Alors que j’écoutais moi aussi [...]
La Criée / 13 janvier - 5 mars 2017
Alors que j’écoutais moi aussi David, Eleanor, Mariana, Delia, Genk, Jean, Mark, Pierre, Shima, Simon, Zin etVirginie : la litanie de prénoms qui compose le titre de cette exposition est parfaitement programmatique et difficilement mémorisable. Comme sur les documents liés à l’exposition, il faut le raccourcir, en interrompre le récit que celle-ci commence de déployer, et ne conserver que le fil rouge : celui de la progression d’une forme d’« écouter voir ». La poétique de l’exposition le montre subtilement au travers d’objets tangibles ou non – au gré de plusieurs procédures que sont la dispersion, le remontage et le sampling, la légende ou le rêve. La beauté de ce titre-programme réside dans le fait de suggérer que les problématiques liées au récit sont une opération éminemment fragmentaire. C’est à une histoire qui convoque la mémoire individuelle et ses bienheureuses failles, ses recréations ou ses oublis, que nous invitent les commissaires de cette exposition. Elle pourrait se placer sous le signe de l’ardoise magique, métaphore freudienne de l’inconscient, qui conserve toujours ses traces mnésiques tout en les occultant. D’une génération l’autre – de Jean Dupuy à David Antin (nés en 1925 et 1932), de Pierre Paulin à David Horvitz (nés en 1927 et 1961), Alors que j’écoutais moi aussi […] est le premier volet d’une série d’expositions initiée par trois artistes : Yann Sérandour, Félicia Atkinson et Julien Bismuth, ainsi que par la directrice du lieu, Sophie Kaplan, et qui se déroulera à la Criée tout au long de l’année 2018. Quels chemins empruntent par exemple le rêve et le récit de rêve ? La réponse est musicale avecThe Dreams, une étonnante pièce sonore immersive de 1964 conçue pour la BBC par Delia Derbyshire (1937-2001), pionnière de la musique électronique et concrète au Royaume-Uni. Au contraire, l’objet bien réel s’affiche comme ready-made, dans toute sa matérialité, avec le collectif néerlandais Gerlach en Koop, ou prend encore la forme d’une problématique de la vision, augmentée paradoxalement par le vide, avec les trois livres perforés de Mariana Castillo Deball, Do ut des (I give that you may give back [2009]). Extraordinairement mis en page par le designer et artiste visuel brésilien Eugênio Hirsch, ils montrent, déployées sur deux pages, les oeuvres des grands musées et la mise en situation des spectateurs à l’échelle du regardeur, en un photomontage inédit et subtil. Tout est affaire de traduction et d’imaginaire, de voyage et de remake: l’exposition des récits est toujours métaphorisée – le trou opéré dans les musées du monde de Castillo Deball ou la projection au chromatisme changeant sur le mur d’un lion par Virginie Yassef. Le fauve immobile est
Delia Derbyshire au studio radio de la BBC, milieu des années 1960. (Ph. DR). Mariana Castillo Deball. « Do ut des
(I give that you may give back) » ( détail). 2009. Livres percés (coll. Les musées du monde), chêne. (Court. Barbara Wien, Berlin ; Ph. B. Mauras). Books, oak une image de rêve, immémoriale – ici capturée comme son motif sauvage. C’est la trame même du récit et de ses traductions.
Aurélie Verdier “While I was also listening to David, Eleanor, Mariana, Delia, Genk, Jean, Mark, Pierre, Shima, Simon, Zin and Virginie”—the litany of first names that makes up the title of this exhibition may be difficult to memorize but it totally describes its content. As with the documents that accompany it, we have to shorten it, interrupt the narrative it begins to unfold and keep nothing but the thread that runs through it, the progression of a way of “listening seeing.” The show’s poetics subtly demonstrate that perceptual mode by means of objects—some tangible, others not—deployed through various procedures such as scattering, montage and sampling, legends and dreams. The beauty of both the exhibition and its title is that it suggests that the problematics of narrative, the idea of reporting a story or event, mean that the result is necessarily highly fragmentary. The curators offer us a story that calls upon individual memory and its fortunate flaws, its recreations and holes. It could be called a kind of blackboard, a Freudian metaphor for the subconscious mind from which the traces of memory are never entirely erased even as they are covered over. From one generation to the next— from Jean Dupuy to David Antin (born in 1925 and 1932, respectively), and from Pierre Paulin to David Horvitz (born 1927 and1961), this exhibition is the first installment in a series initiated by three artists—Yann Sérandour, Félicia Atkinson and Julien Bismuth—along with the venue’s director Sophie Kaplan, to be held at La Criée through the course of 2018. What paths are followed, for example, by a dream and the narrative of the dream? The answer is given in musical form by The Dreams, an amazing immersive sound piece done in 1964 for the BBC by Delia Derbyshire (1937-2001), a pioneer in electronic and concrete music in the UK. In contrast, a real object takes the form of a readymade, with all the materiality this implies, in work by the Dutch Gerlach en Koop, and that of a visual puzzle in which holes problematize what is being shown, with the three perforated books byMariana Castillo Deball, Do ut des (I give that you may give back [2009]). Fabulously laid out by the Brazilian designer and visual artist Eugênio Hirsch, it presents, on a kind of double-page spread, artworks from major museums interacting, in a way, with pictures of viewers drawn on the same scale as they are, in a subtle and original photomontage. This whole show is about transcription and imagination, voyages and remakes. The narratives are all conveyed metaphorically, such as with the holes punched in the world’s museums by Castillo Deball and the constantly changing chromatics of a projection of a lion on a wall by Virginie Yassef. The motionless beast is a timeless dream image, here captured as a graffiti motif. This is the very warp and woof of narratives and their translations.
Translation, L-S Torgoff