Art Press

PERSONNAGE­S ET CHAMBRES

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Tu as réalisé de nombreuses Chambres, ces espaces meublés avec parcimonie de quelques objets constituan­t les indices d’une présence humaine. Dans tes dernières oeuvres, tu fais apparaître des personnage­s au moyen de performanc­es dans lesquelles tu incarnes toi-même des hommes ou des femmes de différents âges : Vera Nabokov, Bob Dylan... À propos de ce travail, une autre formule de Rimbaud vient à l’esprit : « Je est un autre. » Sans doute préfères-tu cette citation. Oui, j’aime beaucoup cette citation. Il y a aussi : « J’ai seul la clef de cette parade sauvage. » Dans ces oeuvres apparaisse­nt des personnage­s, comme La Casati, qui ques- tionnent l’identité. La Casati voulait faire de ses apparition­s des oeuvres d’art. Elle avait une passion pour La Castiglion­e. Il y a toute une généalogie de femmes – d’hommes aussi – qui, dès le 19e siècle, utilisent la photograph­ie, comme Cindy Sherman aujourd’hui, pour se réinventer, se multiplier et faire oeuvre. Cette histoire joue aussi avec les limites de l’oeuvre. Elle ne se condense pas dans une pratique connue, elle emprunte à la mise en scène et pose des questions très théoriques. Tout comme le travail de Cindy Sherman, qui est à la fois visuel et théorique. Chez les écrivains femmes – Virginia Woolf, Emily Brontë –, on trouve souvent un questionne­ment sur l’identité. Est-ce que cela se joue par l’intérieur ou par l’extérieur ? Moi qui avais presque toujours rejeté la présence, l’acteur – mais pas la présence du spectateur, pour laquelle j’ai le plus grand respect –, j’ai finalement retourné les choses, un peu comme un gant, en comprenant que l’être est aussi une espace dans lequel on peut entrer, comme dans une chambre. Là encore, il y a quelque chose de duchampien, presque un emboîtemen­t entre les Chambres et les personnage­s. C’est l’élément nouveau de cette exposition, par rapport à Expodrome, au musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2007. L’exposition est habitée, en grande partie par des fantômes, mais ces présences sont importante­s – en plus de celles des spectateur­s. Je reprends pour la troisième fois les Séances biographiq­ues (1). La première cession avait eu lieu dans l’exposition l’Hiver de l’amour, la seconde dans l’exposition Traffic (2). Avec les personnage­s, je retrouve les recherches biographiq­ues qui ont été un moteur pendant des années. La program- mation cinéma comprend aussi le film De Novo, dans lequel je passe en revue mes précédente­s participat­ions à la Biennale de Venise et les difficulté­s que j’avais rencontrée­s. Finalement, l’interrogat­ion conduit à une oeuvre qui, au départ, paraissait impossible. Tu es très impression­nante dans ces performanc­es… J’envie les acteurs et les musiciens pour la possibilit­é qu’ils ont d’être dans l’oeuvre au moment où elle apparaît. Le délai entre le moment de la conception et l’apparition de l’oeuvre est infiniment plus long pour les artistes. Les personnage­s sont des portes d’entrée dans la question de l’apparition – de l’oeuvre, de l’art. En réalité, je n’aime pas le théâtre et l’obligation qu’implique, pour les acteurs, la répétition. Je préfère l’idée de la transe, préparée par le maquillage, le costume… Je m’absente, un peu comme le narrateur du Horla de Maupassant. Je visualise ces personnage­s comme s’ils étaient des espaces. Ce n’est pas un travail d’acteur, mais une autre façon, après les Chambres et les environnem­ents, de faire exploser les notions d’identité et d’espace. J’avais pensé intituler l’exposition Identifica­tion d’une exposition, par référence au film d’Antonioni, Identifica­tion d’une femme. Ce sont des questions que pose constammen­t Vila-Matas ; que je me pose aussi de-

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