et confortable à l’usage.
Le système Progressive Comfort est optimisé pour le tir de cartouches de 30 à 36 g, ce qui ne signifie pas qu’il soit inefficace avec des charges plus lourdes, mais son rendement en termes d’amortissement sera plus faible. Le tir de quelques cartouches de 42 g ne m’a cependant pas permis de constater cette perte d’efficacité. Le Beccaccia reste plus confortable que tous les autres fusils de poids égal avec la même charge.
Quand technique et esthétique vont de pair
La bascule en alliage léger renferme l’ensemble bloc de détente et percussion, facilement amovible pour un entretien complet en fin de saison ou après une semaine irlandaise sous la flotte. La monodétente sélective est dorée. La sélection se fait par le large poussoir de sécurité placé en arrière de la clé d’ouverture. Ergonomique et facile à actionner, le système ne vaut toutefois pas une bonne vieille double détente. C’est mon avis, et il ne pourra de toute façon rien contre la standardisation de la monodétente.
Le 828 U se démarque de tous les autres fusils du marché par son esthétique et son verrouillage, le Lock Plate, très original pour un modèle pour la chasse. Il s’inspire du bloc basculant interne des systèmes Jäger que l’on trouve sur certaines carabines doubles ou monocanon destinées au grand gibier. Il consiste en un bloc en L en acier spécial qui s’insère dans la partie supérieure de la frette des canons alors qu’un renfort inférieur de cette frette prend place dans la partie basse du bloc. Deux petits verrous coniques, placés de part et d’autre de la clé d’ouverture, viennent se loger dans l’extension supérieure de la frette, au niveau du milieu du canon supérieur. Cette disposition combinée au système Lock Plate supprime tout mouvement de rotation ou de cisaillement lors des départs. Une vraie fermeture de coffre-fort ! Ce bloc de verrouillage basculant encaisse toutes les forces de recul ; le culot des cartouches portant sur l’acier, la bascule en alliage ne supporte aucune contrainte. Ce type de verrou a fait ses preuves sur de puissantes carabines et devrait garantir de très nombreuses années de service au Beccaccia.
Les tourillons de basculage sont eux aussi très originaux. Ils sont partie intégrante d’une petite plaque en acier traité qui pourra être remplacée le cas échéant si l’usure se fait sentir à ce niveau. C’est astucieux et bien pensé, parfaitement dans la ligne de conduite Benelli où technique doit rimer avec esthétique. Tous les points de la mécanique soumis aux efforts ou aux frictions sont en acier pour une durée de vie accrue.
Les canons de 61 cm de type Power Bore Crio possèdent une âme de 18,3/18,4 mm qui contraste avec la mode du suralésage à 18,7 mm ou plus. Le bécassier qui apprécie les bourres grasses ne sera pas pénalisé, contrairement à celui qui tire avec un fusil suralésé optimisé pour l’emploi exclusif des bourres à jupe et godet. Nous ne nous étendrons pas sur le
traitement Crio, marque de fabrique de Benelli désormais bien connue. Pour faire simple, les canons subissent un traitement cryogénique (à très basse température) qui rend leur acier plus résistant et délivrant des performances balistiques améliorées.
Un chambrage dans l’air du temps
Les chambres permettent l’emploi de toutes les munitions de calibre 12 en 67, 70 ou 76 mm et les canons sont éprouvés pour l’acier et autres substituts. Certains le critiqueront, mais le choix du chambrage 12/76 pourrait rapidement trouver un intérêt avec la course à l’interdiction du plomb qui semble agiter l’Europe. L’obligation de la grenaille de substitution risque de changer la donne pour beaucoup de chasseurs, en particulier les amateurs de petits calibres.
Quatre chokes sont livrés, bien adaptés à la mordorée mais pas seulement. On trouve un cylindrique, un quart, un demi et un Ampliator, un choke rayé développé par Benelli. Il garantit une gerbe très remplie et homogène avec jusqu’à 32 % de grenaille supplémentaires dans la cible entre 10 et 20 m – cette dernière distance me semble être une limite extrême, 17/18 m me paraît plus honnête pour un rendement maximal (à voir avec différentes cartouches). Le grand avantage de l’Ampliator par rapport à de nombreux canons rayés ou boyaudés réside dans l’homogénéité de la gerbe, particulièrement au centre, qui présente souvent des trous avec les autres systèmes. Comme les canons, les embouts amovibles sont éprouvés acier (excepté l’Ampliator). L’inscription sur les embouts est claire mais difficile à lire sous certains éclairages.
Ceux qui connaissent le 828 U seront étonnés de ne pas retrouver le petit évent situé dans les chambres et servant à actionner les éjecteurs. Benelli a en effet supprimé ces derniers pour ne conserver que les extracteurs classiques mis en mouvement à l’ouverture. Plus besoin de chercher ses étuis dans les ronces.
Les canons sont montés sans bande intermédiaire. La bande de battue est en carbone. Bien que non striée, elle ne génère aucun reflet. Le guidon est un insert en fibre optique vert fluo. J’aurais préféré un rouge ou un rouge orangé qui tranche mieux dans la végétation du milieu où j’évolue le plus souvent. Les canons reçoivent un bronzage noir mat qui semble résistant, même si mes trois semaines d’utilisation ne m’ont bien sûr pas suffi à en juger. Ce fusil 100 % industriel et mécanisé possède une finition que l’on souhaiterait trouver sur certains produits « semi-artisanaux » !
J’ai essayé et fait essayé le Beccaccia à des amis chasseurs, amateurs de bécasses, pigeons et grives au bois mais aussi de lapins dans des territoires très fermés de garrigues et de maquis. Il a non seulement prouvé sa valeur et son efficacité pour la chasse de la reine des bosquets, que ce soit avec l’Ampliator ou le cylindrique et le quart de choke, mais il s’est également montré redoutable face aux grives dans les oliviers, en billebaude ou à la passée ainsi qu’à la chasse aux pigeons, au bois, travaillant comme le semi-auto Colombo. Au lapin, avec l’Ampliator ou le choke le plus ouvert, il est très efficace sur un terrain fermé où la vitesse et l’homogénéité de la gerbe sont primordiales. Vif, maniable, montant bien à l’épaule, il est aussi à l’aise au sol qu’au vol, faisant preuve d’une bien plus grande polyvalence que ce qu’annonce sa dénomination.
« Dommage qu’il soit si beau ! »
Après environ 600 cartouches, des 28, 32, 34 et 36 g ainsi que quelques 42 g, le Becaccia est comme neuf. Le traitement Crio des canons semble tenir deux autres de ses promesses, un échauffement réduit – ou plutôt légèrement retardé – et un nettoyage interne simplifié. Ce fusil est à part, tant en choix esthétiques que mécaniques. On l’adore ou on le déteste, mais il ne laisse personne indifférent.
Les commentaires de mon ami Marc, habitué des chasses en terrains difficiles, fermés et à la végétation agressive, m’on donné la conclusion de cet article :
« Ce Beccaccia est extraordinaire ! Maniable, précis, avec de bonnes gerbes, il monte bien à l’épaule, ses départs sont excellents pour la chasse. Il est léger mais pas trop, il reste très confortable même quand on s’en sert à la passée. Dommage qu’il soit si beau ! J’hésite à lui faire subir kermès, ronces, salsepareilles et genévriers. Il est aussi bon à la bécasse qu’au lapin et parfait pour les chasses au bois. »
Dommage que mon portefeuille soit toujours aussi plat, ajouterai- je, je l’aurais bien gardé !