Art Press

Slavs and Tatars

- Myriam Ben Salah

Kunsthalle Zurich / 30 août - 9 novembre 2014 La pratique des Slavs and Tatars est aux arts plastiques ce que la poésie est à la littératur­e : une variante qui privilégie le traitement du signe – linguistiq­ue, visuel – en ce qu’il présente à la fois une forme, un son et un sens, et qu’il renvoie toujours à autre chose qu’à lui-même. Virtuose de la métaphore comme de la translitté­ration, le collectif ayant élu l’Eurasie – entre l’ancien Mur de Berlin et la Grande Muraille de Chine – comme sujet d’investigat­ion, présente à la Kunsthalle de Zurich une installati­on précise et élégante. Les artistes proposent une réinterpré­tation de la poétique religieuse et politique en donnant un sens nouveau à ses objets de prédilecti­on : le livre, le rituel, et la question du genre. L’exposition prend pour point de départ le genre littéraire du « Miroir des Princes » ( specula principum) qui regroupe les traités d’éthique gouverneme­ntale destinés à indiquer au souverain de manière détournée la voie à suivre pour régner – l’exemple le plus connu en occident étant le Prince de Machiavel. Les artistes explorent ici un « Miroir des Princes » particulie­r, un monument de la culture turco-musulmane intitulé Kutadgu Bilig écrit au 11e siècle pour le prince de Kashgar. Dans l’une des salles, quatre langues différente­s récitent le texte, sans que l’on ne sache jamais, comme dans la cacophonie médiatique contempora­ine, qui parlera le plus fort. Les haut-parleurs ont la forme de livres et sont posés sur de grands tapis. Autour, dans les autres salles, sont disposés couvre-chefs et accessoire­s d’entretien des cheveux, autant d’indices de ce que l’on pourrait assimiler, nous autres occidentau­x élevés dans le culte du « tout laïque », à une critique des pratiques religieuse­s. Il n’en est rien, la transposit­ion de l’imaginaire opère de manière inattendue dans l’oeuvre des Slavs and Tatars, le déplacemen­t (du regard, des préjugés) est sans cesse à l’oeuvre : là où le visiteur s’attend à une diatribe contre la religion, il n’y a qu’éloge de ses rites d’hospitalit­é ; là où il y aurait matière à discuter du statut des femmes dans les civilisati­ons moyen-orientales, c’est un propos universel teinté d’ironie qui se dessine, sur l’attention portée à l’apparence et la tentative d’apprivoise­r ce qu’il y a de plus sauvage et sexué en chacun de nous, sans distinctio­n entre ici (Zurich, 21e siècle) et ailleurs (Kashgar, 11e siècle). Au centre du dispositif – mental, mais aussi phy- sique puisqu’elle est au centre de l’espace – la langue. À la fois organe érogène et moyen d’expression, elle est le vecteur d’une sensualité perdue, celle du langage dans son usage sacré, par opposition à une utilisatio­n profane galvaudée. L’exposition elle-même semble ne pas échapper à la verve des artistes. Elle est une métaphore, un « Miroir des Princes » d’aujourd’hui qui rappelle qu’il est possible de construire encore, à l’époque de ce que les Slavs and Tatars appellent « rage laïque », un discours élégant et poétique, qui n’en n’est pas moins satirique à dessein, sur le rôle politique de la religion. The practice of the Slavs and Tatars is to the visual arts what poetry is to literature: a form that uses the linguistic and visual sign as something that combines form, sound and meaning yet always refers to something other than itself. A virtuoso of both metaphor and transliter­ation, this collective whose field of research is as vast as Eurasia itself (from the former Berlin Wall to the Great Wall of China) is showing a precise and elegant installati­on at the Kunsthalle in Zurich that reinterpre­ts religious and political poetics by giving a new meaning to its favored objects: the book, ritual, and the question of gender. The starting point of the exhibition is the literary genre of the “Mirror of Princes” ( specula principum), a compendium of treatises on government­al ethics written as guides for rulers, the best known of which is of course Machiavell­i’s The Prince. But the guide explored here is an eleventh-century Turkish-Muslim treatise, Kutadgu Bilig, written for the Prince of Kashgar. In one of the rooms, the text is recited in four different languages, echoing today’s media cacophony and the constant clamoring to be heard above rival voices. Book-shaped speakers stand on big carpets. Around them, in the other rooms, we see headgear and hair care accessorie­s, which we secular western materialis­ts might easily read as a critique of religious practices. Not a bit of it. The Slavs and Tatars are much more elusive in their transposit­ion of the imaginary, constantly displacing our vision and prejudices. Rather than a diatribe against religion, here is an encomium of rituals of hospitalit­y; and where we might expect a critique of women’s status in Middle Eastern societies, instead we get an ironic discourse on the concern with appearance and the attempt to tame our wilder sexual natures, whether in twenty-firstcentu­ry Zurich or eleventh-century Kashgar. At the center of this setup, which is mental but also physical, is language. At once an erogenous organ and a means of expression, it is the vector of a lost sensuality, that of language and its sacred use, as opposed to hackneyed, worn everyday parlance. The exhibition itself becomes ametaphor here, a modern “Mirror of Princes” reminding us that even in this age of “secular rage,” as the Slavs and Tatars call it, it is still possible to construct an elegant and poetic discourse, however knowingly satirical, on the political role of religion.

Translatio­n, C. Penwarden

 ??  ?? Vue de l’installati­on « Mirrors for Princes », Kunsthalle Zürich, 2014. (© Stefan Altenburge­r). Installati­on view
Vue de l’installati­on « Mirrors for Princes », Kunsthalle Zürich, 2014. (© Stefan Altenburge­r). Installati­on view

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