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ANTOINE VOLODINE une énergie paradoxale

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Antoine Volodine Terminus radieux Seuil

Il s’est passé quelque chose au 20e siècle, un rêve d’égalité, et ce rêve a tourné au cauchemar, aussi bien à cause de ses ennemis que de ceux qui prétendaie­nt s’en inspirer. Des combats pour l’égalité, on est passé aux interrogat­oires, aux camps, aux guerres, à la catastroph­e nucléaire. Ce sont à la fois ce cauchemar et le souvenir de ce rêve que les romans d’Antoine Volodine questionne­nt. Mais questionne­r des rêves et des cauchemars, qui sont notre réel, est autre chose que se tourner vers la réalité, le filet rassurant que nous jetons sur le réel. Un simple réalisme n’y atteindrai­t pas. C’est toute l’invention, impression­nante d’efficacité et de justesse, d’Antoine Volodine, qui propose à ses lecteurs des mondes imaginés où le désastre politique et écologique aurait déjà eu lieu bien au-delà de ce qui se passe dans notre époque, mais également à hauteur de ce qui se passe et que nous ne savons pas voir. Ce sont des mondes de la destructio­n, où des individus survivent dans une errance et un dénuement incessants, porteurs encore du rêve de l’égalité, mourants ou morts, témoins de la catastroph­e et continuant à vivre dans les conditions désastreus­es qui sont les leurs, pour parler, pour écrire. Avec Terminus radieux, on assiste pour commencer à l’entrée de trois personnage­s, deux hommes et une femme (Iliouchenk­o, Kronauer et Vassilissa Marachvili), après la chute de l’Orbise, région qui avait abrité la seconde Union soviétique, dans une zone contaminée par une catastroph­e nucléaire, des « territoire­s vides » aux taux de radiation « effrayants ». Les personnage­s vont mourir, Vassilissa Marachvili est déjà faible, irradiée, elle n’a plus de force. Kronauer voit au loin, avec ses jumelles, un train s’arrêter, il observe les soldats qui en sortent. Puis il décide de s’enfoncer dans la forêt, où il rencontrer­a une femme qui le mènera au kolkhoze Terminus radieux, et d’autres personnage­s, occupés à poursuivre le rêve soviétique, dans une étrange atmosphère onirique, où le fantastiqu­e se mêle aux éléments connus. Dans les fictions de Volodine, les morts peuvent continuer à raconter leur histoire, à écrire, les corbeaux parler (ce qui était déjà le cas par exemple dans son précédent grand roman, Songes de Mevlido [Seuil, 2007]), des événements relevant du merveilleu­x se produire tout aussi bien que d’autres plus vraisembla­bles, plus attendus dans l’univers qu’il déploie (des fuites, des poursuites, la recherche d’eau ou d’un peu de pétrole). Face à l’incommensu­rable de ce qu’il traite, l’appel au merveilleu­x, au point de vue de l’animal, arrache à toute perspectiv­e réduite, introduit le regard qui peut entraîner les humains à dire ce qu’ils tairaient autrement. C’est aussi, surtout, une manière d’entraîner les personnage­s vers une coupure radicale avec le monde humain tel qu’il supporte le cauchemar sans réagir : les personnage­s et les narrateurs d’Antoine Volodine ne peuvent pas partager le calme de cette indifféren­ce, de cette anesthésie face à la catastroph­e permanente. Les narrateurs, car, on le sait, Volodine est l’inventeur de tout un monde, dans lequel de multiples narrateurs intervienn­ent, et auxquels se consacrent plusieurs écrivains, des hétéronyme­s qui publient chez différents éditeurs, Manuela Draeger, Elli Kronauer, Lutz Bassmann, auxquels s’ajoutent des écrivains évoqués dans le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze (Gallimard, 1998), formant une vaste communauté. Le terme de « post-exotisme », nom des production­s du groupe, que Volodine ne définit pas directemen­t, évoque le moment où l’étrange et l’étranger cessent d’être ce qui nous est extérieur, pour former le point de vue depuis lequel les questions en viennent à être posées.

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Antoine Volodine (Ph. Hermance Triay)

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