Et après? Comme avant.
Afterwards? Just like before.
À l’occasion de la parution de deux livres de la rentrée de janvier, nos pages littéraires s’ouvrent sur un long texte de Philippe Forest qui fait le point sur l’« autofiction », ce serpent de mer qui depuis une vingtaine d’années ne cesse de hanter le paysage romanesque français. J’ai dit serpent de mer, n’est-ce pas trop et mal dire, vu que cet animal mythologique, qui hante les mers et l’imagination des hommes, est un monstre de dimension gigantesque ; ne faudrait-il pas parler, plutôt, d’un long ver plat parasite, le ténia, inoculé, comme le rappelle Philippe Forest, il y a près de trente ans, par Serge Doubrovsky dans l’appareil digestif universitaire, où il a fait son nid et développé ses prolifiques anneaux. En fin praticien et en diagnosticien avisé, Forest repère et analyse les manifestations du mal, complétant un tableau clinique dressé par des spécialistes dont la culture littéraire laisse parfois à désirer. Titre de son texte : « L’autofiction et après ». Parions avec lui qu’après, ce sera comme avant. Comme il y a eu des saint Augustin, des Stendhal, des Chateaubriand, des Céline, des Duras, des Leiris, des Aragon, des Bataille, comme il y a des Kundera, des Quignard, des Sollers, des Guibert, des Jack-Alain Léger…, il y aura des écrivains qui continueront à faire, sans le savoir, de l’« autofiction ». Ils le feront, comme avant, en écrivant des romans d’imagination inspirés de leur vie, des autobiographies, des journaux intimes, des histoires fausses racontant des histoires vraies, des vraies racontant des fausses, des fausses racontant des fausses, et des vraies des vraies…, étant, bien sûr, entendu que pour ce qui est de la littérature, la question de la vérité est loin d’appeler une réponse simple. Parmi les écrivains du siècle passé, il en est dont je m’étonne qu’il n’ait jamais été cité par les théoriciens de l’« autofiction » (mais probablement ne l’ont-ils pas lu) : Louis Calaferte. Il se trouve que Calaferte a été très présent dans artpress et que l’on vient, pour cette raison, de publier dans la collection « Les grands entretiens d’artpress » (1) un volume qui lui est consacré. Nous avons cru bon de compléter ses entretiens avec Patrick Amine par quelques-unes des lettres qu’il m’avait adressées. Si elles sont précieuses à mes yeux, c’est que, entre autres, elles éclairent la conception que Calaferte se faisait de la littérature en général et de l’écriture de ses propres livres. Elles montrent, en tout cas, que les interminables débats autour de l’« autofiction » lui auraient paru parfaitement vains. Dans une de ses lettres, datée du 20 janvier 1986, dans laquelle il revenait sur la lecture de mon roman Carrousels, voici ce qu’il écrivait : « […] Je suis en priorité sensible dans une oeuvre à ces coups de vent qui les traversent, à ce feu inexplicable qui l’alimente parce que son auteur a besoin de s’exprimer, c’est-à-dire d’exprimer ce qui est en lui dans les zones où la circulation se fait plus ou moins bien en ce qui concerne son moi profond. De ce point de vue, tout livre qui n’est pas une espèce de confession, ou disons une espèce d’aveu de faiblesse, n’existe pas dans la durée […]. Sexe, Mort, Conscience de l’Impossible (celui de quelqu’un tel que Bataille), voilà quels sont les pôles de tels livres qui en font leur envoûtement pour ceux qui, comme moi, aiment dans le fait littéraire la crispation de la très pénible difficulté d’être […] ».
Jacques Henric Responding to the publication of two books this January, our literary pages open with a long text by Philippe Forest about the current state of autofiction. The notion is itself a kind of Loch Ness monster that has haunted the world of French fiction these last two decades. Well, perhaps I’m overstating and misrepresenting at the same time: rather than some gigantic creature that obsesses the imagination, we are talking more about a tapeworm, a long, flat parasite. As Philippe Forest reminds us, this creature was put into the intestines of French literature—and especially university literary departments— about thirty years ago by Serge Doubrovsky, and has never looked back. Forest, who is himself both a skilled practitioner and a discerning analyst, completes the diagnosis begun by specialists whose literary culture is sometimes not quite up to the task. His text, “Autofiction and afterwards,” suggests— and I think we can agree—that this “afterwards” will be the same as “before.” Just as we have had Saint Augustine, Stendhal, Chateaubriand, Céline, Duras, Leiris, Aragon, Bataille and others, and just as we have the likes of Kundera, Quignard, Sollers, Guibert and Jack-Alain Léger, so writers will continue to produce autofiction without knowing it in the future, by writing novels inspired by their life, autobiographies, false diaries, fictions telling true stories, true stories telling fictions, fictions telling fictions, and true stories telling true stories—bearing in mind, of course, that where literature is concerned the question of truth is far from simple. Among the writers of the past century there is one, Louis Calaferte (d. 1994) whose absence from discussions by the theoreticians of autofiction always amazes me (but then maybe they never read him). It so happens that he was a good friend of artpress and that we have just published a book of interviews with him.(1) In addition to his interviews with Patrick Amine, the volume includes a few of the letters he wrote to me. I treasure them, for one thing, because they shed light on Calaferte’s conception of literature in general and of the writing of his own books in particular. They also show that the endless debates about autofiction would have struck him as perfectly pointless. In one of these letters, dated January 20, 1986, he wrote: “[…] Usually what I respond to in a work are those gusts that blow through it, that inexplicable fire that burns there because its author is driven to express himself, that is to say, to express what is there in him in the zones where things don’t always come out so well, where his deep self is concerned. From this point of view, every book that is not a kind of confession, or let’s say a kind of confession of weakness, does not exist in the long run […]. Sex, Death, Consciousness of the Impossible (that of someone like Bataille), these are the poles of such books that make them so compelling for people like me who love in literature that tensing of the very uncomfortable difficulty of being […].”.
Jacques Henric Translation, C. Penwarden