Qu’est-ce que la photographie ?
Centre Pompidou / 4 mars - 1er juin 2015 Comme un pied de nez aux générations de théoriciens qui ont cherché à définir l’essence de la photographie, Qu’est-ce que la photographie ? met l’accent, à partir d’une cinquantaine d’oeuvres du Musée national d’art moderne, sur les réponses fournies par les praticiens à la question de l’ontologie du médium. De Paul Citroen à Mishka Henner en passant par Robert Morris ou Patrick Tosani, elles sont nécessairement multiples. Habilement construite, l’exposition suit le fil de la vie des images, du désir qui les fait naître (la lumière qui attire Brassaï comme les papillons de nuit qu’il photographie) à leurs usages possibles (ordonner le monde par le classement dans les Images [1995] de Florence Paradeis). Entre ces deux temps, les réponses sont purement techniques (James Welling et ses gros plans de gélatine), plus analytiques (Denis Roche qui photographie la notion de point de vue), ou tout à fait métaphorique (Man Ray et sa boîte d’allumettes ornée du regard en biais de Miró qui, ouverte, donne littéralement des clefs). À ce stade du parcours, l’exposition a livré des oeuvres majeures bien connues ( Picture for Women [1979] de Jeff Wall qui, construite sur un reflet, rappelle l’écart entre le réel et sa représentation) ou beaucoup moins ( Sonne und Mond von einem Nagativ [1972] de Timm Rautert, une récente acquisition suivant laquelle une même photographie peut être, au sens propre, le jour et la nuit), mais pas encore une oeuvre aussi décisive que Le Verifiche, ou Vérifications (1968-1972) d’Ugo Mulas, dont le musée est le seul à posséder la série entière. Elle associe images et textes pour analyser le procédé et le langage photographiques. Ainsi ces mains de l’artiste, dont l’une a été plongée dans le révélateur et l’autre dans le fixateur, renvoientelles au travail dans le laboratoire. Épilogue de l’exposition, Le Verifiche en offrent une magistrale synthèse mais en soulignent aussi les limites. La question de l’ontologie de la photographie est un serpent de mer qui refait surface quand le médium se transforme. Son retour, auquel cette exposition « anti-ontologique » souhaite répondre, s’explique par la révolution numérique. Pourtant cette dernière est largement absente de cette exposition où il est plus question de grain d’argent que de pixel. Par ailleurs, les expositions qui ont récemment reposé cette question, avant tout What is a Photograph ? à l’ICP de New York, cherchaient moins à fournir une nouvelle définition de la photographie qu’à mettre en lumière les bouleversements actuels de la création photographique. Ces derniers ne sont pas non plus présents dans cette exposition qui aurait sans doute gagné à s’enrichir de prêts ou d’acquisitions idoines. Ouverte aux derniers développements du médium, elle n’aurait pas pris ce tour mélancolique que d’aucuns pourraient interpréter comme de la nostalgie. As if thumbing its nose at the generations of theoreticians who sought to define the essence of the medium, Qu’est-ce que la photographie? foregrounds the response given by practitioners to photography’s ontological questions. The show comprises some fifty works selected from the collection of the Musée National d’Art Moderne. From Paul Citroen, Robert Morris and Patrick Tosani to Mishka Henner, the answers are necessarily multiple. This skillfully constructed exhibition follows the stages of the life of images, from the desire that leads to their birth (light attracted Brassaï like the butterflies of the night he liked to capture with his lens) to their possible uses (to impose an order on the world through classification in Florence Paradeis’s 1995 Les Images.) Between these two periods photographers’ responses to the question were sometimes purely technical (James Welling and his close-ups of gelatin), sometimes analytical (Denis Roche’s photos enacting the concept of point of view) and sometimes totally metaphorical (Man Ray and his matchbox decorated with Miró’s sidewise glance—when opened, it literally provided the keys). At this stage of the game the exhibition offers some well-known major pieces (Jeff Wall’s 1979 Picture for Women, a reflection that emphasizes the gap between reality and its representation) and some much less known ( Sonne und Mond von einem Nagativ [1972] by Timm Rautert, a recent acquisition that exemplifies how a single photo can be, literally, day and night). Then there is the decisive Le Verifiche (The Verifications) (1968-1972) by Ugo Mulas. The Pompidou Center is the only museum to own all the pieces in this series which jux- taposes pictures and texts to analyze the procedures and language of photography. A picture of the artist’s hands, one deep in developing fluid, the other in fixative, references darkroom work. The exhibition’s epilogue, Le Verifiche, amounts to a brilliant synthesis of it while simultaneously underlining its limitations. The question of ontology in photography is like the Loch Ness monster, raising its head whenever the medium undergoes a transformation. This question’s current surfacing, to which this “anti-ontological” exhibition is a retort, is due to the digital revolution. Yet this phenomenon is barely present in this show where grains of silver trump pixels by the handful. Further, other exhibitions concerned with this issue, especially What is a Photograph? at the ICP in New York, did not so much try to provide a new definition as to foreground today’s upending of the medium. These current upheavals are also lacking in this show, which could have profited from a few well-chosen loans or acquisitions. If it had been more open to photography’s latest developments it might have avoided the air of melancholy that some people might interpret as nostalgia.
Translation, L-S Torgoff