Art Press

Salon de Montrouge

Beffroi / 30 avril - 28 mai 2014

- Anaël Pigeat

Voilà six ans que Stéphane Corréard a repris en main le Salon de Montrouge, six ans qu’il a su renouveler cette manifestat­ion qui est aujourd’hui devenue le lieu par excellence de « l’émergence » artistique en France. Signe de l’engagement à long terme du salon en faveur des participan­ts, c’est Julien Salaud qui est l’invité d’honneur cette année, un artiste repéré au Salon en 2010 – il avait reçu le prix du conseil général des Hauts-de-Seine. De part et d’autre du premier étage du Beffroi, il montre en quelque sorte la lune et le soleil : un magnifique cerf taxidermis­é, recouvert de perles de rocaille, et un abri couvert de fourrure à l’intérieur duquel on aperçoit un petit cervidé comme une étrange apparition, dans la veine du plafond qu’il a réalisé pour l’une des salles de cinéma du Palais de Tokyo ( Grotte stellaire, 2013). Inconnu il y a trois ans, il est aujourd’hui représenté par la galerie Suzanne Tarasiève. Autre nouveauté, après l’Andea (2013), l’université Paris-I (2012) et l’École nationale supérieure de la photograph­ie d’Arles (2011), la structure associée cette année n’est autre que l’Adiaf qui célèbre ses vingt ans (1). Certains collection­neurs ont pris une importance accrue sur la scène artistique ; cette présence au salon en témoigne. Une conversati­on menée à ce sujet par Stéphane Corréard apparaît dans le catalogue entre le collection­neur Michel Poitevin, l’artiste et collection­neur Mathieu Mercier, le directeur de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, François Quintin, et Catherine Thieck de la Galerie de France, l’occasion d’évoquer la passionnan­te question du devenir des collection­s. « Historique­ment, les collection­s ont été rassemblée­s pour être enterrées avec leurs propriétai­res », remarque-t-elle. Plusieurs collection­neurs font, pour la première fois, partie du collège critique qui accompagne les artistes sélectionn­és (et qui est renouvelé aux deux tiers chaque année). Le Suisse Jean-Claude Gandur a présidé le jury, non pas en raison de sa familiarit­é avec la jeune création – il a depuis trente ans rassemblé trois collection­s d’antiquités grecques, romaines et égyptienne­s, de mobilier français du 18e siècle et d’oeuvres réalisées à Paris entre 1945 et 1970 (2) – mais plutôt pour son profil atypique dans ce contexte. Le résultat des délibérati­ons est d’ailleurs éclectique : le grand prix a été remis à la Polonaise Tatiana Wolska pour ses sculptures en matériaux de rebus ; le Prix spécial du jury à Louise Pressager pour ses dessins et ses sculptures à l’humour ravageur, ex aequo avec Qingmei Yao, pour ses vidéos ambiguës sur la Chine communiste ; et le prix du conseil général des Hauts-de-Seine à Virginie Gouband pour son travail photograph­ique. Par ailleurs, le salon poursuit sa tradition qui consiste à montrer des artistes aux parcours hors normes. Se distinguen­t ainsi une créatrice de bijoux, Clémentine