Salle des machines
Flammarion Jean-Michel Espitallier a occupé une place singulière au sein du renouveau poétique français des années 1990. Il a notamment fondé en 1989, avec Jacques Sivan et Vannina Maestri, Java, revue « de mauvais genre » et expérimentale qui s’insurgeait contre le lyrisme renaissant. Salle des machines, se présente comme un montage de textes divers, hétérogènes, singuliers dans leurs économies et leurs articulations, remettant en perspective l’ensemble de son parcours. Le tout sous la forme d’une maquette ou d’un « kit » où les « pièces » (terme pongien) ne demandent qu’à être assemblées, accordées, constituées. Chaque poème est une petite machine qui se branche à de multiples discours et se connecte à d’autres par test, greffe ou soudure. Si des textes de jeunesse tels que Pont de frappe ou Fantaisie bouchère rappellent les combinaisons aléatoires d’un Roussel ou d’un Queneau (« Karakoam, Krakatoa/Les aracks frélatés/Les louches cacaos »), la syntaxe paratactique et l’exotisme de Cendrars (« sauvagerie, cobra, orangoutan, troglodyte/Sacrifice, vaudou […] », parmi d’autres « airs de famille », le volume s’achève sur En guerre, texte épique et remarquable, où les mots, projetés sur la page et scandant les refrains rhétoriques de la seconde guerre du Golfe, se bousculent et s’entrelacent à la manière de membra disjecta. Alliant ainsi objectivisme et lyrisme pince-sans-rire, prosaïsme et érudition, axiomes et jeux de langage, la poésie d’Espistallier naît de cette tension permanente qui définit, peut-être, notre rapport au temps: le poème est une progression horizontale, une ligne qui déferle à toute allure. Une fois la machine lancée, difficile de faire retour en arrière ou de freiner. Dans la salle des machines, tout se succède jusqu’à l’exténuation du système.