À la lecture

Grasset Il est aussi difficile d’entrer dans ce livre que d’en sortir. C’est qu’il offre bien des facettes (fiction, enquête, essai, autobiographie, rencontre) et accumule les approches et les digressions pour ne s’en tenir qu’à un seul fil, celui de l’expérience de la lecture d’À la recherche du temps perdu. L’origine, c’est le film, d’une ampleur déraisonnable, réalisé par Véronique Aubouy, Proust lu, qui enregistre depuis 1993 la lecture de l’oeuvre majeure de Marcel Proust par des personnes de tous horizons, de toutes générations, dans les lieux les plus inattendus. Cette entreprise révèle des corps, des voix, des postures, des ambiances, des imprévus, et développe une puissance d’interrogation sur la mémoire au point d’emporter dans l’étendue de son mouvement les limites convenues entre le passé et le présent, la vie ordinaire et celle qui flotte dans le rêve, entre les morts et les vivants. Dans ce livre consacré « à la lecture » de la Recherche, Véronique Aubouy, cinéaste et artiste, convie Mathieu Riboulet, écrivain, à poursuivre une conversation menée depuis de nombreuses années « sur et autour » de Proust. Ils reviennent ainsi, de manière différente, complémentaire, émouvante, parfois vertigineuse, sur quelques lecteurs de ces « 2 408 pages de papier bible » (le motard accidenté, le vigile en banlieue parisienne, la cavalière sur son cheval en Mongolie ou le paysan cévenol) et élargissent leurs propos à des dimensions, des effractions de plus en plus personnelles. Ils donnent à leurs échanges soumis à des gravitations multiples le caractère bien particulier de la luminosité des images projetées par la lanterne magique mais tout en conférant à leur enchaînement une fluidité et une continuité qui rendent transparentes les matières les plus opaques.