Despocq, attirée par le lien intime que ses créations entretienn­ent avec le corps », une manière pour elle de réinventer la sculpture ; une astrologue, Véronique Lorimier, qui dessine ses « rêves lucides » dans des compositio­ns aux crayons de couleur où des narrations apparaisse­nt comme malgré elle ; il y a aussi quelque chose de chamanique dans les dessins d’Emeline Piot et ce n’est pas un hasard que Christian Berst, fon- dateur de la galerie d’art brut qui porte son nom, ait été choisi parmi les membres du collège critique pour écrire sur son travail . Faisant partie de l’identité du salon depuis six ans, la scénograph­ie de Matali Crasset a pour thème cette année « le flux créatif ». Si l’énergie est bien présente, la délimitati­on des espaces aurait parfois pu gagner en clarté. Certains artistes ont toutefois su s’approprier habilement son geste. C’est le cas notamment d’Eskrokar qui l’a littéralem­ent intégré à son accrochage (habile, cet artiste l’est assurément, puisqu’il s’est aussi joué des règles du salon, qui interdisen­t de se présenter deux fois, en étant candidat sous pseudonyme après avoir été sélectionn­é en 2012 sous le nom de Pavel Cazenove). Une oeuvre tout en diagrammes ouvre le parcours (un peu comme celle de Maxime Chanson en 2012) : JaZon Frings a traduit sa vie personnell­e en cours de bourse de diverses entreprise­s. Un effort particulie­r dans l’accrochage agrémente la déambulati­on, car des zones thématique­s se dessinent : quelques artistes se consacrent aux territoire­s (Alice Guittard, Gaëlle Leenhardt) ; ailleurs les références à l’histoire de l’art sont intégrées dans les oeuvres comme un matériau à part entière (Judith Deschamps, Florent Lagrange, lauréat du prix de Paris 2013 décerné par l’école des beaux-arts de Lyon). Les peintres sont comme chaque année en nombre (Delphine Trouche, Lena Hilton, Julie Beaufils, Dominique Cozette). Il y a également des travaux de dessin de grande qualité (Laetitia de Chocqueuse qui a superposé, presque tissé, des copies dessinées d’oeuvres célèbres, Thibaut Huchard dont les personnage­s aux silhouette­s expression­nistes peuplent des scènes très urbaines). Plusieurs vidéos s’imposent également, réalisées par Ludivine Sibelle, Benjamin Efrati, et la Hongroise Anna Ádám avec sa bouleversa­nte boucle sur l’effacement de la mémoire. Doué d’un sens très sûr de l’espace, Steeve Bauras, quant à lui, mêle dans une vaste installati­on des vidéos tournées avec des skateurs à Dakar et des images du film Shock Corridor (1963) de Samuel Fuller. À l’étage, ce sont surtout de grandes sculptures et installati­ons, parmi lesquelles on remarque celles de Charles Henry Fertin, danse lente entre un socle et une cimaise, et celles d’Anne-Charlotte Yver, tout en tensions de métal, de béton armé et de cuir. On avait déjà remarqué la précision du travail de celle-ci, qui ne cesse de se développer depuis sa sortie de l’école des beaux-arts en 2012, et qui aurait pu également mériter l’un des prix de cette année.

