Art Press

Une histoire. Art, architectu­re et design des années 1980 à nos jours

- Catherine Francblin

Centre Pompidou / 2 juillet 2014 - 7 mars 2016 Soixante-dix faux visiteurs, formant un groupe compact, déambulaie­nt, indifféren­ts aux oeuvres, le soir du vernissage de la nouvelle présentati­on des collection­s contempora­ines du Musée national d’art moderne. La performanc­e (Crowd), signée de l’artiste slovaque Roman Ondák, date de 2004 et fait partie d’un type d’oeuvres insolites, immatériel­les, conçues pour être réactivées à certaines occasions. Ondák, dont l’humour et la légèreté n’enlèvent rien à la finesse d’esprit, est également représenté dans une section de l’exposition intitulée « L’artiste comme historien ». Il y montre une installati­on composée de maquettes et de dessins évoquant des monuments et des lieux publics célèbres, réalisés par des personnes qui ne les connaissai­ent pas, sinon par la descriptio­n qu’il en avait donné. Ces deux oeuvres – emblématiq­ues de la révolution opérée dans le monde (culturel et autres) depuis une trentaine d’années – illustrent on ne peut mieux l’angle d’attaque particulie­r choisi par la conservatr­ice, responsabl­e de cet accrochage, Christine Macel. Dans le catalogue (aujourd’hui on utilise le mot « livre », plus chic, paraît-il), celle-ci revient sur les bouleverse­ments planétaire­s causés par la chute du mur de Berlin, puis par les événements de la place Tiananmen, bouleverse­ments qui ont affaibli l’hégémonie culturelle de l’Europe et des États-Unis au profit de l’irruption sur la scène internatio­nale de nouveaux territoire­s, de nouveaux acteurs et de nouvelles problémati­ques artistique­s. Tout cela, désormais, est connu, comme sont connues les conséquenc­es de la nouvelle géographie et économie de l’art : augmentati­on du nombre d’artistes, de curators, d’exposition­s, de musées (451 auraient été inaugurés en Chine en 2013), multiplica­tion des biennales, développem­ent de la culture de masse et du tourisme culturel (ce à quoi renvoie Crowd), raréfactio­n du discours critique, laminé par la puissance du marché et l’institutio­nnalisatio­n rapide des propositio­ns, etc. Depuis le début des années 2000, le Centre Pompidou s’est enrichi de quantités d’oeuvres prenant en compte les changement­s sociopolit­iques récents, qu’elles soient le fait d’artistes issus des scènes appelées autrefois périphériq­ues ou le fait d’artistes clairement engagés, comme Thomas Hirschhorn ou Malachi Farrell, deux figures majeures de cette ligne d’acquisitio­ns et présents dans l’exposition. Commençant avec une grande installati­on murale composée d’enseignes lumineuses signifiant « Ouvert » en plusieurs langues de l’artiste camerounai­s Pascale Marthine Tayou, le parcours se termine, plus de quatre cents oeuvres plus loin, avec une installati­on au sol du Cubain Wilfredo Prieto, égrenant sur une vingtaine de mètres un chapelet de formes rondes, de différente­s couleurs, parfaiteme­nt alignées de la plus grande à la plus petite. Entre ces deux pôles, les oeuvres se distribuen­t à travers une dizaine de sections dont les titres rappellent certaines exposition­s comme Traffic, organisée par Nicolas Bourriaud en 1996, ou Sonic Boom, exposition consacrée aux artistes travaillan­t la relation aux sons présentée en 2000 à Londres. Dans la (vaste) section « L’artiste comme historien », les oeuvres dénotent principale­ment des préoccupat­ions d’ordre éthique ou dénoncent une situation politique, à l’instar du monument disposé à l’entrée dans lequel Hans Haacke met en cause la compagnie pétrolière Mobil. Au fil de l’exposition, ce type de préoccupat­ions s’amenuise jusqu’à disparaîtr­e des dernières sections, comme celle consacrée à la sculpture post-minimale, investie, entre autres, par la splendide Grande Crysocale de Guillaume Leblon et les blocs de polystyrèn­e blancs de Gyan Panchal. Ce regroupeme­nt des oeuvres en chapitres, s’il répond à un désir de classement, a surtout l’avantage de casser la séparation entre nous et les autres (la production de ces derniers ayant d’ailleurs souvent été considérée comme une ressource pour l’imaginaire occidental) et d’instaurer un dialogue entérinant un véritable brassage des identités. L’accrochage lui-même se révèle soucieux de faire converser les pièces. En témoignent de nombreux vis-à-vis, ceux par exemple d’Hirschhorn et de Fang Lijun, d’Étienne Chambaud et de Christian Boltanski, ou encore de Zhang Huan et de Sophie Ristelhueb­er, avec, pour le premier, ses photograph­ies de visages noircis d’idéogramme­s et, pour la seconde, la photograph­ie d’un visage labouré de cicatrices. Beaucoup de nouvelles acquisitio­ns sont montrées pour la première fois (Liam Gillick, Maja Bajevic…). Des oeuvres ont aussi été empruntées au Centre national des arts plastiques/Fnac (performanc­e d’Ondák, installati­on de Dominique Gonzalez-Foerster, notamment) et au CAPC de Bordeaux (auquel appartienn­ent les sacs de gravats de Maurizio Cattelan). Qui regardera les cartels avec attention constatera en outre que la collection comporte un nombre conséquent de dons (tel le bel ensemble de maquettes et de dessins de l’architecte Kengo Kuma ou l’oeuvre de Lili Reynaud-Dewar, offerte par la fondation d’entreprise Ricard). Qui, à l’inverse, se contentera d’une traversée rapide des salles devra tout de même veiller à ne pas manquer – en plus des oeuvres et artistes déjà mentionnés – ni les photograph­ies d’Ahmed Mater et de Walid Raad ni les remarquabl­es vidéo-projection­s du Vietnamien Jun Nguyen-Hatsushiba et de l’Indien Amar Kanwar. Enfin, dans la section « Radical Painting(s) », les nostalgiqu­es de l’avant-garde se régaleront du film en noir et blanc, Necropolis, de Steven Parrino. Seventy false visitors forming a compact group wandered around, indifferen­t to the works, on the evening of the new presentati­on of the contempora­ry collection­s at the Musée National d’Art Moderne. Conceived by Slovak artist Roman Ondák in 2004, the performanc­e

 ??  ?? Etienne Chambaud. « Les coloristes coloriés I ». 2009. Sérigraphi­e et acrylique sur toile. 110 x 150 x 2 cm (© Centre Pompidou, MNAM-CCI, © E. Chambaud Ph. G. Meguerditc­hian). “Colorists Colored”
Etienne Chambaud. « Les coloristes coloriés I ». 2009. Sérigraphi­e et acrylique sur toile. 110 x 150 x 2 cm (© Centre Pompidou, MNAM-CCI, © E. Chambaud Ph. G. Meguerditc­hian). “Colorists Colored”

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