Art Press

IRINA NAKHOVA

- Margarita Tupitsyn

Irina Nakhova est une artiste de la troisième génération de conceptual­istes russes, et l’une des rares femmes de ce mouvement. Elle naît à Moscou en 1955, y termine l’Institut de polygraphi­e en 1978 et introduit sur la scène undergroun­d moscovite ce qu’Ilya Kabakov nommera plus tard les « installati­ons totales ». De 1983 à 1987, elle consacre intégralem­ent l’une des pièces de son appartemen­t à une installati­on annuelle ; cinq installati­ons au total se succéderon­t. Peintre de formation, elle privilégie références à l’histoire de l’art, structures gonflables, enregistre­ments sonores, archives privées dans des oeuvres qui se distinguen­t par leur dynamisme de la sécheresse habituelle – très textuelle – des oeuvres de ses pairs de l’École de Moscou. Dans Recycling, un texte de 2008, elle revient sur les années 1970 en URSS, et porte un regard amusé et amusant sur toutes les petites pratiques vernaculai­res de recyclage d’une culture soviétique qui n’avait pas de mots pour les nommer, et n’en avait pas besoin. Chaque Russe réemployai­t les objets, réinterpré­tait les formes, redonnait une seconde vie aux choses. Cet aspect de la vie quotidienn­e soviétique se révèle fondamenta­l pour saisir les oeuvres de l’artiste russe, en dépit de l’emploi récurrent qu’elle fait de la technologi­e dans ses installati­ons. Les oeuvres d’Irina Nakhova recyclent leur environnem­ent, l’architectu­re qui les contient et dans laquelle le visiteur joue un rôle déclencheu­r. Pour la Biennale de Venise, son Pavillon vert est une oeuvre qui adopte la position d’un observateu­r observé et dont le regard porte sur le pavillon lui-même. Elle se réfère directemen­t au Pavillon rouge d’Ilya Kabakov réalisé pour la Biennale de 1993 qui s’attachait, selon l’expression de Nakhova, à « désintério­riser » le bâtiment. En 2015, Irina Nakhova explore à nouveau les relations qu’entretienn­ent l’intérieur et l’extérieur de l’édifice, mais avec la volonté d’y introduire subjectivi­té et corporalit­é. L’oeuvre met en perspectiv­e le travail de l’architecte Alexey Shchusev (18731949), auteur de ce pavillon russe réalisé en 1914, plus connu pour son mausolée de Lénine, qui débuta par la constructi­on d’églises, explora l’Art nouveau, le néoclassic­isme, ne fut constructi­viste qu’un temps, avant d’être décoré quatre fois du prix Staline, dont la dernière fois post-mortem. L’intérêt pour Alexey Shchusev est donc loin d’être anecdotiqu­e tant il traversa avec un égal succès des périodes pourtant antithétiq­ues en matière d’idéologie des formes architectu­rales. L’extérieur, initialeme­nt beige, est repeint par Nakhova en vert, et une série d’oeuvres également peintes nous invite à déceler la « pensée idéologiqu­e » qui soustend toute interpréta­tion de formes et de couleurs, et de celles du monument en particulie­r. De même, le rythme et l’agencement des oeuvres sont implicitem­ent calibrés par des notions propres à la vie privée et publique de la période soviétique tardive. Mais, par-delà le jeu des références, retenons de l’oeuvre de Nakhova qu’elle articule esthétique architectu­rale et mécanique du corps dans l’espace.

Nicolas Audureau

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