POINT DE VUE DE DIEU
Before Landing, « c’est cet instant où l’on est encore dans l’avion, dans un univers prévisible, mais bientôt on va descendre, explorer le monde réel », précise Houellebecq en commentant ce titre. L’atterrissage est naissance du regard écarquillé sur le monde et vision surplombante. Dans la Carte et le Territoire, il est d’ailleurs question de la vue plongeante comme « point de vue de Dieu ». Ce point de vue tout puissant est néanmoins désamorcé par l’humour, comme une vue satellitaire recou- verte d’un filtre informatique évoquant les jeux vidéos et posant cette question désarmante : « Vous n’avez aucune chance. Continuer ? » Continuer alors que rien ne sera possible, telle pourrait être la philosophie désabusée de l’auteur d’Extension du domaine de la lutte. Nous sommes invités à entrer dans des zones intermédiaires – aires d’autoroute, péages, parking de supermarché, rails de chemins de fer, zones de transit sécurisées –, dans l’enfer du réel et accepter cet état de fait, pour en jouir si possible, s’y vautrer parfois, ou se désengager en souriant. Comme une alternative au roman, Michel Houellebecq explore la tragique immédiateté du poème. Grâce à des incrustations textuelles sur des images abstraites et grises, il obtient un haïku : « Le bloc énuméré / De l’oeil qui se referme / Dans l’espace écrasé / Contient le dernier terme. » Le vers est pour le poète « comme un mot, indéchiffrable et non décomposable ». À la question « Continuer ? », l’écrivain-photographe clique sur « OK » sans trop y croire, puisque le suicide n’est depuis longtemps plus une option : « Je n’avais, pas davantage que la plupart de ces gens, de véritable raison de me tuer », écrit-il dans l’exposition. Mais le poème reste sans doute ce qui, dans des moments rares, laisse entrevoir une utopie possible, un monde de douceur à occuper librement, la possibilité d’une île.