Art Press

DAISUKE YOKOTA

- Inversion Réactivati­on pour Intériorit­és, Production Labanque 2017

Daisuke Yokota est ce que l’on pourrait appeler un « ressasseur » d’images. Sa pratique est une expériment­ation incessante des limites, puisqu’elle consiste bien souvent à photograph­ier, re-photograph­ier, travailler l’image à la chambre noire en reproduisa­nt plusieurs fois de suite les mêmes étapes jusqu’à l’obtention d’une image extrêmemen­t chargée, habitée de temps, quasi archéologi­que. La photograph­ie est pour lui un organe d’effacement et d’obscurciss­ement, insatiable et vorace. C’est une confession, perdue dans le brouillard, d’une mémoire qui échappe toujours. On pourrait croire, en allant trop vite, que son travail est une réflexion sur le médium photograph­ique, sur son aura perdue ; il est davantage un moyen de se perdre dans le monde et les méandres des images mémorielle­s.

Pour Intériorit­és, nous présentons une version réactivée d’Inversion, avec la conviction que cette oeuvre répond ici à une nécessité, à la volonté de mener l’expérience de l’ombre jusqu’au bout. Cette pièce a été montrée pour la première fois aux Rencontres d’Arles de 2015 : il s’agit d’une installati­on de centaines de photograph­ies solarisées, chaque image étant une transposit­ion par contact, sur papier photosensi­ble, d’une image couleur parue initialeme­nt dans le livre Matter (2014-15). Les pages du livre deviennent ainsi des négatifs. La question du geste est fondamenta­le pour l’artiste, car rappelons que cette pièce a également été déclinée sous la forme d’une performanc­e — Extra Inver

sion — qui a eu lieu au club Silencio à Paris, en 2015, et pour laquelle Daisuke Yokota officiait en direct, devant le public, afin de réaliser des tirages solarisés. Cette performanc­e était aussi l’occasion de saisir la dimension musicale de la pratique de l’artiste, pour qui l’image est finale-

ment prise dans un tissu complexe de strates sonores, de nappes d’ambiances, d’un magma acoustique, dense et épais.

Ici, pour Intériorit­és, nous sommes face à un bloc d’images noires et métallisée­s, lisibles uniquement si l’on fait l’effort de s’en approcher, tant les corps sont fragmentés, les végétaux rainés et les architectu­res en lambeaux. Les tirages sont noircis comme par de la suie et obligent à forcer le regard. L’inversion joue donc à plein : invertir est un acte de transposit­ion active et sans compromis, une manipulati­on radicale qui ne peut avoir de moyen terme, entre positif et négatif, nuit et jour. Et c’est sans doute ici que nous pouvons faire un rapprochem­ent avec la pensée de Bataille, avec la question de l’épaisseur nocturne de la conscience qui se cherche, avec l’impossible et l’inconnu, la force mystique de l’obscurité, cette « présence qui n’est plus distincte en rien d’une absence1 ». Avec cet artiste, l’Expérience intérieure de Bataille, en tant qu’expérience en partie négative, pourrait aussi, acceptant pleinement de sortir d’elle-même, devenir une plongée méditative, délivrée de projet, dans la pure présence. LB

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