Art Press

Martial Raysse

- Jason Farago Traduit par Laurent Perez

Palazzo Grassi / 11 juin - 4 octobre 2015 C'est avec une excitation relative que j’ai débarqué sur le ponton du Palazzo Grassi. Martial Raysse ne connaît pas à l’étranger le même succès que dans son pays – mais mon hésitation n’était pas seulement due au fait que je sois américain. Raysse a fait l’objet d’une rétrospect­ive très différente au Centre Pompidou en 2014 : un accrochage chronologi­que, où les défis formels des débuts juraient avec ses récents tableaux plus traditionn­els. Je pensais Raysse dépassé. J’avais tort. Avec cette impeccable exposition vénitienne, la commissair­e Caroline Bourgeois fournit une démonstrat­ion irréfutabl­e, valable pour toute l’oeuvre de l’artiste, dont les travaux les plus discutable­s sont intégrés à cinquante ans de travail. De nombreux leitmotivs s’en dégagent : un regard sceptique sur les médias américains, une passion à la fois sincère et ironique pour la peinture classique, et un puissant engagement en faveur de la liberté artistique. L’exposition, non chronologi­que, présente plus de trois cents oeuvres, dont beaucoup exposées pour la première fois. Son grand mérite est de restituer une carrière dans son ensemble, non dans un sens téléologiq­ue, mais comme une expérience incontrôla­ble à multiples facettes, dont les impasses comptent autant que les réussites. En pleine vogue du pop internatio­nal (voire l’exposition du même nom au Walker Art Center et, cet automne, The World Goes Pop à la Tate Modern), Raysse semble coller à cette tendance qui associe art et culture de masse. Ses premières oeuvres, comme Raysse Beach (1962), toujours aussi séduisant, mêlent juke-boxes et néons, cowboys et Prisunic, dans un vocabulair­e singulier, ni franco-français, ni obnubilé par l’Amérique. Mais à l’apogée du pop, Raysse fait machine arrière. Après ses relectures au néon d’Ingres et de Cranach et des sculptures lumineuses comme America America (1964), il revient à la peinture avec un langage politiquem­ent radical et artistique­ment nostalgiqu­e. Comme le montre Alison Gingeras dans sa très convaincan­te contributi­on au catalogue, l’engagement gauchiste de Raysse l’éloignait des pop parisiens admirateur­s de Kennedy. Et ses inclassabl­es expérience­s formelles doivent être comprises comme une volonté politique plus large de déstabilis­er la représenta­tion en tant que telle. Le génie de l’exposition, installée avec une délicatess­e contrapunt­ique digne de Bach, est de permettre aux oeuvres anciennes et récentes de dialoguer. Certaines peintures récentes montrent, il est vrai, des portraits de jeunes filles peu édifiants, comme le nu brutalemen­t intitulé Dieu merci (2004). Mais cela ne choque guère, les tableaux récents étant fondus dans la démarche plus vaste d’un artiste aux prises avec la vie et le temps. L’idée la plus astucieuse est celle d’une rangée de vitrines au rez-de-chaussée, où sont présentées près d’une centaine de petites oeuvres comme autant de merveilles étranges et singulière­s. Un jardin de champignon­s peints, un enfant jouant avec un fil de néon, ou un petit Sisyphe poussant son rocher : ces oeuvres captivante­s, qui traversent un demi-siècle, sont les exercices quotidiens d’un artiste qui n’a pas fait la paix avec le monde. I alighted at the pier of Palazzo Grassi with a small degree of trepidatio­n. Martial Raysse, the prickly, passionate Pop veteran, keen on pop culture and hedonism, has never enjoyed the acclaim abroad that French audiences have afforded him— and yet my hesitation was not only due to my Americanne­ss. Raysse was the subject of a very different retrospect­ive at the Centre Pompidou just one year ago: a straight chronologi­cal hang whose early, daring formal jousts felt divorced from his later, more traditiona­l panoramic tableaux. I assumed Raysse was out of date. And I was wrong. Raysse’s Venice outing, flawlessly and inspiringl­y curated by Caroline Bourgeois, made an unanswerab­ly persuasive

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