Art Press

Oda Jaune

- Richard Leydier

Galerie Daniel Templon / 9 janvier - 20 février 2016 Oda Jaune (née en 1979 à Sofia, vit à Paris) crée une quinzaine de tableaux par an. Si bien qu’en dehors de ses aquarelles, présentées l’été dernier, elle n’avait pas exposé de peintures à la galerie Templon depuis cinq ans. L’artiste revient donc en ce début 2016 avec une série de toiles récentes – la plupart de grands formats – qui rivalisent d’étrangeté. Le titre de l’exposition, Blue Skies, évoque une expression de la langue anglaise témoignant d’un optimisme et d’une foi en un avenir plus radieux. On décèle évidemment de l’ironie dans cet emprunt, car les images d’Oda Jaune nous inquiètent bien plus qu’elles ne nous rassurent. Signalons d’abord l’omniprésen­ce d’une chair qui ne joue pas de la séduction : à la fois les formes flétries des corps et leur intérieur. Un bouquet de fleurs jaillit ainsi d’un vase blanc. Pas de roses ni d’hortensias, mais des muscles, tendons, fragments d’os et même une langue, pour lesquels on devine une origine animale, porcine ou bovine. Plus loin se dresse un corps de femme nu et acéphale comme un Rodin, dont les bras paraissent empêtrés dans un agrégat visqueux d’organes ; une main géante et céleste insinue deux doigts humides dans son torse ouvert comme un sexe féminin. Du côté des chairs flasques, on s’arrêtera particuliè­rement devant un corps (masculin ?) un peu replet, vu de dos ; il n’est pas sans évoquer un poulet prêt à rôtir. Une même déliquesce­nce de l’épiderme s’observe dans Big Bed Scene, sorte de nativité détournée où la Vierge, dans la position d’une actrice porno, accouche d’un enfant à l’expression atterrée. On éprouve parfois une curieuse sensation de « déjà-vu » devant les tableaux d’Oda Jaune, au sens où ses motifs nous semblent familiers : nous croyons en reconnaîtr­e les sources, sans toutefois parvenir à les identifier formelleme­nt. Ainsi de cette femme blanche, chevelure à la Marilyn, qui allaite tristement un enfant africain décharné : l’avons-nous croisée chez Andres Serrano ? Oliviero Toscani ? Qu’elles proviennen­t d’Internet, de l’histoire de l’art, ou d’ouvrages scientifiq­ues, l’artiste hybride une multitude d’images, les fusionne, comme ces deux siamois s’embrassant goulûment en haut d’une falaise. Voilà sans doute pourquoi tant de créatures composites, de freaks affligés de difformité­s diverses, peuplent ses tableaux. À l’arrière-plan, le ciel est toujours bleu. Un nuage incandesce­nt, comme surgi d’un Tiepolo ou d’un blockbuste­r hollywoodi­en, progresse toutefois vers nous, menaçant, à la manière d’une avalanche de feu. On y entrevoit des images cachées (comme celle d’un bambin). En dépit des cieux azuréens, tout ne va manifestem­ent pas bien. Le monde peint par Oda Jaune a été abandonné de Dieu, et il semblerait que ce dernier ait décidé d’en hâter la fin. D’où la sensation d’un sursis, et d’un oeuvre pictural en forme d’arche de Noé et de cour des miracles, abritant tout ce que l’humanité enfante de plus singulier. Oda Jaune (born 1979 in Sofia, lives in Paris) makes about fifteen paintings a year. Aside from the watercolor­s shown in 2105, her paintings haven’t appeared at the Templon gallery for five years. Now, in early 2016, she’s back, with a series of recent paintings, mostly large format, each one stranger than the next. The exhibition’s title, Blue Skies, conveys a sense of optimism and faith in a brighter tomorrow. The irony is unmistakab­le, because Jaune’s images are far more disturbing than reassuring. First of all, there is the omnipresen­t flesh that is not at all seductive but rather withered, whether skin or the body’s interior. What looks like a floral bouquet sticking out of a white vase turns out to be not roses or hydrangeas but muscles, tendons, pieces of bone and even a tongue, probably of a pig, cow or other animal. A woman’s body, a Rodin-like headless nude, has her arms caught in some kind of viscous tangle of organs. A giant, celestial hand sticks two wet fingers into a torso whose open flesh resembles a vagina. Next to several views of flabby flesh we come upon a somewhat chubby (male?) body seen from behind, looking like a chicken ready for roasting. A similar deliquesce­nce of the flesh can be seen in Big Bed Scene, a strange nativity where the Virgin, butt in the air like in a porn flick, gives birth to a child whose facial expression is one of utter dismay. One often feels a strange déjà-vu when looking at Jaune’s paintings because the subjects seem so familiar. We think we can recognize where we’ve seen them before, and yet we can’t say exactly what it is we’re seeing. For instance, a white woman with a Marilyn Munroe hairdo desolately breastfeed­ing an African child who is just skin and bones—have we seen her in a piece by Andres Serrano? Oliviero Toscani? Jaune takes amultitude of images found on the Web or taken from art history and science textbooks and fuses them into something hybrid, like her Siamese twins greedily kissing at the edge of a cliff. That’s why so many of her paintings feature composite creatures, freaks afflicted with various deformitie­s. The sky in the background is always blue. At times an incandesce­nt cloud that could have emerged from a Tiepolo painting or a Hollywood blockbuste­r floats towards us, threatenin­g to bury us under an avalanche of fire. We glimpse obscured images (a young child, for example). The skies may be bright blue but all is clearly not well. God has forsaken the world of Jaune’s paintings, and it looks like he’s in a hurry to be done with it. Hence the feeling of reprieve when we come upon the painting of a Noah’s arc full of freaks, humanity’s most singular children.

Translatio­n, L-S Torgoff

 ??  ?? « ». 2015. Huile sur toile. 190 x 280 cm. Oil on canvas
« ». 2015. Huile sur toile. 190 x 280 cm. Oil on canvas

Newspapers in English

Newspapers from France