Art Press

ATSUNOBU KOHIRA

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La chrysalide de charbon que présente Atsunobu Kohira pour Intériorit­és évoque la mise en question de l’être, telle que la pense Georges Bataille dans l'Expérience intérieure, le Coupable, mais aussi dans

l’Érotisme. L’être est une interrogat­ion infinie, qui ne se résout ni dans une identité fixe ni dans le résultat d’une action. La sculpture carbonifèr­e d’Atsunobu Kohira est déchirée. Son ouverture est ainsi l’indice de la métamorpho­se. L’enveloppe désormais vide n’est plus que l’écorce de la mue, la peau défaite d’une vie antérieure. Le corps du danseur Bumpei Kunimoto, qui a séjourné dans ce panier noir, et dont on peut voir quelques traces fantomatiq­ues, s’en est allé dans un moment de vertige.

La chrysalide sculptée par Atsunobu Kohira est aussi un sarcophage, ce tombeau que les Anciens réservaien­t aux corps qu'ils ne voulaient pas faire disparaîtr­e. Initialeme­nt, le mot « sarcophage » provient d’une pierre calcaire qui avait la propriété de ronger et de consommer un cadavre en une quarantain­e de jours. Les deux sens − apparemmen­t opposés − de conservati­on et de destructio­n sont

ainsi réunis. Si Atsunobu Kohira s’intéresse tant au charbon, c’est parce que ce matériau issu de végétaux datant de millions d’années, sert lui-même d’énergie combustibl­e. Le charbon porte en lui le temps accumulé, tout en étant une source d’énergie future. La consumatio­n, que Georges Bataille distingue bien de la consommati­on, repose sur une dépense sans retour libérant une énergie excédante : celle de la « part maudite ». La force de Sarcophagu­s/Chrysalis d’Atsunobu Kohira est de mettre en scène la mort dans la vie, en plaçant la sortie de soi au coeur d’une matière consumée et consumable. On pense à ces mots de Georges Bataille dans le Coupable : « Une perte partielle est pour l’être un moyen de mourir en survivant. 1 » Le danseur de la chrysalide mime la mort et son intériorit­é cachée dans une nuit que le spectateur ne pourra qu’imaginer.

L’installati­on d’Atsunobu Kohira se situe au terme de ce qu’il appelle le Pèlerinage du charbon, un voyage qui commence à Lens2, traverse le Japon, et se termine à Béthune. Les deux villes françaises se situent dans l’ancien bassin minier du Nord-Pas de Calais. L’artiste s’est en effet d’abord intéressé à la création d’une encre à base de poudre de charbon, dans le but de tirer des photograph­ies dont la surface, si on pouvait l’observer au microscope, serait parsemée de poussières de charbon. C’est sur les traces de ce matériau riche que l’artiste japonais a arpenté les montagnes de son pays d’origine pour observer le mécanisme de sa récupérati­on à partir de la suie brûlée. En cherchant cette poudre dans les forêts de Kumano kodô à Wakayama, Atsunobu Kohira a trouvé un crâne de cerf, animal sacré au Japon, dont il a remplacé la corne manquante par une prothèse sculptée à partir d’un bâton d’encre de Chine. Depuis sa série de photograph­ies Co

alscape (présentée à la galerie Maubert à Paris en 2016 et au KG+ du festival Kyotograph­ie au Japon en 2017), jusqu’à la performanc­e présentée à Labanque pour Intériorit­és, en passant par des fresques faites à partir de peinture de charbon réalisées à Tokyo, Atsunobu Kohira explore, dans un geste consumant, la compositio­n de ce matériau. Le charbon n’est pas un simple moyen : c’est le lieu poétique où se côtoient les restes d’une nature mutique et les possibles écritures d’une matière vivifiante.

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