JOAN JONAS
Ute Meta Bauer, Paul C. Ha
Joan Jonas (née en 1936) – pionnière de l’art vidéo – sera la cinquième femme seulement, depuis 1990 (1), à représenter les États-Unis à la Biennale de Venise. À la fin des années 1980, Joan Jonas a réalisé une importante mutation lorsqu’elle a commencé à concevoir des installations à partir des éléments travaillés dans ses performances. Ce passage impliqua de nouveaux montages vidéo qui, en retour, ont influencé les performances. Ce processus était d’ailleurs en parfait accord avec son goût profond pour la « réanimation » de ses travaux anciens. Cette approche lui a également permis de parfaire sa capacité si personnelle et si troublante, de savoir unir – dans l’ici et maintenant de la performance – le passé, le présent et le futur. Pour cette 56e Biennale, Joan Jonas a réalisé, dans les cinq galeries du pavillon américain, une installation rhizomique à partir d’un ensemble de vidéos, de dessins, d’objets et de sons, tout en approfondissant certains de ses thèmes de prédilection : la distinction entre le féminin et le masculin – présente dès 1976 avec Mirage –, l’établissement de liens entre l’humain et l’animal, l’interaction avec le public – qu’elle a commencé à interroger en 1968 dans Mirrors. D’autres propositions sont à l’ordre du jour : l’utilisation d’images prosaïques sublimées par une technologie relativement simple, la distorsion d’images anciennes à l’aide d’images récentes, la réalisation de dessins executés le temps d’une performance, à l’envers, en aveugle, en plaçant devant elle de grandes feuilles de papier blanc. Elle propose également d’interroger les espaces du bâtiment afin qu’ils modifient les images et les sons, décalant ainsi la perception du public vis-à-vis d’un même mouvement ou d’une même histoire ; approfondir les allégories poétiques de l’écrivain islandais Halldor Laxness (2), grâce à son approche spirituelle et chamanique de la nature, approche qui lui permet de mettre en tension sa subjectivité et la mémoire culturelle collective. Elle va ainsi, de nouveau, réaliser ce que son ancien compagnon Richard Serra appelait « sa chorégraphie de la perception du spectateur ». Cette définition très fine de son travail reste particulièrement pertinente. En effet, chaque fois que nous assistons à une performance ou que nous circulons dans une installation de Joan Jonas, nous ne pouvons résister à ce plaisir de chorégraphier, pour nous-mêmes, ce à quoi elle nous convie. C’est sans doute cette capacité qu’elle nous offre qui nous fascine tant. C’est aussi sa façon de solliciter, avec douceur et puissance, nos projections, notre imaginaire, notre mémoire et notre inconscient, qui fait qu’elle nous entraîne chaque fois, sans réserve et sans délai, dans son univers poétique unique, diffracté et immémorial, qui, sans cela, pourrait nous rester énigmatique.
Jacqueline Caux