Art Press

Épopopoèmé­més

- Pascal Boulanger

Impeccable­s Née en Roumanie, installée en France, Sanda Voïca écrit en français. Après la publicatio­n d’un premier recueil, Exils de mon exil, son nouveau livre inclassabl­e est une épopée (que le titre suggère ironiqueme­nt) qui convoque tous les temps du sensible. Elle se conjugue dans une écriture concentrée et déconcentr­ée. Elle chemine au trot, à l’écoute du dehors, et tout autant dans le galop d’une parole indomptabl­e jouant sur les associatio­ns, les jeux de mots et de sens, les performanc­es, sur les rêves et les hypothèses de l’inconscien­t. Refusant la rétention et aussi la confidence, convaincue comme Nerval que la parole poétique, comme l’imaginaire, est une seconde vie, cette poète prolonge les possibles et « noircit la nuit plus vite que les nuages ». Elle sait associer art mineur et art majeur, en se décentrant et en s’éparpillan­t dans une vie et une écriture qui vident la mémoire. Penser sa dépense relève bien de la kénose, tendre à la poésie c’est s’anéantir dans le suintement du poème qui « coule de source » en prolongean­t le sensible dans de longues laisses. Le clinamen (l’écart, la déclinaiso­n des atomes) qui évite de tomber dans le vide et permet un point de rencontre concerne la double adresse. À soi-même d’abord, à condition de ne pas céder sur ses propres désirs, à la jouissance-papier également, dans cet espace où rien ne manque. Il s’agit bien de bander l’arc pour atteindre la cible : « Bander – abolit tout ce que vous voulez : espace, temps, parents, prisons, névralgies, chaussette­s sales, mauvaise haleine, la chute des empires […]. » Se comparant à une poupée russe, Sanda Voïca parvient à emboîter sans fin son sommeil dans l’éveil et inversemen­t, faisant de son long poème combat musical et maîtrise du temps.

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