TREVOR YEUNG
Caroline Ha Thuc
Botaniste, aquariophile, ornithologue, Trevor Yeung a adopté son premier piranha alors qu’il était à l’école primaire, et a grandi au milieu de plantes, oiseaux et tortues en liberté, qui couraient dans l’appartement familial. S’il s’appuie sur des données scientifiques, il noue essentiellement un rapport expérimental à la connaissance et fonde sa pratique artistique sur l’observation fine des plantes et des animaux qu’il élève. Entre vidéos, installations et ready-made, son oeuvre se présente toujours de façon très simple, engageant une réceptivité physique ou émotionnelle au-delà du concept qu’elle porte. Cet horticulteur passionné propose avant tout des situations et cherche à infléchir, voire subvertir, notre perception du réel.
Qu’est-ce que ce serait qu’être une plante ? On ne peut naturellement pas en faire l’expérience, mais Trevor Yeung nous propose de nous projeter mentalement dans une telle situation. Maracuja Road est, comme son titre l’indique, une rue bordée de plants de maracuja, ou passiflore, la plante grimpante qui donne le fruit de la passion. L’une des caractéristiques de cette plante souple est qu’elle ne peut pousser qu’en s’appuyant à quelque chose, arbre ou tuteur. Sans quoi ses lianes retombent et meurent. Ainsi, ce fruit de la passion, évoquant un éclatant exotisme, une sensualité sucrée et même la passion du Christ (à cause de sa fleur couronnée d’épines), est issu d’une plante fragile, incapable de survivre seule. Yeung a donc bien installé des tuteurs en bambou pour soutenir les dizaines de pots qui constituent son installation, mais ceuxci ont une taille limitée : ils ne permettent pas à la plante de grimper jusqu’à la lumière, source pourtant convoitée et placée au-dessus de l’oeuvre. Chaque jour, de nouvelles pousses s’élancent vers ce but sans jamais l’atteindre. Yeung souhaite que le public, en marchant dans cette allée, s’identifie à cette plante, non pour mesurer ses propres limites et frustrations, mais pour se sentir en empathie avec elle. Son analogie se fait à l’inverse des métaphores anthropocentriques habituelles : c’est vers la nature qu’il nous invite, afin d’y trouver une forme de réconfort.