Niki de Saint Phalle
Grand Palais / 17 septembre 2014 - 2 février 2015 Musée Guggenheim/ 27 février - 2 juin 2015 En écrivant Niki de Saint Phalle, La révolte à l’oeuvre (Hazan, 2013) – première biographie de l’artiste, fondée sur le trésor de ses archives et sur celles de ses proches –, j’avais conscience d’ouvrir une brèche qui n’allait faire que s’élargir et révéler une créatrice de tout premier plan dont le nom était connu du grand nombre mais l’oeuvre notablement sous-estimée. L’ample rétrospective conçue par Camille Morineau confirme la place majeure de la FrancoAméricaine dans l’art de la seconde moitié du 20e siècle. S’attachant à présenter, à travers un parcours remarquablement scénographié (1), les multiples aspects de cette oeuvre foisonnante, depuis les tableaux aux cieux inspirés par Pollock en 1959, jusqu’aux Totems resplendissants rappelant la sculpture améridienne, l’exposition rend enfin justice à la cohérence et à la profondeur d’un travail qui méritait plus que la sympathie suscitée par ses couleurs vives et son aspect ludique. Pourquoi l’entreprise de Niki de Saint Phalle a-t-elle été ainsi négligée ? Parce qu’elle est celle d’une femme inventant un nouvel héroïsme au féminin, répond Morineau qui, passant outre la chronologie, consacre la première partie de sa démonstration aux différentes représentations de la femme chez l’artiste. Dans un superbe éclairage accentuant leur théâtralité, se dressent les corps livides des immenses Mariées, des mères éventrées qui accouchent debout, fortes et fières comme des déesses archaïques, de la prostituée incarnée par Leto ou la Crucifixion, figure christique en jarretière et collant noir, exhibant son pubis de façon obscène et pathétique. À ces femmes interprétant les rôles qu’une société machiste leur assigne, succèdent les Nanas, dansantes, joyeuses. D’abord en laine et papier mâché, puis en résine colorée, elles portent l’espoir d’un monde de femmes libérées, qui auraient pris le pouvoir. La plus grande est la célèbre Hon, créée en 1966 à Stockholm, une sculpture-habitacle sur trois étages, comprenant à l’intérieur des attractions (un cinéma, une galerie de tableaux, un milkbar, un distributeur de sandwichs, un planétarium, une terrasse panoramique…) auxquelles le public accédait par le vagin. Les Nanas que l’on voit peu à peu se détacher du mur marquent l’abandon par l’artiste de l’objet trouvé – jouets et figurines en plastique grouillant à la surface de ses hauts-reliefs de 1962-1963. Son évolution vers la sculpture la conduit à lancer de par le monde une armée de figures géantes, illustration de la « folie des grandeurs » des femmes, arborant tenues « pop » et sac à mains de simples voisines de rue (cf. Dolorès ou Nana verte au sac noir). Beaucoup sont noires. Elles témoignent de l’engagement de Saint Phalle en faveur des droits civiques d’une communauté à laquelle elle s’identifie, assimilant les femmes dans la société des hommes aux Noirs dans la civilisation blanche. On voit aussi les Nanas sur scène dans un ballet dont les images sont projetées sur un écran dans l’une des très belles salles, haute en plafond, de l’exposition. Par l’intermédiaire de ces écrans, l’artiste (qui a souvent été filmée et interviewée) nous guide dans notre visite, commentant avec vivacité et humour son travail. Le parti pris féministe adopté par la commissaire – remarquée pour avoir signé en 2008 l’exposition Elles@centre-pompidou – déplace dans la deuxième partie l’épisode des tableaux-tirs avec lequel Niki de Saint Phalle fit violemment irruption dans le paysage artistique. Exécutées pour l’essentiel entre 1961 et 1964, ces oeuvres surgissent de la volonté de « faire saigner la peinture » (ou, comme aurait dit Miró, de l’« assassiner»), autrement dit de détruire le tableau de chevalet pour lui permettre de renaître sous une autre forme. Toujours présente via les documents vidéo, l’artiste clame avec une intensité bouleversante sa révolte. Un reportage permet de comprendre le procédé : la préparation du tableau et la libération de la peinture au moyen du fusil – l’instrument-même de la conquête de l’Amérique (cf. les westerns). C’est en participant à une séance de tir que Niki fut invitée par Restany à rejoindre les Nouveaux Réalistes. Très vite après ces tirs abstraits, allusion parodique au dripping, et dont l’exposition montre l’un des chefs-d’oeuvre ( Grand tir – Séance Stockholm), viennent les grands tirs figuratifs qui mettent en lumière les peurs engendrées par la situation politique du moment, puis les attaques contre la religion illustrées par les Autels. La dernière partie traite des projets monumentaux: sculptures habitables et projets pour l’espace public, sans oublier le jardin des tarots évoqué ici à l’aide de maquettes et d’images extraites d’un dvd réalisé pour l’exposition (2). Le parcours s’achève sur les oeuvres californiennes de cette artiste aux mille visages, entourées d’un choix de lithographies consacrées à ses derniers combats – contre la politique de George W. Bush et le lobby des armes. Comme m’a dit un gardien, bien loin de trouver tout cela futile : « Il y a un message. » When writing Niki de Saint Phalle, La révolte à l’oeuvre (Hazan, 2013), the first biography of this artist, based on her rich archives and those of her family and friends, I was aware that I was opening up a breach that was bound to widen and reveal the stature of a major artist whose name was known to the public but whose work was significantly underrated. The extensive retrospective conceived by Camille Morineau confirms the importance of this FrancoAmerican in the art of the second half of the twentieth century. This remarkably designed show (1) sets out to present the multiple aspects of this rich body of work, from the sky paintings inspired by Pollock in 1959 to the splendid Totems recalling American Indian sculpture, and at last does justice to the coherence and depth of a body of work that deserves much more than the sympathy aroused by its bright colors and playfulness.