Les Jocondes à moustaches
Les Presses du réel Après la Bibliothèque de Marcel Duchamp, Marcel Duchamp mis à nu et le Duchamp facile, Marc Décimo propose un catalogue raisonné, érudit, et en même temps hétéroclite, de 180 caricatures et détournements de Mona Lisa pré- et post-duchampiens. Comme le rappelle l’auteur, la notoriété paradoxale de la Joconde doit beaucoup à trois événements : un premier détournement, en 1887, par Arthur Sapeck, illustre membre du groupe des Incohérents, où ce dernier ajoute au tableau une pipe ; en 1911, le tableau est volé par Vincenzo Peruggia et rapporté à Florence ; enfin, en 1919, Marcel Duchamp, se rebellant contre l’establishment, ajoute à la Joconde non seulement une moustache mais aussi un rébus scabreux: L.H.O.O.Q. L’approche méthodologique de Décimo n’est cependant pas linéaire et là réside toute son originalité : elle repose, en effet, sur un anachronisme qui vient éclairer autant le passé que l’avenir. Derrière les barbiches apparaît tout un arrière-plan historique faisant autant référence au thème de la femme à barbe qu’à l’histoire des mentalités et des sensibilités. Ajouter une moustache devient alors un exercice pour de nombreux artistes et agit tantôt comme une reprise intertextuelle, tantôt comme un hommage et commentaire permanent : du surréalisme (Dalí, Ernst) aux artistes moins connus (collectif Lódz Kaliska, Eduardo Arroyo, Manuel Ocampo) en passant par la photographie (Henri Maccheroni), l’installation (Jerry Ross Barrish), la bande dessinée ou la musique rock ( Frank Zappa) où, chaque fois, le motif sert à des fins ludiques ou politiques (caricatures de Mao, Kadhafi, etc.). Un programme remarquable et paradoxal qui cherche in fine à faire peutêtre de ce geste iconoclaste une nouvelle icône.