Claire Tencin
Tituli, 78 p., 15 euros Le récit de Claire Tencin, auteure de plusieurs fictions et d’un essai sur le peintre Ange Pieraggi, s’ouvre sur une page blanche où figurent cinq mots, comme jetés en pâture au silence blanc de la page : trois fois le mot « silence » et deux fois le mot « peau ». C’est entre ces mots que se trame, en langue, le récit. Celui-ci prend une majuscule quand il devient un des personnages du livre. Il interrompt alors de ses réflexions les dialogues de ce qui, sans lui, serait un roman familial. Sorte d’observateur en mode « travelling », il est l’autre de la fille, la grande fille sans nom, qui étouffe au contact de sa « petite mère » silencieuse pour qui parler ne veut rien dire. Quand la mère parle, c’est pour réchauffer des mots usés, et tenter de faire rentrer la fille dans l’ordre ancestral du foyer et de son langage. Le Récit crève régulièrement l’abcès familial, il est un drain de langue et prend l’histoire étouffante de la « petite mère » et de la « fille chaise » à bras le corps pour donner au livre de Claire Tencin une force poétique brute. Ce qui se passe en effet, se passe d’abord en langue. La fille se rebiffe un jour contre la mère à coup de balai comme le Récit biffe régulièrement les mots « féminin » ou encore « maternel » pour réarticuler la syntaxe. Il est le devenir-langage de la fille, qui ne veut pas devenir la « Fille générique » mais écrivain. C’est par lui qu’elle va réécrire son corps et sa langue, celle du désir des hommes et du désir d’écrire. Et quand il jette, lui, l’ordre générique des mots pardessus bord, la fille avorte en elle les embryons d’enfants. Chez la fille, le geste et la langue coïncident. Le Silence dans la peau est à la recherche d’une langue singulière échappant à la violence du genre, et nous rappelle, en écho à Lacan, que « la femme n’existe pas ».