FIONA HALL
« Un champ de mines de folie, de cruauté, de tristesse, à mesure égale » : c’est en ces termes que Fiona Hall décrit à sa curatrice, Linda Michael, la troïka que constituent « la politique globale, la finance mondiale et l’environnement », problématique qui l’obsède, car génératrice de développements ratés. Contrairement à bon nombre de ses concitoyens « somnambules » du pays des kangourous, la couleur claire de ses yeux ne lui procure qu’une tristesse caustique. L’installation pour la Biennale, à la fois cabinet de curiosités et collaboration avec des artistes femmes aborigènes, s’intitule Wrong Way Time, et se compose de centaines d’objets disposés de manière exquise et laborieusement exécutés. Son inauguration est combinée à celle du pavillon australien, reconstruit par les architectes Denton, Corker, Marshall (l’accès par le canal se fait derrière le pavillon français). Très à propos pour la manière dont il renvoie aux sentiments sombres qui caractérisent l’oeuvre de l’artiste, le catalogue s’ouvre sur une citation de Dante : « C’était à la moitié du trajet de la vie / Je me trouvais au fond d’un bois sans éclaircie / Comme le droit chemin était perdu pour moi. » Fiona Hall est née à Sidney en 1953. Sa mère, Ruby Payne-Scott, est considérée comme la première radioastronome de sexe féminin au monde. Tandis que sa famille militait pour la conservation des espaces naturels, le reste de la planète vouait un culte à la consommation. L’installation est à la fois une réaction au terrorisme, au saccage environnemental et à l’effondrement des marchés ; elle marque également une collaboration importante avec les Tisseuses du désert Tjampi de l’Australie centrale, « camp » d’artistes où les artistes femmes aborigènes sont connues pour leurs travaux tissés qui représentent des espèces locales en voie de disparition et des chats harets. L’initiative lancée par ce camp spécifique s’est désormais étendue à 400 femmes de vingt-huit communautés dans une zone du Désert Central plus grande que l’Italie. Non loin des maisons de ces femmes, les Britanniques avaient conduit des essais nucléaires secrets dans les années 1950, et, aujourd’hui, des drones américains, visant « l’État isla- mique », sont contrôlés depuis une base américaine en plein désert australien. Généralement, les tisserandes utilisent des herbes du désert, mais Hall, pour ce projet, a préféré le camouflage militaire, en référence au mot français « mimétisme ». Des photographies, prises par Hall, de ces femmes montrent qu’elles arborent également le camouflage en prenant des poses militaires caricaturales. Des cabinets noircis décrivent un mandala. Un texte à la Julian Schnabel, écrit sur une horloge de grandpère, « Les fins sont les nouveaux déb… », hurle son message, à travers les Giardini, jusqu’aux yachts qui, comme des convoyeurs aériens de l’excès, polluent le Grand Canal adjacent en un acte que je qualifierais de « vandalisme esthétique ».
Peter Hill Traduit par Vanina Géré