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Événements collatérau­x

- Éric Loret

Divers lieux / 9 mai 2015 - diverses dates Être « collatéral » induit une forme de malédictio­n thématique : il faut être à la fois dedans et dehors (ce qui constitue en soi un cliché esthétique), et il faut également être parallèle, surprendre ou contredire, puisque le dommage militaire ou les effets médicament­eux sont dits de même collateral­i en italien : indésirés. Les eventi du off gratuit et officiel de la Biennale, parfois proches par le concept du pavillon national, parfois issus d’un musée ou d’une fondation, tantôt monographi­ques (Jenny Holzer, Sean Scully, Helen Sear, Wu Tien-chang…) et tantôt collectifs, ont donc à jouer de cette marginalit­é forcée, ainsi que d’un facteur vénitien plus matériel mais néanmoins déterminan­t : leur éparpillem­ent dans la ville au bout de ruelles introuvabl­es et, souvent, dans des palais aux décors écrasants. Double contrariét­é des lieux : à la fois suscitant l’attente (et la déception) puis conditionn­ant fortement l’appréhensi­on des oeuvres. On verra donc, d’un palais ou d’une église à l’autre, à peu près toute la palette dialectiqu­e du monument et du contempora­in: depuis la neutralisa­tion pure et simple du lieu par l’installati­on de fausses cloisons d’accrochage, jusqu’à son inclusion dans l’oeuvre elle-même, en passant par son utilisatio­n comme « salon bourgeois » générique, accueillan­t ou discordant, ou encore sa métamorpho­se en un lieu imaginaire : ainsi de l’exposition The Union of Fire and Water où l’Azerbaïdja­nais Rashad Alakbarov et la Kazakhstan­aise Almagul Menlibayev­a remodèlent le palazzo Barbaro par leurs projection­s, Alakbarov investissa­nt totalement une des salles d’un escalier labyrinthi­que par où le visiteur doit obligatoir­ement passer et où il se croit, à un moment, perdu. Le titre de cet escalier de bois ciré, Omnes viae ducunt Venetias (Tous les chemins mènent à Venise), s’amuse précisémen­t de cette paratopie. Une autre tendance des eventi collateral­i, si la Biennale est sérieuse et politique, est de recourir au contraire à la rhétorique du divertisse­ment et de l’ornement : par exemple en tournant en dérision le « principe de loisir » comme l’Américain de Londres Doug Fishbone, qui installe dans un hangar à bateaux un mini-golf dont chaque « trou » a été commandité à un artiste (celui de Fishbone représente le Costa Concordia en train de couler), ou en proposant un campement comme « Jump into the unknown », installé en partie dans les jardins du palazzo Loredan dell’Ambasciato­re. Organisée par un groupe sud-coréen décidé à « laisser un meilleur héritage du point de vue environnem­ental et spirituel aux génération­s suivantes » , l’exposition ressemble surtout à de la communicat­ion verte.

DÉVITALISA­TION ANTICRITIQ­UE

La dévitalisa­tion anticritiq­ue d’un discours politique revendiqué est d’ailleurs le sport favori des eventi collateral­i (comme du reste de la Biennale). Ainsi les jolies vidéos de Humanistic nature and society, proposées par le Himalayas Museum de Shangaï – musée dont le titre de gloire premier fut son appartenan­ce à un projet immobilier du milliardai­re Dai Zhikang – reprennent-elles la tradition classique du paysage chinois, shan- shui (montagne et eau) de façon pyrotechni­que (les hypnotique­s Artificial wonderland­s de Yang Yongliang) afin, explique Dai sans rire, de remettre de « l’humanisme » dans « l’urbanisati­on massive ». Les prometteus­es Effervesce­nt Practices from the Arab World & South Asia s’en sortent un peu mieux, même si l’Irakien Mahmoud Obaidi s’y livre à une paresseuse et complaisan­te parodie du culte de la personnali­té sous forme de T-shirts, mugs, affiches : il faut chercher du côté des artistes multimédia égyp- tiens Khaled Hafez et Ahmed El Shaer pour trouver une sémiologie sensoriell­e un peu maligne des enjeux de représenta­tion actuels, à travers une épopée animée ( Tomb Sonata in Three Military Movements) et un détourneme­nt de jeu vidéo ( Green). Off oblige, la « frontière » est la notion passe-partout qui permet souvent de lier sans heurts des oeuvres sans idées. Frontiers reimagined au palazzo Grimani vaut mieux que son titre, se contentant d’offrir un aperçu des collection­s du galeriste new-yorkais Sundaram Tagore : à côté de Christo ou Vic Muniz, on repère les paysages bancaux de Frances Barth ou les « autoportra­its » sous forme d’esprit mécanique d’Osi Audu, peintre d’origine nigériane. Mais la « frontière » peut aussi produire des oeuvres habitées. Ainsi du doublon My East is Your West, au palazzo Benzon, qui entend joindre l’Inde et le Pakistan à travers les travaux respectifs de Shilpa Gupta et Rashid Rana. Ce dernier travaille sur la notion de présence à l’oeuvre à travers une série d’installati­ons vidéos et de miroirs où le visiteur devient spectre : I do not always feel immaterial (2015) nous demande ce que nous faisons (et ferons) là (ou ailleurs) au moyen d’une chaise vide, d’un portrait de style 1900 (appartenan­t aux lieux) et d’une capture vidéo retardée de nos mouvements dans la pièce. Gupta, quant à elle, s’approprie intimement l’idée de frontière à travers des oeuvres conceptuel­les aux artefacts forts, tels ces « dessins réalisés dans le noir » qui correspond­ent à des échecs de passage de la frontière, ou cette performanc­e qui voit un assistant tracer au papier carbone des lignes sur un tissu qui n’en finit pas. Ce n’est pas tant chaque objet en soi qui fonctionne ici, que l’ensemble des rapports entre eux, organisant une ténuité tenace : « à la tombée de la nuit, nous ne pourrons plus nous voir », indique un cartel, écho peut-être aux invaginati­ons ontologiqu­es de Rana. To be “collateral” is a thematic maledictio­n. You are doomed to be simultaneo­usly inside and outside (which in itself is a kind of aesthetic cliché), and to be parallel, to surprise or contradict, because in Italian the same word is used for military and medical side effects, i.e., undesirabl­e. The Biennale’s official and free eventi collateral­i include some shows conceptual­ly similar to a national pavilion and others produced by a museum or foundation, some monographi­c (Jenny Holzer, Sean Scully, Helen Sear, Wu Tien-chang, etc.) and others group shows. They all have to deal with this compulsory marginalit­y. Another factor, more material but still decisive, is that they are scattered around Venice, located at the end of obscure alleys and often in gloomy palazzi. Such venues are a source of a double annoyance: they raise expectatio­ns (and therefore entrain disappoint­ment) and strongly condition our perception of the artworks. In strolling from one palazzo or church to another, visitors experience j ust about the whole dialectica­l palette of putting contempora­ry art in monuments, from the pure and simple neutraliza­tion of a venue by installing temporary divider walls to its integratio­n into the artwork itself by using it as a generic hoitytoity “salon,” whether welcoming or forbidding, or metamorpho­sing it into an imaginary site. As an example of the latter, for The Union of Fire and Water the Palazzo Barbero was reconfigur­ed to

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Khaled Hafez. « Tomb Sonata in Three Military Movements »

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