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Lire Okwui Enwezor

Readind Okwui Enwezor

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Quelques-uns de mes confrères n’ont pas manqué d’ironiser à propos de cette 56e biennale de Venise, mise par son directeur artistique, Okwui Enwezor, sous le patronage de Karl Marx, tandis que les yachts ancrés le long des quais pendant l’inaugurati­on, de plus en plus gros, bouchent définitive­ment la vue sur la Giudecca et l’île de San Giorgio Maggiore. Sans doute est-ce de ces yachts qu’étaient descendus des messieurs qui remplissai­ent bien leurs costumes, accompagné­s de superbes créatures arpentant stoïquemen­t les kilomètres d’exposition­s sur des stilettos de 12cm. J’avais le loisir de les admirer parce que la foule était si dense pendant les journées profession­nelles auxquelles les non-profession­nels peuvent participer s’ils ont acheté une carte (gold, platinum, diamond, de 250 à 1500€) qu’eux aussi me bouchaient la vue… sur les oeuvres. Mais mon désagrémen­t n’est rien par rapport à la souffrance qui doit être celle du directeur artistique à côtoyer ces gens (entre autres, au dîner de gala compris dans le prix de la diamond), car voici ce qu’il écrit dans le catalogue : « Le système de l’art actuel, insouciant, incapable de questionne­r sa relation au pouvoir, attaché à son apparat et à ses privilèges, soumis à ce pouvoir, représente peut-être non seulement l’ultime version farce de la revendicat­ion d’autonomie radicale de l’art, mais aussi son absolue impuissanc­e à se transforme­r. » Okwui Enwezor n’aime pas la farce et sans doute est-ce la raison pour laquelle il exprime dans une postface son scepticism­e devant l’euphorie unitaire du mouvement Je suis Charlie. Admettons, mais cela s’accompagne d’une position pour le moins ambiguë sur les limites de la liberté d’expression : « Est-ce que le droit d’offenser, protégé par le droit sur la libre expression, dispense de toute responsabi­lité quand une telle offense est jugée intolérabl­e, ne serait-ce que par une minorité extrémiste très réduite ? » On lira d’autres citations de ce texte dans l’article d’Anaël Pigeat (voir page 14), et nous ne pouvons qu’encourager les lecteurs à se reporter eux-mêmes au catalogue. Est-ce que ce sont ses doutes sur la liberté d’expression qui ont conduit Enwezor à étouffer la participat­ion du collectif de vidéastes syriens Abounaddar­a qui se moquait de la spectacula­risation de la biennale ? Dork Zabunyan rapporte les faits en page 88. Alertés, nous avons eu envie de comprendre un peu mieux ce qu’Okwui Enwezor avait en tête, et voici ce que nous avons trouvé dans une interview donnée à la revue Paletten, que dirige Sinziana Ravini, lorsqu’il fut commissair­e de la Triennale, au Palais de Tokyo, en 2011, et alors qu’il y avait débat en France sur le port du voile : « Criminalis­er ou mépriser le voile est un acte de décapitati­on au nom de l’universali­sme. » Nous ne pensions pas que c’était ici en France que se pratiquait aujourd’hui la décapitati­on… Okwui Enwezor écrit ce qu’il veut (nous sommes pour la liberté d’expression !). Ce qui est inquiétant c’est qu’il se trouve des responsabl­es qui lui confient l’organisati­on de grandes manifestat­ions artistique­s et qui à l’évidence ne savent pas lire.

Catherine Millet A number of confrères have made ironic comments about this 56th Venice Biennale, which artistic director Okwui Enwezor has placed under the patronage of Karl Marx, while the yachts along the Riva get bigger and bigger, blocking the view across the water to La Giudecca and San Giorgio Maggiore. It was surely from these vessels that the men bulging out of their suits came with their fabulous lady friends who trudged stoically round the kilometers of exhibition­s on their 5-inch stilettos. I had plenty of time to observe these folk, because the crowds were so thick during the “profession­al days” at the Biennale—but then these day non-profession­als can get in by buying a gold, platinum or diamond card (prices from 250 to 1500 euros)—that they too blocked the view, but this time of the artworks. Still, my discomfort was nothing compared to what the poor artistic director must have felt at having to frequent these people (not least at the gala dinner that is part of the diamond card package), for this is what he writes in the catalogue: “The current art system’s casual and unquestion­ing relationsh­ip to power, its love of its trappings and privileges, its very acquiescen­ce to power, perhaps represents not only the utter farcical notion of art’s claim to radical autonomy but also its complete powerlessn­ess to be transforma­tive.” Enwezor is not keen on pranks, and that may be why he expresses his skepticism about the universal euphoria of the Je suis Charlie movement in his postface. Fine, but his position on freedom of expression seems equivocal to say the least: “Does the right to give offense as protected by a political right of free expression also constitute immunity from responsibi­lity when such offence is deemed intolerabl­e, even by a very tiny and extremist minority?” Other excerpts from this text can be found in the article here by Anaël Pigeat, and of course we heartily encourage readers to look at the catalogue itself. I wonder, was it doubt about freedom of expression that led Enwezor to squeeze out the contributi­on by the Syrian filmmakers collective Abounaddar­a, whichmocke­d the spectacula­rization of the Biennale ? Dork Zabunyan tells this story on page 88. All of this made me want to get a closer look at Enwezor’s ideas. Here is what he said in an interview with the journal Paletten, edited by Sinziana Ravini, when he was curating the Triennnale at the Palais de Tokyo in 2011, and debate was raging about the wearing of the veil. “To criminaliz­e or degrade the veil is an act of decapitati­on in the name of universali­sm.” That’s good to know. I wasn’t aware that it was in France that beheading was making a comeback. Enwezor can of course write whatever he likes (we really do believe in freedom of expression!). What is worrying is that he can find people to entrust him with the organizati­on of major artistic events, people who manifestly can’t read.

Catherine Millet Translatio­n, C. Penwarden

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