CHARLOTTE CHARBONNEL
« Une éponge réduite par une opération de pilonnage à une poussière de cellules, la poussière vivante formée par une multitude d’êtres isolés se perd dans l’éponge nouvelle qu’elle reconstitue. Un fragment de siphonophore est à lui seul un être autonome, toutefois le siphonophore entier, auquel le fragment participe, est lui-même peu différent d’un être possédant son unité1 » : Le siphonophore est un organisme marin appartenant à la famille du plancton animal. Sa spécificité est d’être constitué de milliers d’individus s’agrégeant en colonie, pour ne former qu’un seul corps, chaque élément ayant une fonction précise (chasse, reproduction, nourriture, défense). Charlotte Charbonnel, fidèle à sa pratique puisant dans les sciences, propose de créer une sculpture en verre sonore reprenant ce principe corallien, rhizomatique et réticulaire, étudié par Georges Bataille. Et cela, en étroite corrélation avec certaines de ses pièces précédentes, notamment sa Symphonie
pour orgue (2013), pour laquelle elle avait créé une structure à partir de tubes, tels des siphons, dans lesquels le son circulait. L’interprétation qu’elle réalise à Labanque de l’Expérience intérieure est extrêmement originale, tant elle capte les soubassements géologiques de cette pensée philosophique et poétique à la recherche d’ellemême, qu’il s’agisse de l’étude du vent, des mouvements des êtres sur la Terre, de la minéralogie ou de la volcanologie. Ce qui intéresse l’artiste est la manière dont l’énergie se crée, pour ensuite se diffuser, mais aussi comment les infinies particules circulent dans un environnement beaucoup plus vaste qu’elles, et créent leur propre parcours, pour ne pas dire leur propre récit. Il s’agit donc d’une poétique du vivant, de la lumière, de l’atome ou du séisme, chacun de ces termes pouvant être perçu de manière aussi concrète que symbolique. Et c’est dans cette polysémie que réside toute la force de la démarche.
Dans le cadre de ses recherches, Charlotte Charbonnel s’inspire autant de la structure interne des tourbillons, que des colonnes sonores dans les grottes, ou encore des glassharmonicas. Mais aussi, du côté minéral, de la silice ou de la lave, toutes ces matières naturelles à partir desquelles des formes peuvent émerger. Ainsi, on ne s’étonnera pas de découvrir, dans la pénombre, sa sculpture se déployer : un souffle amène le visiteur à écouter une symphonie cristalline, à voir un massif corallien en verre s’élevant tout en transparence, après avoir puisé sa force dans de délicats sillons dessinés par le vent, sur du sable, au sol. Nous sommes presque face à un mirage, image que l’artiste revendique pleinement, tout en évoquant les fulgurites, ces pierres de foudre que l’on peut trouver dans le désert en Libye, fragments de verre naturel fruits de la rencontre entre un éclair d’orage et le sol sableux. Dès lors, les formes se dessinent sous les doigts du
vent ou par l’impact violent des éléments qui s’entrechoquent. Une cristallisation, au sens solide autant qu’amoureux, se produit entre les matériaux. Dans le cadre de nos discussions, une phrase est restée comme un mantra : « ce qui compte n’est plus l’énoncé du vent, c’est le vent » : Bataille, défenseur d’une pensée non discursive – pensée du non-savoir puisant dans l’inconnu – nourrit l’expérience d’un contact direct avec les choses et les êtres, sans médiation. C’est bien ce qu’il nomme « la communication », que l’on peut aussi lire comme « contagions d’énergie, de mouvement, de chaleur […] comme un courant ou comme une sorte de ruissellement électrique2 ».