Art Press

Que reste-il de ce beau poème...

- Félix Rehm

Yellow now En 1997, Jean-Yves Jouannais rendait hommage, dans Artistes sans oeuvres, à des écrivains, des artistes, des voyageurs, qui n’ont rien (ou très peu) produit, mais qui ont néanmoins un rôle à valoir (par « leurs gestes, leurs idées, leurs énergies ») dans l’histoire de l’art. Un auteur imaginaire, Félicien Marboeuf ( 18541924), est introduit au sein de cette communauté. Figure tutélaire pour les écrivains de son époque, Marboeuf aurait beaucoup correspond­u avec Marcel Proust et été à l’origine de nombreux motifs de la Recherche. En 2009, Jouannais organise à la Fondation Ricard une exposition dans laquelle il demande à des artistes de lui révéler ce qu’il ne sait pas encore sur ce personnage discret. Alain Rivière prête à Marboeuf une manie : collection­ner les photograph­ies des écrivains de son époque, se tenant face à l’objectif ou dans leur lit, les yeux clos. Que reste-il de ce beau poème que tu m’as lu derrière un meuble? est une reprise de ce travail. Il s’ouvre sur quatre lettres inédites de la correspond­ance entre Marboeuf et Proust, ayant trait à des expérience­s de bordel et au sommeil d’Albertine qui excite tant le narrateur. Suivent les photograph­ies tout en paupières, avec, en vis-à-vis, des buvards vides, parfois recouverts de gribouilli­s, de dessins ou de traces de verre de vin laissées au cours de séances de travail stériles. Ce beau carnet noir, aux tranches teintées de rouge, ouvre sur une nuit passée à rêver d’écrire des livres qui existent déjà (consultabl­es dans la barbe de Melville ou entre les draps de Flaubert) ou d’autres à venir. Cette collection exhumée par Alain Rivière n’est ni macabre ni fétichiste, Marboeuf recourrait à une ruse connue : endormir les géants pour pouvoir signer son oeuvre du nom de Personne.

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