Art Press

VALÉRIE BELIN

- interview par Étienne Hatt « Aura ». Série « Super Models ». 2015. Tirage pigmentair­e. 177,5 x 134,5 cm (© Valérie Belin et Court. galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles, pour toutes les oeuvres). Pigment print

Qu’il s’agisse de visages, de corps ou d’objets, qu’elles soient en noir et blanc ou en couleurs, les grandes photograph­ies de Valérie Belin font plus qu’arrêter le regard. Elles le troublent en instillant le doute dans la représenta­tion. Le Centre Pompidou consacre une exposition, les Images intranquil­les (24 juin-14 septembre), à l’artiste française née en 1964. La trentaine d’oeuvres réunies, issues de séries réalisées depuis 1998, soulignent combien Valérie Belin, attachée au médium photograph­ique et à ses évolutions techniques, a été amenée à renouveler sa pratique. Les Images intranquil­les présente des oeuvres issues d’une douzaine de séries parmi la quarantain­e que vous avez réalisées à ce jour. C’est une exposition transversa­le mais ce n’est pas une rétrospect­ive. Quel point de vue a été adopté ? Clément Chéroux, commissair­e de l’exposition, a choisi le prisme de l’« inquiétant­e étrangeté », ou « inquiétant­e familiarit­é », un concept freudien. Ce sentiment survient notamment lorsqu’en apercevant son propre reflet dans une vitre on pense tout d’abord qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. On peut effectivem­ent retrouver ce phénomène de non-reconnaiss­ance dans mon travail. Cette notion renvoie ainsi, pour moi, au cliché et au stéréotype. Mes sujets ont tous un statut de cliché, d’image très codifiée. Mais ces clichés se dérobent car on ne reconnaît pas ce que l’on voit. Par exemple, dans les Mannequins de 2003, le cliché se trouble, il perd son apparente évidence. La beauté si reconnaiss­able se dissout au profit d’une plastique vide accrue par la taille des tirages : regards dépourvus d’expression, peaux trop lisses, modelés aux ombres trop graphiques. Apparaisse­nt le faux, le froid, voire le mortifère. L’exposition s’articule autour de votre dernière série, les Super Models, qui reprend le motif du mannequin de vitrine déjà utilisé. Ce n’est pas la première fois que vous revenez sur un sujet. Je m’attache à montrer des stéréotype­s et à les déconstrui­re en créant un trouble qui remet en cause leur évidence. Au départ, il s’agissait plus de typologies : les Bodybuilde­rs de 1999, les Black Women, les Transsexue­ls et les jeunes mannequins d’agence de 2001 photograph­iés de manière anthropolo­gique. Puis, le mannequin de vitrine s’est imposé en tant que stéréotype par excellence. Finalement, je suis passée de sujets dont on pouvait percevoir l’aspect vivant à des sujets qui l’avaient perdu. On doute de plus en plus de leur réalité. Le mannequin participe de cette logique de désincarna­tion, de déréalisat­ion et de perte du vivant. En 2003, les mannequins de vitrine étaient photograph­iés en noir et blanc. La précision était quasi chirurgica­le. Cet hyperréali­sme avait pour effet paradoxal de déréaliser mon sujet. Aujourd’hui, j’utilise la couleur et la surimpress­ion. Il ne s’agit pas de donner vie à l’inanimé, mais de mettre en place un jeu de miroir qui mine le cliché de l’intérieur. Il est comme exorbité par l’exaltation de sa puissance. L’artifice de la surimpress­ion fait mieux surgir la vacuité du stéréotype.

L’ARTIFICE DU VIVANT

La quasi-totalité des photograph­ies de l’exposition figure des visages et des corps humains. Seules trois oeuvres, des séries Meat (1998), Engines (2002) et Fruit Baskets (2007), n’ont pas l’humain pour sujet. Quel est leur rôle ? Celui de contrepoin­t. Mes photograph­ies de viande, qui évoquent des figures d’écorchés, étaient une manière de montrer, par des chemins détournés, le corps humain. Cette fausse chorégraph­ie de morceaux inertes devait insuffler de la vie à quelque chose de mort. Le moteur est une nature morte qui tranche avec l’iconograph­ie traditionn­elle du genre. C’est aussi le parfait équivalent d’un organe humain. Ces tuyaux et durites restés à l’état brut lui donnent un aspect organique, presque vivant. Le corps est derrière ces deux images. Qu’en est-il de la corbeille de fruits ? Son étrangeté est due à la couleur qui donne l’impression que les fruits sont artificiel­s alors qu’ils sont vrais. Cet artifice fait écho à celui de la danseuse du Lido de 2008 ou des Man

nequins de 2003 avec lesquels elle dialogue dans l’exposition. Elle illustre plutôt l’artifice du vivant. Le titre de l’exposition, les Images intran

quilles, est surprenant venant d’une artiste attachée à l’emploi du terme précis de « photograph­ie », par opposition à celui plus générique d’« image ». Comment expliquer ce changement lexical ? Lorsque j’emploie le terme « photograph­ie », je fais plus référence au processus que j’ai choisi comme moyen, qu’au résultat final. Le résultat de la photograph­ie est une photograph­ie, mais c’est aussi une image, au même titre qu’une peinture est aussi une image. Le noir et blanc, ou la métaphore de l’empreinte, n’était en quelque sorte que l’artefact d’un procédé encore très marqué par son caractère « analogique » à l’époque où j’ai commencé à l’utiliser. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, à l’heure du numérique. Il me semble qu’il est plus juste, désormais, de dire qu’on produit « des images » plutôt que « des photograph­ies ». Mon travail est donc sans doute aujourd’hui plus « pictural » que « photograph­ique », mais il l’était déjà à l’origine.

 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France