Stéphane Pencréac’h
Mamac/ 12 avril - 31 août 2014 « La peinture peut-elle parler d’histoire ? », s’interroge dans le catalogue Gilbert Perlein, directeur du Mamac. Devant cette nouvelle exposition de Stéphane Pencréac’h, intitulée justement Peinture d’histoire, et consacrée aux récentes « révolutions arabes », on songe en effet à quelques illustres prédécesseurs, auteurs de grandes machines orientales, qu’ils se nomment Guérin, Girodet-Trioson et surtout Gros. Toutefois, lorsque les élèves de David peignaient les batailles de Nazareth ou d’Aboukir, ils faisaient oeuvre de propagande au service du Premier Consul, puis de l’Empereur ; Pencréac’h porte quant à lui sur les événements un regard bien plus distancié et symboliste, témoignant de visées archéologiques afin de mettre au jour une forme d’inconscient collectif. Soit une sculpture et quatre tableaux panoramiques, mesurant chacun 195 x 780 cm et occupant toute une salle du musée niçois. Il est intéressant de débuter la visite par un mur punaisé de documents photographiques et de dessins qui permettent de comprendre combien l’artiste mixe des sources diverses : des images de presse et ses propres formes et motifs récurrents, comme par exemple les gisants dans Tombouctou. Ils lévitent au-dessus de la cité malienne, carbonisée par un soleil rouge. Ces mêmes corps apparaissent cette fois-ci renversés, tête en bas, dans Tripoli. Caravage y inspire la figure du petit garçon surgissant par la fenêtre, tandis que le visage de Kadhafi apparaît en anamorphose façon Holbein. Le peuple en colère est traité sur un mode quasi pointilliste qui évoque Sigmar Polke. Dans Le Caire, la foule forme une masse pyramidale, au-dessus de laquelle plane un géant transparent, peut-être l’Ange de l’histoire. De part et d’autre, un dieu égyptien présente une paire de flèches en offrande, et Moubarak semble l’ombre de lui-même derrière les barreaux de sa geôle. Dans Tunis, les colonnes qui scandent le tableau rappellent le passé antique de la Tunisie. Des femmes brandissent une banderole peinte du mot « Dégage ». Une fumée noire s’élève du paysage (comme d’ailleurs dans tous les tableaux de la série). Peinte à la bombe aérosol, elle est le fait des émeutiers, mais aussi d’un corps en flammes au centre du tableau, sans doute celui de Mohamed Bouazizi, ce vendeur à la sauvette dont le suicide mit véritablement le feu aux poudres. Pencréac’h a consacré une sculpture à ce personnage clef, sous la forme d’un buste de bronze. C’est là une figure acéphale, ailée de branches mortes, qui exhibe dans sa main une paire d’ailes enflammées. On pense au Zeus chryséléphantin de Phidias à Olympie, mais plus encore aux heures sombres de la civilisation carthaginoise devant le socle en céramique orné de motifs orientaux. Il évoque un fourneau, et par extension les enfants sacrifiés par le feu au dieu Moloch, cérémonie dont Flaubert fit un récit glaçant dans Salammbô. On le sait, le passé lointain éclaire souvent le présent d’une lumière neuve. “Can painting speak about history?” asks Mamac head Gilbert Perlein in a catalogue essay. This exhibition of work by Stéphane Pencréac’h entitled Peinture d’histoire (History Painting), about the recent “Arab revolutions,” does in fact bring to mind a few illustrious predecessors, especially Orientalists like Guérin, Girodet-Trioson and especially Gros. Yet when David’s students painted the battles of Nazareth and Aboukir, they were producing propaganda in the service of the man who was then First Consul and would later be the Emperor, Napoleon Bonaparte. Pencréac’h, in distinction, takes a far more distanced and symbolic view of today’s events, with the eye of an archeologist who wants to bring to light what is a kind of collective unconscious. The show consists of a sculpture and four panoramic paintings (each measuring 195 x 780 centimeters) that together occupy a full room at the Nice museum. The best place to begin is with the wall covered with thumbtacked photos and drawings that reveal how this artist mixes his diverse source materials, press images and his own recurring forms and motifs, such as the corpses seen in his painting of the Timbuktu revolt that seem to levitate above the Malian city burned black by a red sun. The same corpses reappear, this time upside down, in the painting of Tripoli. Caravaggio was the inspiration for the figure of the little boy emerging from the window, while Kaddafi’s face resembles a Holbein anamorphosis. The angry crowd is treated in an almost pointillist manner that recalls Sigmar Polke. In Cairo, the throng forms a pyrami- dal mass, and above it floats a transparent giant, perhaps the angel of history. On both sides an Egyptian god presents as an offering a pair of arrows, and Mubarak, seen through jail bars, looks like a shadow of his former self. In Tunis, the columns at intervals throughout the painting refer to the time when the city was known as Carthage. Women hold a banner with that uprising’s signature call to the dictator, “Dégage” (Get out). As in all the paintings in this series the landscape gives off black smoke. Painted with aerosol spray, it seems to come from the riot, but also from the burning body in the centre of the painting, undoubtedly that of Mohamed Bouazizi, the street vendor whose suicide set off this powder keg. Pencréac’h made a sculpture of this key actor, a bronze bust. The figure is headless, with wings made of dead tree branches, holding in his hands a pair of flaming wings. With its ceramic plinth decorated with Middle Eastern motifs, it recalls Phidias’s chryselephantine sculpture of Zeus at Olympia, but also the fate of the Carthaginian civilization,. We think of a furnace, and by extension the children sacrificed by fire to the god Moloch, a ceremony Flaubert chillingly described in Salammbô. As we all know, the distant past often casts a new light on the present.
Translation, L-S Torgoff