CLÉMENT COGITORE
« C’est par la peinture religieuse que je suis entré dans l’art. Pour moi, elle ne commence pas à Rome ou Byzance, mais à Lascaux ou dans la grotte Chauvet. À l’origine, fabriquer des images, c’est parler avec les esprits. On dit que les hommes se sont mis à peindre en voyant leurs ombres projetées par le feu se dessiner sur les parois rocheuses des grottes. Aujourd’hui, malgré toutes les révolutions technologiques, très peu de choses ont changé. Entrer dans une salle de cinéma pour s’asseoir devant un écran, c’est aussi un peu entrer dans une caverne pour y voir danser des ombres1 », explique Clément Cogitore, dont la proposition pour Intériorités va précisément dans ce sens, en une réappropriation d’un plan d’archive inédit d’une minute environ, réalisé dans le diverticule axial2 de la grotte de Lascaux dans les années 1980, et jusqu’alors conservé par le ministère de la Culture par l'intermédiaire du Centre national de la préhistoire. En effet, l’histoire de Lascaux est connue : la grotte, ornée de peintures pariétales vieilles de 18 000 ans, est fermée au public en 1963 par André Malraux. S’ensuivra la découverte de moisissures de plus en plus persistantes sur ses parois, entraînant sa fermeture définitive et un contrôle accru dans les années 2000. Aucun accès n’est désormais possible, même pour les cinéastes les plus chevronnés ; si bien que ce que des enfants ont vu en premier en 1940, ou ce que Georges Bataille a vu en 1953, est désormais invisible.
Clément Cogitore s’installe à cet endroit : il travaille à partir de cette invisibilité circonstancielle, tout en se plaçant au coeur de l’énigme artistique que les peintures rupestres sous-tendent, et que Bataille n’a eu de cesse de lire comme la révélation d’un « sacré immanent », c’est-à-dire « le reflet de cette vie intérieure, dont l’art – et l’art seul – assume la communication4 ». Pour cela, il redonne vie au film d’archive en le filmant à nouveau, de manière à mettre en scène à sa surface une envolée de papillons, dont les ailes deviennent elle-mêmes des surfaces de projection et dont les ombres en mouvement se déploient sur les parois rocheuses. Le motif de ces papillons dialogue avec les ocres de la grotte. La cadence de leurs ailes, la vibration de leurs battements induisent une réflexion sur la technicité de l’image cinématographique, au moment même où le défilement de la pellicule a laissé la place à sa dématérialisation en devenant signal vidéo. Néanmoins, malgré l’évolution technologique, le rituel du cinéma – la magie de sa lanterne, ou celle de toute création artistique – persiste : comme les hommes de Lascaux, nous portons un regard sur la nuit originelle et nous devinons des formes dans les pierres. Nous entretenons avec le monde un rapport d’intimité tel que la seule manière de le traduire est de faire l’expérience d’un secret, de vivre la profondeur d’une « énigme à résoudre ». Dans la caverne mentale ou dans celle du cinéma, l’inintelligible est au coeur, si bien que nous écarquillons toujours les yeux face aux images ; preuve que nous gardons en nous, toujours intact, un pur désir d’émerveillement. LB