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Comment je suis oiseau

- Didier Arnaudet François Poirié

Le Passage Être oiseau, qu’est-ce que cela signifie ? D’abord ne pas faire de concession­s : « Être un oiseau implique d’obéir à ses obligation­s d’oiseau. » Enfant de la campagne, Paul a cette certitude : sa vie sera une vie d’oiseau. Mais pas question de faire l’oiseau à la manière d’un « Birdy », ce personnage du film d’Alan Parker, qui en reste à l’imitation, prend le risque de voler et constate l’échec de sa condition d’oiseau. Non, ce qui compte c’est d’incarner, donc de mobiliser le corps « dans un acte qui consiste à devenir oiseau », pas de donner l’illusion de ses poses, ses occupation­s, son langage et ses signaux. D’où la nécessité de capitalise­r les expérience­s périlleuse­s, parfois cruelles, pour se mettre en quête de nourriture, fabriquer un nid, se protéger des prédateurs et assumer une sexualité aviaire. Chaque expérience est lancée comme une boule qui, après le suspens de sa trajectoir­e, renverse une quille ou plusieurs, mais jamais toutes, pour être ensuite relancée avec les mêmes déconvenue­s. Bien sûr, cette enfance à plumes, malgré sa conviction entêtée et donc désarmante, se brisera contre « la rationalis­ation propre à la prise d’âge. » Commencé comme un conte plein d’humour, porté par la justesse d’une sensibilit­é, ce livre s’achève, sans entamer la qualité de sa fraîcheur affûtée, entre rêve et réalité, sur ce curieux mélange de pertes et de gains lié à tout parcours initiatiqu­e. Paul Ardenne, historien de l’art que nous connaisson­s bien, et romancier toujours surprenant, livre une interrogat­ion d’une belle tenue sur l’attirail énigmatiqu­e et fragile de l’enchanteme­nt de « s’imaginer en autre que soi » qu’il faut accepter, non sans mal, un jour de laisser sur le bord du chemin tout en continuant à en faire fructifier l’héritage. Ancien professeur à la Sorbonne, Nicolas Grimaldi a publié une trentaine d’ouvrages audacieux et incisifs et présente aujourd’hui son « Abécédaire philosophi­que » : de A comme Absence à Z comme Zèle. Et c’est une « promenade » franchemen­t réjouissan­te où les idées – soixante thèmes sont explorés, selon plusieurs points de vue – se répondent, se bousculent. Cet « Abécédaire » est une excellente introducti­on à la pensée de Grimaldi, trop méconnue. Il nous a fallu ici opérer un choix, « tâche la plus difficile, que j’ai laissée au lecteur », dit Grimaldi avec malice dans son Avant-propos. A donc, comme Art, par exemple. L’une des conditions de l’art est de faire imaginer un monde dans un objet, alors que nous percevons tous les autres objets dans le monde, note Grimaldi. Intensité de l’art, qui n’est pas une apparence de la réalité mais son apparition. B comme… Beauté. D’une phrase, Grimaldi résume « tout» : « Ce qui en fait l’énigme est son évidence même. » Avant d’être un idéal esthétique, elle serait un idéal moral. E comme Ennui, expérience révélatric­e et paradoxale, dont a magistrale­ment parlé Levinas, où le possible et l’impossible se rejoignent jusque dans la mort. J comme Jalousie, cette douleur obsédante, qui nous envoûte semble-t-il autant qu’elle nous détruit. Mais quand, après, on peut l’interroger, on se demande quelle réalité elle incarna vraiment. Nous évoquerons pour finir un thème central dans l’oeuvre de Grimaldi : celui de la Vie, toujours imprévue, qui est le principe même du Temps, et non l’inverse comme tant de penseurs l’ont affirmé. Le Temps, lié au délai, c’est-à-dire à l’Attente. Revenue à la lettre A, notre curiosité, toujours en éveil, repart avec bonheur visiter « l’atelier » du philosophe.

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