DANS LA RUE ET SUR LA ROUTE
Lee Friedlander s’est toujours reconnu (je pense à son American Monuments) dans l’esthétique d’Evans, en particulier dans ses reprises des thématiques vernaculaires chères à ce dernier. Sa leçon a complété le vocabulaire des nouveaux acteurs de la scène documentaire européenne, enrichie, elle aussi, des options visuelles offertes par les coloristes américains, qu’ils se nomment Joel Sternfeld ou William Eggleston. Ce dernier achèvera une promotion sudiste de la banalité photographique, de son attention aux déchets consuméristes promus par le pop art, sorte de sanctification en couleurs des éléments vernaculaires déjà largement traités par Evans. Ces combinaisons esthétiques directement issues de l’école américaine du nouveau paysage ont eu un effet étrange : désormais interprété par le biais de ce filtre, le paysage français des années 1980, tel qu’il apparaît à travers le travail des opérateurs de la mission Datar, se met à ressembler au paysage américain… De la même façon, l’Allemand Joachim Brohm, formé aux États-Unis, construit ses séries allemandes sur le modèle de son travail américain, dans le pur esprit de Stephen Shore. La street photography américaine, façonnée par les images de Lee Friedlander ou de Garry Winogrand, s’est rapidement adaptée sur le territoire anglais, avec les travaux de Tony Ray-Jones, familiarisé avec la première vague américaine de la photographie de rue, marquée par un sens de l’aléatoire, de la rupture des compositions géométriques, et de la captation du surgissement du sujet devant l’objectif. Son travail couleurs réalisé à cette époque dans les rues de New York est en écho direct des images brutales, énergétiques, de Garry Winogrand sur le même thème, commencé en 1956. Martin Parr et l’école des nouveaux photojournalistes britanniques lui devront beaucoup… En France, lassés de l’esthétique de « l’instant décisif » et de la poésie surannée des humanistes, les jeunes photographes, eux, s’inspireront du travail de l’Américain Charles Harbutt, dont la postérité fait à tort