Épopopoèmémés
Impeccables Née en Roumanie, installée en France, Sanda Voïca écrit en français. Après la publication d’un premier recueil, Exils de mon exil, son nouveau livre inclassable est une épopée (que le titre suggère ironiquement) qui convoque tous les temps du sensible. Elle se conjugue dans une écriture concentrée et déconcentrée. Elle chemine au trot, à l’écoute du dehors, et tout autant dans le galop d’une parole indomptable jouant sur les associations, les jeux de mots et de sens, les performances, sur les rêves et les hypothèses de l’inconscient. Refusant la rétention et aussi la confidence, convaincue comme Nerval que la parole poétique, comme l’imaginaire, est une seconde vie, cette poète prolonge les possibles et « noircit la nuit plus vite que les nuages ». Elle sait associer art mineur et art majeur, en se décentrant et en s’éparpillant dans une vie et une écriture qui vident la mémoire. Penser sa dépense relève bien de la kénose, tendre à la poésie c’est s’anéantir dans le suintement du poème qui « coule de source » en prolongeant le sensible dans de longues laisses. Le clinamen (l’écart, la déclinaison des atomes) qui évite de tomber dans le vide et permet un point de rencontre concerne la double adresse. À soi-même d’abord, à condition de ne pas céder sur ses propres désirs, à la jouissance-papier également, dans cet espace où rien ne manque. Il s’agit bien de bander l’arc pour atteindre la cible : « Bander – abolit tout ce que vous voulez : espace, temps, parents, prisons, névralgies, chaussettes sales, mauvaise haleine, la chute des empires […]. » Se comparant à une poupée russe, Sanda Voïca parvient à emboîter sans fin son sommeil dans l’éveil et inversement, faisant de son long poème combat musical et maîtrise du temps.