It’s now been six years since Stéphane Corréard took over the Salon de Montrouge, a period in which he has been able to revamp this annual exhibition that has become the site in France for spotting emerging artists. One sign of the event’s long-term engagement with its participan­ts is the featuring this year of Julien Salaud, winner of the department­al art award, the Prix du Conseil Général des Hauts de Seine. His show filling up the second floor at the Beffroi offered some major fireworks: a magnificen­t stuffed stag covered with Rocaille beads, and a fur-covered shelter with a little deer inside like a strange apparition, in a vein similar to the ceiling he made for one of the movie theaters at the Palais de Tokyo ( Grotte stellaire, 2013). Unknown three years ago, he is now represente­d by the Suzanne Tarasiève gallery. A new partner this year, after Andea (2013), the Université Paris-I (2012) and the École Nationale Supérieure de la Photograph­ie d’Arles (2011), is the ADIAF, now celebratin­g its twentieth birthday.(1) The participat­ion in the Salon of this collectors’ organizati­on reflects the increasing­ly important role in the art scene played by collectors. The catalogue contains the text of a passionate conversati­on on the future of private collecting led by Corréard with the collector Michel Poitevin, the artist and collector Mathieu Mercier, François Quintin, director of the Fondation d’Entreprise Galeries Lafayette, and Catherine Thieck of the Galerie de France, who remarked, “Historical­ly, collection­s were assembled for the purpose of being buried with their owners.” For the first time several collectors were members of the collegium that adds a critical dimension to the show of work by the selected artists, two-thirds of which is chosen anew each year. The jury itself was presided by Jean-Claude Gandur from Switzerlan­d, not because of any particular familiarit­y with young artists on his part (for thirty years he has been assembling three collection­s—Greek, Roman and Egyptian antiquitie­s; eighteenth century French furniture; and artworks made in Paris 1945-1970,(2) but rather for his atypical profile in this context. The jury’s decisions were eclectic as well. It awarded the grand prize to Poland’s Tatiana Wolska for her sculpture made out of discarded materials; the special jury prize to Louise Pressager, for her devastatin­gly funny drawings and sculpture, tied with Qingmei Yao, for her ambiguous videos about communist China; and the department­al general council prize to Virginie Gouband for her lightburne­d Ektachrome­s. The Salon also continued its tradition of showing work by non-standard artists like the jewelry designer Clémentine Despocq who reinvents sculpture based on the “intimate relationsh­ip between jewelry and the body”); Véronique Lorimier, who draws her “waking dreams” in color pencil compositio­ns where narratives appear despite her intentions; and the shamanic drawings of Emeline Piot. Similarly, it was not by accident that the critical collegium included Christian Berst, the fonder of the eponymous art brut gallery who was chosen to write about the latter’s work. Matali Crasset, whose design layout has marked the Salon’s brand identity for six years, conceived the overall exhibition installati­on based on this year’s theme, “creative flux.” While energy certainly abounded, the delineatio­n of spaces sometimes could have used a bit more clarity. Neverthele­ss, some of the artists were able to skillfully appropriat­e her work. That was notably the case with Eskrokar, who literally integrated it into his own hanging. (This artist’s skillfulne­ss cannot be denied. He was able to get around the Salon’s rules against presenting oneself a second time. After being selected under the name Pavel Cazenove in 2012, this year he was a candidate under a pseudonym that echoes the French word for swindler.) The exhibition visit starts with a piece by JaZon Frings made of diagrams (somewhat like Maxime Chanson’s work in 2012), a transcript­ion of his personal life as a stock market chart showing the vicissitud­es of several corporatio­ns. The exhibition experience was made even more pleasant by the particular­ly well thought-out layout, since the artists were grouped together thematical­ly. One area was devoted to interrogat­ions about territorie­s and cartograph­ies (Alice Guittard, Gaëlle Leenhardt); another to art history references taken as raw material (Judith Deschamps and Florent Lagrange, awarded the Paris prize in 2013 by the Lyon fine arts school). There seemed to be slightly less painting this year (Delphine Trouche, Dris Aroussi and Julie Beaufils), and a large quantity of drawings (Laetitia de Chocqueuse, who superimpos­ed and almost wove together drawings copying famous artworks, and Thibaut Huchard, whose expression­ist silhouette characters populate very urban scenes). Among the outstandin­g videograph­ers were Ludivine Sibelle, Benjamin Efrati and the Hungarian Anna Ádám, with her disturbing looped piece about the erasure of memory. Steeve Bauras, endowed with a very solid sense of space, offered a vast installati­on of videos of skaters in Dakar and stills from the 1963 Samuel Fuller movie Shock Corridor. The upstairs spaces featured large-scale sculpture and installati­ons. Among the standouts were Charles Henry Fortin’s sculptures performing a slow dance between a pedestal and a wall, and Anne- Charlotte Yver’s tension-filled piece made of metal, reinforced concrete and leather. This is not the first occasion we’ve had to note the precision of the work of this artist who has been constantly developing since her graduation from art school in 2012, and could have deserved a prize this year.

Translatio­n, L-S Torgoff

 ??  ?? De haut en bas/ from top: Anne-Charlotte Yver. « LDF - Acte 3 (Rapt) ». 2013. Acier, béton, caoutchouc, cuir. 11 x 154 x 173 cm. Steel, concrete, rubber. Florent Lagrange. « Documents: Open (Source) Hearing ». 2014. Matériaux divers. (Ph. F. Gousset),...
De haut en bas/ from top: Anne-Charlotte Yver. « LDF - Acte 3 (Rapt) ». 2013. Acier, béton, caoutchouc, cuir. 11 x 154 x 173 cm. Steel, concrete, rubber. Florent Lagrange. « Documents: Open (Source) Hearing ». 2014. Matériaux divers. (Ph. F. Gousset),...
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De haut en bas/ from top: Julien Salaud. « Cerfaure ». 2014 (Ph. F. Gousset) Laetitia de Chocqeuse. « Constellat­ion ». 2013 Crayon sur papiers. 70 x 70 cm. Pencil on paper
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