Hélène Delprat
La Maison rouge / 23 juin - 17 septembre 2017
Au sein de la diversité des techniques qu’utilise Hélène Delprat – grattages, peinture, transferts photographiques, etc –, deux artistes s’affrontent en elle depuis plusieurs années. Il faudrait préciser, depuis son retour. Après une période de jeunesse irriguée par des influences sauvages, « tribales » – primitivisme qui devait autant à son observation des arts lointains qu’à son imagination facétieuse –, Hélène Delprat se retira du milieu et de l’actualité de l’art. Elle revint dans les années 2000 grâce à de savoureuses saynètes vidéos dont elle était le personnage performatif. Elle est de nouveau pleinement peintre et cette proposition en donne une très ambitieuse démonstration. L’autre Delprat est à la fois une sorte de Jiminy Cricket, un fou qui ose conseiller et critiquer sur l’épaule d’une reine en pleine possession de ses moyens picturaux. Cette autre Delprat s’observe et ne s’épargne pas, alarme le visiteur-spectateur, l’enjoignant à ne pas « se- faireavoir » par ce qui tourmente l’artiste : sa vertigineuse maîtrise. Ce dédoublement s’annonce à l’entrée de cette exposition intitulée Did It My Way : Delprat expose son effigie en cire, dont le troublant mimétisme place d’emblée la visite sous le sceau de la familiarité inquiétante. Cette apparition spectaculaire déstabilise : peintre ou installatrice, artiste ou clown, poétesse ou collectionneuse d’icônes… Elle présente des peintures récentes, époustouflantes par leur format hors normes et leur énergie : J’adore Barnett Newman approche ainsi les dix mètres de long. Elles offrent aux visiteurs la double expérience d’un déchiffrement d’une richesse iconographique illimitée, empruntant des motifs à la culture mondiale, antique et contemporaine – du guerrier grec à la kalachnikov – et une immersion visuelle qui efface les rivages du champ pictural. Ce qui se joue dans ce déchaînement des figures traduit l’air du temps, dont les tragiques affrontements des cultures connaissent aujourd’hui les termes terroristes. Certaines empreintes ou gravures immergées dans les vastes remous peints persistent pourtant à susciter des effets festifs (paillettes, spirales, bijoux schématisés), mais ils transmettent un indéniable malaise. Oui, il faut continuer à rire et à croire que l’art peut enchanter le monde… Mais Delprat en dit le douloureux
Ieffort, la fausse joie sinon la grimace d’une Femme qui rit. D’ailleurs, plusieurs fresques évoquent les expériences matiéristes de Victor Hugo. Une part non négligeable de ce que l’on voit paraît résulter d’objets déposés à même la toile dont demeurent leur inscription « négative », leur fonction de pochoir. Passé le regard panoramique sur ces longues étendues agitées par le flot peint qui emporte les incisions, les projections de couleurs, les superpositions d’images, les coulures abandonnées, ce sont les colères d’une peintre en guerre contre les guerres de son temps qui émanent de ces puissantes fresques. Et le diablotin Delprat, la marionnette Delprat, le culbuto Delprat ne parviennent pas à émousser l’inquiétude que cette artiste, au faîte de sa maturité, a le devoir d’hurler.
Dominique Païni Over the last few years, it’s as if two different artists were duking it out via the array of media used by Hélène Delprat (scraping, painting, transfers, photos, etc.). Or rather, since her comeback. After a youthful period shaped by primitivist or “tribal” influences—in fact a mix of her take on non-Western arts and her own playful imagination— Delprat withdrew from the art milieu. She came back in the 2000s with a series of playful video sketches in which she acted out a series of characters. Today, she is very much the painter again, as this ambitious show resonantly demonstrates. The other Delprat is a kind of Jiminy Cricket, the buffoon and insolent adviser to her Queen in full possession of her painterly tools. This alter-Delprat watches herself and puts herself on the line, alarming the visitor-cum-spectator, urging them not to be fooled by what torments the artist: her vertiginous mastery. This duality is evident at the beginning of the show, where Delprat presents us with her own likeness in wax, its troubling realism creating an uncanny atmosphere for the rest of the visit. This spectacular apparition destabilizes us: painter or installation artist, artist or clown, poet or collector of icons. The recent paintings here are staggering, both for their extreme dimensions and for their intense energy. J’adore Barnett Newman, for example, is nearly ten meters long, full of images from ancient and modern global cultures, from Greek warriors to Kalashnikovs. This pictorial immersion erases the frontiers of painting in an unfurling of figures imaging the realities of our day, when the clashing and merging of cultures is spilling into terrorism. And if some of the imprints or engravings immersed in her vast whirlpools of paint still throw up their share of festive effects (glitter, spirals, simplified jewelry), they do clearly convey an undeniable malaise. Yes, we must go on laughing and believing that art can enchant the world, but Delprat also expresses the painful effort that this involves, the false joys. The laughing woman is at the same time a grimacing woman. (Note also that some of the frescoes evoke Victor Hugo’s experiments with matter.) A considerable number of the images here result from the act of placing objects on the canvas. They are the negative inscriptions, with the object serving as stencil. Once we have taken in the panorama of these long expanses where the flow of paint carries along incisions, projections of colors, juxtaposed images and drips, what emanates from these powerful frescoes is the anger of a painter at war with the wars of her day. Delprat the imp, the puppet, the tilting doll, can never allay the worry that this artist at the peak of her powers has the duty to cry to the rooftops.
Translation, C. Penwarden