Steve McQueen
Galerie Marian Goodman / 9 janvier - 27 février 2016 Est-ce l’expérience de cinéaste de fiction puisant dans la tradition classique hollywoodienne qui explique la construction exceptionnellement narrative de cette exposition de l’auteur de Shame et de 12 Years a Slave? Cette nouvelle proposition comprend quatre moments articulés et montés selon le principe d’un récit édificateur. Elle commence par un grand mur constellé de néons de couleur bleu sombre qui empruntent des cursivités anonymes très délibérément diversifiées et qui répètent sur toute sa surface : Remember Me. Véritable injonction qui renvoie aux inscriptions gravées sur les pierres tombales de cimetière et qui prépare ainsi la suite du parcours. Puis un film court, Ashes (1), passé en boucle, célèbre et commémore le corps d’Ashes, un jeune homme de l’île de la Grenade où Steve McQueen avait tourné Caribs’ Leap en 2002, avec le grand Robby Müller, opérateur de WimWenders. « Assis sur le rebord du bateau, torse nu, se déplaçant devant l’horizon infini, il incarnait une idée de la liberté », se rappelle McQueen. Le jeune homme fut tué à la suite d’une obscure affaire de stupéfiants et n’eut pas de sépulture. Troisième moment au verso du même écran, réalisé huit années plus tard dans un cimetière de la Grenade : un marbrier construit précisément cette sépulture, une tombe consacrée à la mémoire d’Ashes. En fait, c’est l’installation en son entier qui est sa sépulture. En outre, s’impose la splendide idée d’utiliser l’endroit et l’envers d’un écran pour dire le triomphe d’une vie et la tristesse de sa disparition. Une ultime salle attend le visiteur au plus profond des locaux souterrains de la galerie. S’y tient une colonne tronquée, brisée, avec sa maquette en réduction symbolisant l’interruption de la vie selon le dogme figuratif instauré dans la peinture religieuse à la Renaissance. Pour être complet, mentionnons, au rez-de-chaussée, l’accueil du visiteur par deux imposantes météorites recouvertes de papier d’argent. Une introduction qui inscrit l’installation de McQueen au sein d’une vision cosmogonique. L’artiste ne nous avait pas habitués à une telle rigoureuse et signifiante scénographie, dans une perspective de production d’émotions. Et qui sait s’il n’est pas meilleur cinéaste ici que dans le cadre de la production du cinéma industriel ? Pour moi, la réponse est évidente… Car il s’agit bien d’émotions d’autant que cet éloge d’une jeunesse disparue fait irrésistiblement songer à des plans sublimes de Tabu : même fierté de l’érection d’un corps qui défie le destin et troublante présence d’une corde qui rappelle le lien vital se rompant au terme du film de Murnau. La seconde idée « éblouissante », si je puis dire, est l’utilisation de néons qui reproduisent la singularité de chaque écriture alors même que leur luminescence floue, projetée sur le mur, unifie et abolit la diversité scripturale, donc les différences entre chaque individu. Beau message en ces temps de rageuses et dangereuses ambitions de diviser. Is it Steve McQueen’s experience as amovie director ( Shame, Twelve Years a Slave) drawing on the classical Hollywood tradition that explains the exceptionally narrative construction of this exhibition? The show comprehends four moments articulated and organized in the manner of an edifying tale. It begins with a large wall studded with dark blue neon lights that seem to trace a series of anonymous and deliberately very diversified styles of handwriting recurring across the entire surface. Remember Me is truly an injunction, and in reminding us of tombstone inscriptions it prepares us for what follows. Next comes a short looped video that celebrates and commemorates the body of Ashes, a young man from the island of Grenada where McQueen made Caribs’ Leap in 2002 with the great cameraman Robby Müller, known for his work with WimWenders. “Sitting on the side of a boat, his torso bare, moving toward the infinite horizon, he was the embodiment of the idea of freedom,” Mc Queen recalls. The young man was killed in an obscure drug-related incident and never properly buried. The film’s third moment, projected on the other side of the same screen, was made eight ears later in a cemetery in Grenada. A marble cutter carefully makes a gravestone for Ashes. In fact, the whole installation itself is a memorial to him. It is a splendid idea to use of both sides of a screen to represent the triumph of a life and the sadness of death. A last room awaits the visitor deep within the bowels of this gallery. A broken column alongside a scale model of itself symbolizes the interruption of a life according to the figurative codes of Renaissance religious paintings. For the sake of completeness, we should mention the two imposing silver-foilcovered meteorites that greet visitors on the ground floor. This introduction indicates the cosmological vision behind McQueen’s installation. We are not used to this artist’s combination of rigorously meaningful staging and emotional charge. Could this piece reveal him to be a better director than is evident in his feature films? For me the answer is obvious. This is about emotion, even as the eulogy for a lost youth cannot but bring to mind sublime shots in Taboo— the same proud erectness of a body that defies destiny and the troubling presence of a rope recalling the vital link that breaks at the end of Murnau’s film. The second dazzling idea, if I may say so, is the use of neon lights to reproduce the singularity of each kind of handwriting even as their hazy luminescence, projected onto the sea, unifies and abolishes the scriptural diversity, and thus the differences between each individual. A fine message in these times marked by a raging and dangerous urge to divide us.
Translation L-S Torgoff