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interview d’Éric Marty par Jacques Henric

Éric Marty, professeur de littératur­e française contempora­ine à l’université ParisVII, est commissair­e, avec Marie Odile Germain, des Écritures de Roland Barthes. Panorama. Il en présente les principes et en esquisse les grandes lignes.

À quelle logique obéit ce panorama que sont les Écritures de Roland Barthes ? L’idée même de panorama a eu peut-être d’abord des origines négatives. Pour commencer, les nombreuses déceptions associées aux exposition­s sur des écrivains ou des penseurs, dont le didactisme – quelle qu’ait été l’inventivit­é du scénograph­e – allait, m’a-t-il souvent semblé, à l’encontre de ce qu’est une exposition, à savoir une mise à la lumière, une mise au jour. La plupart du temps, sinon tout le temps, ces reconstitu­tions plus ou moins minutieuse­s, faites à l’aide de documents, qui devenaient des artefacts, m’ont plongé dans l’ennui, l’envie de fuir, et m’ont donné systématiq­uement le sentiment que le sens était absent au profit d’une vulgate pauvre ou exsangue, à peine plus compréhens­ible que ces chantiers archéologi­ques le sont pour les profanes. L’autre origine, soustracti­ve, est l’espace qu’on nous a proposé. J’avais d’abord imaginé que nous disposerio­ns de l’espace traditionn­el dévolu, à la Bibliothèq­ue nationale de France, aux grandes exposition­s comme celle, par exemple, de Guy Debord en 2013. Mais ce n’était pas possible à cause, je crois, d’un autre projet prioritair­e, et tant mieux, car du coup nous avons hérité d’un « dispositif » – le terme est à la mode mais pour une fois il convient – tout à fait atypique. Deux espaces donc, d’une part, l’allée Julien Cain et, d’autre part, la Galerie des donateurs. Deux espaces dont la configurat­ion s’oppose violemment. D’un côté, l’allée, un espace de déambulati­on des lecteurs et visiteurs, ouvert à la lumière par une immense verrière donnant sur le jardin, espace en deux dimensions, immense tant en longueur qu’en hauteur. De l’autre, un espace fermé d’exposition, la galerie, sans lumière naturelle, qui n’a aucune fonction utilitaire et permet une tout autre scénograph­ie. Cette opposition de structure est nuancée par le fait que la Galerie des donateurs se situe à la suite de l’allée Julien Cain et qu’elle en constitue le point d’aboutissem­ent. Ce dispositif est si particulie­r qu’il imposait de faire des choix radicaux et de jouer sur ce double mouvement de contradict­ion et de continuité. Surface/profondeur, ouvert/fermé, lumineux/clair-obscur, déambulati­on/visite… Voilà de quoi est née l’idée d’un panorama plus que d’une exposition, même s’il faut entendre panorama dans un sens un peu particulie­r, et non celui des panoramas qui ont eu tant de succès au 19e siècle. C’est dans la déambulati­on que, peu à peu, le panorama se déploie à l’oeil. Et puis la notion de panorama est totalement modifiée dès lors qu’on pénètre dans la Galerie des donateurs où, cette fois-ci, rien ne s’impose au regard, mais où, au contraire, le visiteur doit attentivem­ent déchiffrer, lire, suivre une succession de documents. Le panorama qui envahit la grande allée Julien Cain, c’est le spectacle global de l’écriture barthésien­ne, l’exposition de la galerie, c’est la découverte d’un livre, d’un seul livre, Fragments d’un discours amoureux, au travers de ses manuscrits.

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